Israël choqué par les manifestations en Égypte et les tensions sociales
internes
Par Jean Shaoul
17 février 2011
Le gouvernement de droite du ministre israélien Benyamin Netanyahu a été
choqué par les manifestations massives et la vague de grèves qui balaient
l'Égypte, son principal allié arabe dans la région, ainsi que par
l'irruption simultanée d'une opposition sociale en Israël même.
Ces dernières semaines, il y a eu plusieurs manifestations dans les
villes à majorité arabes d'Israël en soutien aux manifestations égyptiennes,
y compris une petite manifestation à Tel-Aviv réunissant des Israéliens
d'origines palestinienne et juive. De plus, les journaux israéliens ont noté
en passant des expressions de la sympathie de la population pour les
manifestations de masse en Égypte appelant à la fin du régime de Moubarak.
Ce n'est pas le cas du gouvernement israélien. Discours après discours,
le Premier ministre Benyamin Netanyahu a prévenu que si la dictature de
Moubarak tombait, le chaos allait l'emporter. Bien que les Frères musulmans
n'aient pas le soutien de la majorité et qu'ils ont dit très clairement
qu'ils n'ont pas l'intention de diriger de manifestations contre Moubarak,
Netanyahu ne cesse de soulever le spectre de la révolution islamique en Iran
: les islamistes, c'est-à-dire les Frères musulmans, prendraient le contrôle
de l'Égypte, abrogeraient l'accord de paix de Camp David signé en 1978-79,
et s'attaqueraient à Israël. Netanyahu essaye d'insinuer que la chute de la
dictature de Moubarak serait un événement auquel Israël pourrait s'opposer
par la force.
La classe dirigeante israélienne craint les événements d'Égypte de deux
manières. En premier lieu, l'Égypte – avec son économie importante, sa
population de 80 millions d'habitants et le contrôle du Canal de Suez – est
le principal allié d'Israël dans la région. Elle a joué un rôle crucial dans
l'étranglement de la résistance à la dépossession du peuple palestinien.
Autre élément tout aussi important, les conditions qui ont entraîné la
révolution en Égypte prévalent également en Israël : le chômage et le
sous-emploi des jeunes ; les prix qui augmentent ; la polarisation sociale
de plus en plus prononcée ; et une élite dirigeante corrompue et
antidémocratique personnifiée par Netanyahu lui-même. Israël est une
poudrière sociale, caractérisée par des inégalités sociales énormes et la
pauvreté, gouverné par une kleptocratie réactionnaire.
Ces contradictions sociales sont récemment venues sur le devant de la
scène quand la fédération des syndicats israéliens, Histadrut, a déclenché
officiellement un conflit social affectant les travailleurs du secteur
public et de certains du secteur privé. Cela lui donne le droit d'appeler à
une grève générale deux semaines plus tard. Elle demande que Tel-Aviv agisse
rapidement pour réévaluer le salaire minimum, réduire les prix du pain et de
l'eau, mettre fin aux taxes sur le carburant, ainsi que des actions pour
réduire le prix des logements. C'est une tentative tardive d'avertir les
cercles dirigeants que la classe ouvrière Israélienne est sur le point de se
révolter.
L'arrêt des grèves et des manifestations des travailleurs par Histadrut a
joué le rôle principal dans l'apparition d'Israël sur la liste des pays les
plus inégaux du monde. Les syndicats donnent cependant le signe qu'ils sont
profondément inquiets du risque d'explosion du mécontentement social en
Israël.
Netanyahu a rapidement annoncé qu'il préparait des mesures pour répondre
à ces revendications. Elles comprennent une réduction du prix des transports
en commun de 10 pour cent, une augmentation de 122 $ (90 euros) du salaire
minimum mensuel, et l'annulation de la récente taxe sur les carburants qui
avait fait monter les prix à 8,5 $ le gallon (1,66 euros le litre).
C'est la crainte du développement d'une lutte unifiée des travailleurs en
Égypte et en Israël contre la guerre et l'oppression capitalistes qui anime
la politique de Netanyahu.
Tout en se préparant à la guerre avec l'Égypte, Israël travaille
directement avec les autorités égyptiennes pour faire taire les masses
égyptiennes. Le fait qu'il œuvre avec Suleiman n'est pas un hasard. Il était
l'homme d'Israël contre les Palestiniens, et c'est le candidat de Tel-Aviv
pour remplacer Moubarak comme président, comme le montrent des
communications diplomatiques américaines publiées par WikiLeaks. Le journal
Ma'ariv, citant un proche collaborateur de Netanyahu, a indiqué que le
Premier ministre a téléphoné à Suleiman pour lui proposer d'utiliser des
agents des renseignements israéliens pour mener diverses opérations
nécessitant des spécialistes pour mettre fin aux manifestations.
La semaine dernière, pour la première fois depuis que les accords de Camp
David avaient interdit la présence de troupes dans le Sinaï, Netanyahu a
accepté que l'Égypte y envoie 800 soldats. Cela en conséquence de la
propagation de l'agitation à El Arish et dans la péninsule du Sinaï, où les
bédouins, qui mènent une rébellion contre Moubarak depuis quelque temps, ont
tué au moins 12 officiers de police lors d'escarmouches armées le week-end
dernier. Les troupes égyptiennes ont depuis combattu contre les forces des
bédouins à plusieurs reprises, y compris durant un combat de deux heures à
la frontière de la Bande de Gaza le 7 février.
Les politiciens Israéliens et les chefs militaires se préparent à la
guerre au cas où le régime de Moubarak tomberait et serait remplacé par un
gouvernement qui ne convienne pas à Tel-Aviv. Netanyahu, a déclaré au
Parlement qu'Israël doit se tenir prêt à toutes les éventualités en Égypte,
« en renforçant la puissance de l'Etat d'Israël. » Un représentant du
ministère de la défense a déclaré qu'un changement fondamental de
gouvernement en Égypte risque d'entraîner une « révolution de la doctrine de
sécurité d'Israël, » parce que les accords de Camp David étaient une
garantie stratégique importante, "qui permettent à l'IDF [l'armée
israélienne] de se concentrer sur d'autres théâtres d'opérations. »
Après la défaite de l'Égypte face à Israël dans les guerres de 1967 et
1973, et les soulèvements de masse contre le prix des denrées alimentaires
en 1977, le président Anwar Sadate s'aligna sur Washington et signa un
accord de Paix avec Israël à Camp David en 1978 et 1979. La signature de
Sadate signifiait la fin des efforts de l'Égypte à manœuvrer entre Moscou et
Washington et de tout semblant d'indépendance de l'impérialisme. Elle
provoqua la colère des forces islamiques qui assassinèrent Sadate en 1981,
ouvrant la voie du pouvoir à Moubarak, son vice-président, qui allait
gouverner en utilisant l'état d'urgence qui a été continuellement renouvelé
et étendu.
La signature de Sadate était le prix à payer pour obtenir le soutien
américain à son régime en difficulté. Elle entraîna la fin de l'état de
guerre, la reconnaissance de l'Etat d'Israël et la normalisation des
relations commerciales. La moitié des approvisionnements en gaz d'Israël
vient maintenant d'Égypte, et Israël a le droit de passer librement par le
Canal de Suez, la Mer rouge et les détroits de Tiran. La contrepartie s'est
montée à 60 millions de dollars en aide américaine, soit la deuxième après
celle accordée à Israël.
Pour Israël, le traité de paix avec Égypte a permis l'incorporation
illégale de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et du Plateau du Golan, dans
un « Grand Israël. » À partir de la conférence de Madrid en 1991, le traité
de paix a également permis à Israël de réduire son énorme budget militaire,
passant de 30 pour cent du PIB dans les années 1970 à 9 pour cent
aujourd'hui, de réduire sa présence militaire au Sinaï et l'âge maximum du
service de réserve, et de se concentrer sur la lutte contre les
insurrections plutôt que contre la menace d'une invasion par terre et par
airs.
Ne craignant plus la guerre, Israël, qui s'enorgueillit d'être la « seule
démocratie » du Moyen-Orient, a insisté sur le fait qu'elle était contrainte
de travailler avec des autocraties brutales comme celle de Moubarak à cause
de la menace toujours présente des fondamentalistes musulmans. Maintenant
que des millions de gens sont descendus dans la rue pour renverser leur
gouvernement, l'élite dirigeante d'Israël est contrainte de révéler la
fausseté de ses affirmations. En réalité, Israël soutient les dictatures
arabes en raison de l'aide qu'elles lui apportent pour contrôler les masses
arabes ainsi que la classe ouvrière israélienne.
Comme l'a écrit Amira Hass dans Haaretz au sujet de l'effet des
événements en Égypte sur les Palestiniens, « Il y a un moment miraculeux de
soulèvement populaire, quand la peur de la machine de répression ne retient
plus les gens dans leur ensemble et que la machine commence à se désagréger
en toutes ses composantes – qui sont aussi des gens. Ils cessent d'obéir et
commencent à réfléchir. Où est-ce moment pour nous ?
Hass poursuit, « Ne nous laissons pas duper. Il n'y aura pas de confusion
ici. Des instructions précises, claires et immédiates, seront données aux
soldats israéliens. L'IDF qui a lancé l'opération Plomb fondu ne renoncera
pas à son passé. Même si c'est une marche de 200 000 civils sans armes –
l'ordre sera donné de tirer. »
C'est en effet le genre de méthodes que l'Etat israélien et ses soutiens
à Washington ont l'habitude d'utiliser. Cependant, la classe dirigeante
israélienne craint les conséquences qu'auraient une réponse à l'opposition
sociale de la classe ouvrière israélienne avec des méthodes aussi brutales. C'est
pourquoi Netanyahu cherche à diviser les travailleurs juifs et arabes, et à
empêcher une lutte unie pour les droits sociaux et démocratiques contre les
fauteurs de guerre de la classe capitaliste.
(Article original paru le 11 février 2011)