La classe ouvrière égyptienne a besoin de nouvelles formes
d’organisations de masse
Par Chris Marsden
3 février 2011
Avec l’annonce qu’il ne démissionnera pas et qu’il entend rester jusqu’à
la fin de son mandat en septembre, le président égyptien Hosni Moubarak
lance un défi aux millions d’opposants à son régime.
Moubarak ne pourrait rester au pouvoir sans le soutien d’importantes
sections de l’armée et de ses trésoriers-payeurs de Washington, DC. Le
gouvernement Obama est en contact permanent avec le haut commandement
égyptien, qu’il finance à concurrence de 1,5 milliards de dollars par an.
La promesse de Moubarak de ne pas briguer la prochaine élection est vide
de sens. Son seul but est de procurer à Washington et à l’armée le temps
nécessaire pour désorienter, disperser et réprimer l’opposition de masse au
régime. Durant ces dernières 24 heures, au moment même où des dizaines de
milliers de manifestants occupaient la Place Tahrir, Moubarak, l’armée et
leurs conseillers américains étaient réunis pour tenir des séances de
stratégie sur la question de savoir comment formuler une réponse politique à
l'immense opposition en vue de garantir la survie du régime.
Les premiers rapports disaient que Mohamed El Baradei, homme ne disposant
d’aucun grand soutien en Egypte, était en discussion avec l’ancien chef du
renseignement, le vice-président nouvellement nommé, Omar Suleiman, et des
représentants de divers partis d’opposition. L’objectif des discussions
serait d’établir un « conseil d’administration » composé de Suleiman ; de
Sami Anan, le chef d’état major de l’armée ; d’El Baradei lui-même et
d’Ahmed Zeweil, le lauréat du prix Nobel de chimie. Il semble maintenant que
cette démarche ait été rejetée, les Etats-Unis craignant que l’abandon trop
rapide de Moubarak pourrait créer un vide de pouvoir.
L’attitude de défi de Moubarak souligne le rôle réactionnaire et
hypocrite joué par l’armée. La promesse de l’armée « de ne pas recourir à la
force contre notre grand peuple, » présentée comme le signe qu’elle prenait
le parti des protestations, ne signifie absolument pas cela. L’armée reste
aux commandes du pays. La Place Tahrir est toujours entourée par des chars
et des soldats.
Les dirigeants de l’Egypte dépendent directement de l’armée et sont issus
directement de ses rangs depuis que Mohammed Naguib et Gamal Abdel Nasser
étaient à la tête du Mouvement des officiers libres pour renverser le roi
Farouk en 1952. Moubarak est issu de l’armée et est devenu président en 1981
suite à l’assassinat d’Anouar al-Sadate.
L’armée demeure la base de pouvoir de Moubarak. Son premier effort pour
sauvegarder son pouvoir en dépit des protestations qui ont éclaté la semaine
passée a consisté à nommer un gouvernement encore plus ouvertement dominé
par l’armée. Il a nommé Suleiman, un ancien général, vice-président, Ahmed
Shafiq, ancien commandant de la force aérienne, a été nommé premier
ministre, le ministre de la Défense, le général Mohamed Hussein Tantawi est
devenu premier ministre adjoint, et le général Mahmoud Wagdy ministre de
l’Intérieur.
Telle est la signification réelle de la déclaration de l’armée
lorsqu’elle dit être « décidée à prendre ses responsabilités pour protéger
la nation et les citoyens. »
Le magazine Time a dit au sujet de Suleiman: « Se trouver au pivot d’une
équation de pouvoir qui change rapidement, pourrait placer le chef du
renseignement, devenu vice-président, en position de force pour écrire le
dénouement de la rébellion. »
Simon Tisdall du Guardian a été encore plus explicite, faisant remarquer
que le « plan de survie » du régime égyptien reposait sur Suleiman : « A ce
stade, Suleiman est l’homme le plus puissant d’Egypte, soutenu par l’armée
(d'où il est issu), l’appareil de sécurité et par une élite dirigeante
effrayée qui espère sauver quelque chose du naufrage.
« Suleiman est, dans les faits, à la tête d’une junte militaire à ce
stade avec toutes les principales positions civiles du pouvoir – la
présidence, la vice-présidence, le premier ministre, les ministres de la
Défense et de l’Intérieur – occupées par des officiers de haut rang et avec
le plein soutien de l’armée elle-même. »
L’affirmation des Frères musulmans que l’armée est « la protectrice de la
nation » est archi-fausse. L’armée protège la classe capitaliste. »
Le rôle des Frères musulmans est de désarmer politiquement les masses
laborieuses. Présentement, sa propagande rend plus crédibles les manœuvres
politiques visant à préserver le monopole du pouvoir et la richesse dont
bénéficie l’élite dirigeante. Mais en dernière analyse, lorsqu’un vrai
changement sera d’actualité, des expériences sanglantes telles le Chili en
1973 et la Place Tiananmen en 1989 montrent que l’armée qui est acclamée par
les Frères musulmans agira impitoyablement pour préserver l’ordre social
existant.
L’Etat capitaliste égyptien est en crise mais il demeure intact et
s’efforce de reprendre le plein contrôle. Le mouvement de masse n'a pas
encore développé les formes organisationnelles et la direction politique qui
sont nécessaires.
Le régime de Moubarak, qui s’appuie sur l’armée et garde le soutien de
l’impérialisme américain, cherche à exploiter cette faiblesse. La tâche
cruciale à laquelle la classe ouvrière est confrontée est la création de
centres de pouvoir populaires, indépendants du gouvernement, de l’appareil
militaire et des forces « d'opposition » qui cherchent un arrangement avec
le précédent régime.
Le Comité international de la Quatrième Internationale attire l’attention
des travailleurs égyptiens sur les expériences du plus grand mouvement
révolutionnaire du vingtième siècle – celui qui s’est déroulé en Russie
entre 1905 et 1917. En 1905, les conseils ouvriers, appelés soviets, avaient
vu le jour à Saint Petersbourg et dans toutes les régions industrielles de
la Russie en tant qu'organes de lutte contre le régime tsariste. En 1917,
des soviets s’étaient de nouveau constitués pour unir les travailleurs et
les soldats rebelles recrutés au sein de la paysannerie. Les soviets
devinrent la base de la lutte révolutionnaire et du renversement du
gouvernement bourgeois.
Ceci doit servir d’exemple pour l'étape suivante du développement de la
révolution en train de se produire à présent en Egypte. Il faut créer des
organisations de masse qui puissent devenir des mécanismes pour la mise en
place du pouvoir des travailleurs et des opprimés.
(Article original paru le 2 février 2011)
Voir aussi :
Notre
couverture sur les soulèvements en Afrique du Nord et Moyen-Orient