Le gouvernement de droite du ministre israélien Benyamin Netanyahu a été choqué par les manifestations massives et la vague de grèves qui balaient l'Égypte, son principal allié arabe dans la région, ainsi que par l'irruption simultanée d'une opposition sociale en Israël même.
Ces dernières semaines, il y a eu plusieurs manifestations dans les villes à majorité arabes d'Israël en soutien aux manifestations égyptiennes, y compris une petite manifestation à Tel-Aviv réunissant des Israéliens d'origines palestinienne et juive. De plus, les journaux israéliens ont noté en passant des expressions de la sympathie de la population pour les manifestations de masse en Égypte appelant à la fin du régime de Moubarak.
Ce n'est pas le cas du gouvernement israélien. Discours après discours, le Premier ministre Benyamin Netanyahu a prévenu que si la dictature de Moubarak tombait, le chaos allait l'emporter. Bien que les Frères musulmans n'aient pas le soutien de la majorité et qu'ils ont dit très clairement qu'ils n'ont pas l'intention de diriger de manifestations contre Moubarak, Netanyahu ne cesse de soulever le spectre de la révolution islamique en Iran : les islamistes, c'est-à-dire les Frères musulmans, prendraient le contrôle de l'Égypte, abrogeraient l'accord de paix de Camp David signé en 1978-79, et s'attaqueraient à Israël. Netanyahu essaye d'insinuer que la chute de la dictature de Moubarak serait un événement auquel Israël pourrait s'opposer par la force.
La classe dirigeante israélienne craint les événements d'Égypte de deux manières. En premier lieu, l'Égypte – avec son économie importante, sa population de 80 millions d'habitants et le contrôle du Canal de Suez – est le principal allié d'Israël dans la région. Elle a joué un rôle crucial dans l'étranglement de la résistance à la dépossession du peuple palestinien.
Autre élément tout aussi important, les conditions qui ont entraîné la révolution en Égypte prévalent également en Israël : le chômage et le sous-emploi des jeunes ; les prix qui augmentent ; la polarisation sociale de plus en plus prononcée ; et une élite dirigeante corrompue et antidémocratique personnifiée par Netanyahu lui-même. Israël est une poudrière sociale, caractérisée par des inégalités sociales énormes et la pauvreté, gouverné par une kleptocratie réactionnaire.
Ces contradictions sociales sont récemment venues sur le devant de la scène quand la fédération des syndicats israéliens, Histadrut, a déclenché officiellement un conflit social affectant les travailleurs du secteur public et de certains du secteur privé. Cela lui donne le droit d'appeler à une grève générale deux semaines plus tard. Elle demande que Tel-Aviv agisse rapidement pour réévaluer le salaire minimum, réduire les prix du pain et de l'eau, mettre fin aux taxes sur le carburant, ainsi que des actions pour réduire le prix des logements. C'est une tentative tardive d'avertir les cercles dirigeants que la classe ouvrière Israélienne est sur le point de se révolter.
L'arrêt des grèves et des manifestations des travailleurs par Histadrut a joué le rôle principal dans l'apparition d'Israël sur la liste des pays les plus inégaux du monde. Les syndicats donnent cependant le signe qu'ils sont profondément inquiets du risque d'explosion du mécontentement social en Israël.
Netanyahu a rapidement annoncé qu'il préparait des mesures pour répondre à ces revendications. Elles comprennent une réduction du prix des transports en commun de 10 pour cent, une augmentation de 122 $ (90 euros) du salaire minimum mensuel, et l'annulation de la récente taxe sur les carburants qui avait fait monter les prix à 8,5 $ le gallon (1,66 euros le litre).
C'est la crainte du développement d'une lutte unifiée des travailleurs en Égypte et en Israël contre la guerre et l'oppression capitalistes qui anime la politique de Netanyahu.
Tout en se préparant à la guerre avec l'Égypte, Israël travaille directement avec les autorités égyptiennes pour faire taire les masses égyptiennes. Le fait qu'il œuvre avec Suleiman n'est pas un hasard. Il était l'homme d'Israël contre les Palestiniens, et c'est le candidat de Tel-Aviv pour remplacer Moubarak comme président, comme le montrent des communications diplomatiques américaines publiées par WikiLeaks. Le journal Ma'ariv, citant un proche collaborateur de Netanyahu, a indiqué que le Premier ministre a téléphoné à Suleiman pour lui proposer d'utiliser des agents des renseignements israéliens pour mener diverses opérations nécessitant des spécialistes pour mettre fin aux manifestations.
La semaine dernière, pour la première fois depuis que les accords de Camp David avaient interdit la présence de troupes dans le Sinaï, Netanyahu a accepté que l'Égypte y envoie 800 soldats. Cela en conséquence de la propagation de l'agitation à El Arish et dans la péninsule du Sinaï, où les bédouins, qui mènent une rébellion contre Moubarak depuis quelque temps, ont tué au moins 12 officiers de police lors d'escarmouches armées le week-end dernier. Les troupes égyptiennes ont depuis combattu contre les forces des bédouins à plusieurs reprises, y compris durant un combat de deux heures à la frontière de la Bande de Gaza le 7 février.
Les politiciens Israéliens et les chefs militaires se préparent à la guerre au cas où le régime de Moubarak tomberait et serait remplacé par un gouvernement qui ne convienne pas à Tel-Aviv. Netanyahu, a déclaré au Parlement qu'Israël doit se tenir prêt à toutes les éventualités en Égypte, « en renforçant la puissance de l'Etat d'Israël. » Un représentant du ministère de la défense a déclaré qu'un changement fondamental de gouvernement en Égypte risque d'entraîner une « révolution de la doctrine de sécurité d'Israël, » parce que les accords de Camp David étaient une garantie stratégique importante, "qui permettent à l'IDF [l'armée israélienne] de se concentrer sur d'autres théâtres d'opérations. »
Après la défaite de l'Égypte face à Israël dans les guerres de 1967 et 1973, et les soulèvements de masse contre le prix des denrées alimentaires en 1977, le président Anwar Sadate s'aligna sur Washington et signa un accord de Paix avec Israël à Camp David en 1978 et 1979. La signature de Sadate signifiait la fin des efforts de l'Égypte à manœuvrer entre Moscou et Washington et de tout semblant d'indépendance de l'impérialisme. Elle provoqua la colère des forces islamiques qui assassinèrent Sadate en 1981, ouvrant la voie du pouvoir à Moubarak, son vice-président, qui allait gouverner en utilisant l'état d'urgence qui a été continuellement renouvelé et étendu.
La signature de Sadate était le prix à payer pour obtenir le soutien américain à son régime en difficulté. Elle entraîna la fin de l'état de guerre, la reconnaissance de l'Etat d'Israël et la normalisation des relations commerciales. La moitié des approvisionnements en gaz d'Israël vient maintenant d'Égypte, et Israël a le droit de passer librement par le Canal de Suez, la Mer rouge et les détroits de Tiran. La contrepartie s'est montée à 60 millions de dollars en aide américaine, soit la deuxième après celle accordée à Israël.
Pour Israël, le traité de paix avec Égypte a permis l'incorporation illégale de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et du Plateau du Golan, dans un « Grand Israël. » À partir de la conférence de Madrid en 1991, le traité de paix a également permis à Israël de réduire son énorme budget militaire, passant de 30 pour cent du PIB dans les années 1970 à 9 pour cent aujourd'hui, de réduire sa présence militaire au Sinaï et l'âge maximum du service de réserve, et de se concentrer sur la lutte contre les insurrections plutôt que contre la menace d'une invasion par terre et par airs.
Ne craignant plus la guerre, Israël, qui s'enorgueillit d'être la « seule démocratie » du Moyen-Orient, a insisté sur le fait qu'elle était contrainte de travailler avec des autocraties brutales comme celle de Moubarak à cause de la menace toujours présente des fondamentalistes musulmans. Maintenant que des millions de gens sont descendus dans la rue pour renverser leur gouvernement, l'élite dirigeante d'Israël est contrainte de révéler la fausseté de ses affirmations. En réalité, Israël soutient les dictatures arabes en raison de l'aide qu'elles lui apportent pour contrôler les masses arabes ainsi que la classe ouvrière israélienne.
Comme l'a écrit Amira Hass dans Haaretz au sujet de l'effet des événements en Égypte sur les Palestiniens, « Il y a un moment miraculeux de soulèvement populaire, quand la peur de la machine de répression ne retient plus les gens dans leur ensemble et que la machine commence à se désagréger en toutes ses composantes – qui sont aussi des gens. Ils cessent d'obéir et commencent à réfléchir. Où est-ce moment pour nous ?
Hass poursuit, « Ne nous laissons pas duper. Il n'y aura pas de confusion ici. Des instructions précises, claires et immédiates, seront données aux soldats israéliens. L'IDF qui a lancé l'opération Plomb fondu ne renoncera pas à son passé. Même si c'est une marche de 200 000 civils sans armes – l'ordre sera donné de tirer. »
C'est en effet le genre de méthodes que l'Etat israélien et ses soutiens à Washington ont l'habitude d'utiliser. Cependant, la classe dirigeante israélienne craint les conséquences qu'auraient une réponse à l'opposition sociale de la classe ouvrière israélienne avec des méthodes aussi brutales. C'est pourquoi Netanyahu cherche à diviser les travailleurs juifs et arabes, et à empêcher une lutte unie pour les droits sociaux et démocratiques contre les fauteurs de guerre de la classe capitaliste.
(Article original paru le 11 février 2011)
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