Avec l’annonce qu’il ne démissionnera pas et qu’il entend rester jusqu’à la fin de son mandat en septembre, le président égyptien Hosni Moubarak lance un défi aux millions d’opposants à son régime.
Moubarak ne pourrait rester au pouvoir sans le soutien d’importantes sections de l’armée et de ses trésoriers-payeurs de Washington, DC. Le gouvernement Obama est en contact permanent avec le haut commandement égyptien, qu’il finance à concurrence de 1,5 milliards de dollars par an.
La promesse de Moubarak de ne pas briguer la prochaine élection est vide de sens. Son seul but est de procurer à Washington et à l’armée le temps nécessaire pour désorienter, disperser et réprimer l’opposition de masse au régime. Durant ces dernières 24 heures, au moment même où des dizaines de milliers de manifestants occupaient la Place Tahrir, Moubarak, l’armée et leurs conseillers américains étaient réunis pour tenir des séances de stratégie sur la question de savoir comment formuler une réponse politique à l'immense opposition en vue de garantir la survie du régime.
Les premiers rapports disaient que Mohamed El Baradei, homme ne disposant d’aucun grand soutien en Egypte, était en discussion avec l’ancien chef du renseignement, le vice-président nouvellement nommé, Omar Suleiman, et des représentants de divers partis d’opposition. L’objectif des discussions serait d’établir un « conseil d’administration » composé de Suleiman ; de Sami Anan, le chef d’état major de l’armée ; d’El Baradei lui-même et d’Ahmed Zeweil, le lauréat du prix Nobel de chimie. Il semble maintenant que cette démarche ait été rejetée, les Etats-Unis craignant que l’abandon trop rapide de Moubarak pourrait créer un vide de pouvoir.
L’attitude de défi de Moubarak souligne le rôle réactionnaire et hypocrite joué par l’armée. La promesse de l’armée « de ne pas recourir à la force contre notre grand peuple, » présentée comme le signe qu’elle prenait le parti des protestations, ne signifie absolument pas cela. L’armée reste aux commandes du pays. La Place Tahrir est toujours entourée par des chars et des soldats.
Les dirigeants de l’Egypte dépendent directement de l’armée et sont issus directement de ses rangs depuis que Mohammed Naguib et Gamal Abdel Nasser étaient à la tête du Mouvement des officiers libres pour renverser le roi Farouk en 1952. Moubarak est issu de l’armée et est devenu président en 1981 suite à l’assassinat d’Anouar al-Sadate.
L’armée demeure la base de pouvoir de Moubarak. Son premier effort pour sauvegarder son pouvoir en dépit des protestations qui ont éclaté la semaine passée a consisté à nommer un gouvernement encore plus ouvertement dominé par l’armée. Il a nommé Suleiman, un ancien général, vice-président, Ahmed Shafiq, ancien commandant de la force aérienne, a été nommé premier ministre, le ministre de la Défense, le général Mohamed Hussein Tantawi est devenu premier ministre adjoint, et le général Mahmoud Wagdy ministre de l’Intérieur.
Telle est la signification réelle de la déclaration de l’armée lorsqu’elle dit être « décidée à prendre ses responsabilités pour protéger la nation et les citoyens. »
Le magazine Time a dit au sujet de Suleiman: « Se trouver au pivot d’une équation de pouvoir qui change rapidement, pourrait placer le chef du renseignement, devenu vice-président, en position de force pour écrire le dénouement de la rébellion. »
Simon Tisdall du Guardian a été encore plus explicite, faisant remarquer que le « plan de survie » du régime égyptien reposait sur Suleiman : « A ce stade, Suleiman est l’homme le plus puissant d’Egypte, soutenu par l’armée (d'où il est issu), l’appareil de sécurité et par une élite dirigeante effrayée qui espère sauver quelque chose du naufrage.
« Suleiman est, dans les faits, à la tête d’une junte militaire à ce stade avec toutes les principales positions civiles du pouvoir – la présidence, la vice-présidence, le premier ministre, les ministres de la Défense et de l’Intérieur – occupées par des officiers de haut rang et avec le plein soutien de l’armée elle-même. »
L’affirmation des Frères musulmans que l’armée est « la protectrice de la nation » est archi-fausse. L’armée protège la classe capitaliste. »
Le rôle des Frères musulmans est de désarmer politiquement les masses laborieuses. Présentement, sa propagande rend plus crédibles les manœuvres politiques visant à préserver le monopole du pouvoir et la richesse dont bénéficie l’élite dirigeante. Mais en dernière analyse, lorsqu’un vrai changement sera d’actualité, des expériences sanglantes telles le Chili en 1973 et la Place Tiananmen en 1989 montrent que l’armée qui est acclamée par les Frères musulmans agira impitoyablement pour préserver l’ordre social existant.
L’Etat capitaliste égyptien est en crise mais il demeure intact et s’efforce de reprendre le plein contrôle. Le mouvement de masse n'a pas encore développé les formes organisationnelles et la direction politique qui sont nécessaires.
Le régime de Moubarak, qui s’appuie sur l’armée et garde le soutien de l’impérialisme américain, cherche à exploiter cette faiblesse. La tâche cruciale à laquelle la classe ouvrière est confrontée est la création de centres de pouvoir populaires, indépendants du gouvernement, de l’appareil militaire et des forces « d'opposition » qui cherchent un arrangement avec le précédent régime.
Le Comité international de la Quatrième Internationale attire l’attention des travailleurs égyptiens sur les expériences du plus grand mouvement révolutionnaire du vingtième siècle – celui qui s’est déroulé en Russie entre 1905 et 1917. En 1905, les conseils ouvriers, appelés soviets, avaient vu le jour à Saint Petersbourg et dans toutes les régions industrielles de la Russie en tant qu'organes de lutte contre le régime tsariste. En 1917, des soviets s’étaient de nouveau constitués pour unir les travailleurs et les soldats rebelles recrutés au sein de la paysannerie. Les soviets devinrent la base de la lutte révolutionnaire et du renversement du gouvernement bourgeois.
Ceci doit servir d’exemple pour l'étape suivante du développement de la révolution en train de se produire à présent en Egypte. Il faut créer des organisations de masse qui puissent devenir des mécanismes pour la mise en place du pouvoir des travailleurs et des opprimés.
(Article original paru le 2 février 2011)
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