WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
Tandis que la résistance se poursuit contre les coupes du président Nicolas
Sarkozy dans les retraites, l'intersyndicale a annoncé hier qu’elle appellerait
à une nouvelle journée d’action nationale durant la semaine du 22 au 27
novembre. Le 27 octobre, le parlement a adopté définitivement le projet de loi
réduisant les retraites, mais les syndicats ont continué d’appeler à des
journées de mobilisation nationales le 28 octobre et le 6 novembre. Les
syndicats ont dit que la date et les « modalités » de la journée d’action de fin
novembre seraient précisées la semaine prochaine.
Par cette démarche, les syndicats signalent qu’ils n’organiseront pas de résistance soutenue contre les coupes qui ont été votées en dépit d’une écrasante opposition populaire. Bien que les sondages aient révélé qu’entre 65 et 71 pour cent de la population soutenaient les grèves contre la loi, les syndicats ont isolé une puissante grève des travailleurs du secteur pétrolier en n’organisant aucune action de solidarité alors que Sarkozy envoyait les CRS briser les grèves. Néanmoins, les dirigeants syndicaux sont confrontés à des protestations continues organisées par les travailleurs et les étudiants partout dans le pays.
Juste avant la réunion, les dirigeants syndicaux étaient divisés quant à la position à adopter: une capitulation immédiate devant les coupes de Sarkozy ou bien l’organisation d’une nouvelle action sur la base de cette perspective en faillite consistant à supplier Sarkozy de rediscuter les détails de la loi. Sarkozy n’a apporté aucune modification significative à la loi sur les retraites durant le mouvement de grève.
Le dirigeant de la Confédération générale du travail (CGT), Bernard Thibault, a dit : « Nous sommes favorables à une autre journée de mobilisation interprofessionnelle en novembre, » en ajoutant : « On voit que le gouvernement va s’efforcer de tourner la page. Nous allons lui faire la démonstration que ce boulet, il va le traîner aussi longtemps qu’il n’acceptera pas de rediscuter. »
Plusieurs autres dirigeants syndicaux, tout en ne voulant pas exprimer directement leur hostilité à la grève, ont clairement fait savoir qu’ils souhaitaient la fin des protestations. Le dirigeant de la Confédération française des Travailleurs chrétiens (CFTC), Jacques Voisin, a déclaré : « On ne va pas continuer à faire des manifestations tous les huit jours comme cet automne. »
Le dirigeant de la Confédération française démocratique du Travail (CFDT), François Chérèque a déjà manifesté son opposition à d’autres grèves en proposant « une négociation sur l’emploi des jeunes et des séniors » avec le Mouvement des entreprises de France (Medef), la principale organisation patronale. Le Medef s’apprête à avoir des « délibérations sociales bilatérales » avec divers syndicats. La CFDT, la CFTC et Force ouvrière (FO) ont déjà accepté l’invitation du Medef à discuter.
L’hostilité à un nouveau mouvement de grève est cependant partagée par tous les syndicats. Le journal Le Point a fait remarquer que « les dirigeants syndicaux reconnaissent en privé qu’il faut passer à autre chose. » Il a cité la responsable de la CGT, Nadine Prigent, qui a proposé « des formes décentralisées, des débrayages, des initiatives séparées, » autrement dit, écarter toute réponse unifiée de la classe ouvrière.
Les délibérations ont duré plusieurs heures. Pascal Pavageau de FO a précisé, « On voit bien qu’en termes de modalités d’action, il y a une difficulté à se mettre d’accord. » FO n’a pas signé le communiqué publié par l’intersyndicale.
Signe de la désillusion existant au sein d’une large couche de la population par rapport à la ligne droitière des syndicats, des travailleurs et des jeunes se sont rassemblés près du lieu de la réunion en scandant : « Grève générale. Thibault, Chérèque, Mailly, la grève n’est pas finie. »
D’importantes sections de travailleurs et de jeunes continuent de lutter contre le gouvernement Sarkozy et la loi sur les retraites. Après la défaite de la grève dans le secteur pétrolier, leurs luttes – isolées par les syndicats et ne bénéficiant d’aucune perspective politique de la part des partis existant en France – se limitent de plus en plus à des lieux de travail et des établissements scolaires combatifs.
Il y a eu des protestations dans plusieurs universités à travers le pays. Plusieurs centaines d’étudiants à l’université Lyon 2 ont manifesté dans les rues du centre ville. Les manifestants ont réclamé la libération des manifestants emprisonnés suite aux protestations du 21 octobre à Lyon et ont appelé les lycéens à rejoindre les manifestations.
Les lycéens n’ont pas rejoint en grand nombre les manifestations depuis leur départ en vacances la semaine passée. Avec la grève dans le secteur pétrolier, leur mobilisation de masse, avec blocages de centaines de lycées de par le pays a joué un rôle majeur dans les protestations. L’Union nationale des Etudiants de France (Unef) a lancé un appel aux étudiants à participer aux manifestations de samedi.
Des manifestants ont déclaré à Lyon-Capitole qu’un autre objectif important était de « bousculer » l’intersyndicale qu’ils ont qualifiée de « bureaucratique. » Le personnel administratif a fermé l’université.
Selon le Progrès de Lyon, à Saint Etienne environ 120 étudiants ont organisé une manifestation hier. Mercredi matin les forces de police avaient attaqué des étudiants qui bloquaient des bâtiments de l’université de Saint Etienne, ville située à côté de Lyon. Le président de l’université, Khaled Bouabdallah, avait critiqué le blocage comme étant « préjudiciable à la sécurité des personnes et des biens. »
Les étudiants de l’université de Lettres de Toulouse-Le Mirail ont voté jeudi le blocage de l’université pour exiger le retrait de la loi sur les retraites. Les étudiants ont dit qu’ils se réuniront à nouveau mardi prochain pour savoir s’ils poursuivraient le blocage. En gros, 400 étudiants ont défilé dans Toulouse en scandant des slogans contre le chômage. Deux autres universités de Toulouse (Capitole et Le Sabatier) ont également voté en faveur de grèves contre les coupes sociales.
Les étudiants de Toulouse ont dit à La Dépêche que leur objectif était de donner un nouveau souffle à l’opposition contre la réduction des retraites.
Les étudiants de l’université de Montpellier 2 (sciences et techniques) et 3 (arts et littérature) ont bloqué leur université et projeté d’organiser un manifestation de protestation jeudi soir.
De nombreux lieux de travail étaient toujours en grève et bloqués. Parmi ceux-ci on trouve l’hôpital Marchant à Toulouse, les usines d’incinération de déchets de Saint Ouen et d’Ivry-sur-Seine près de Paris et les services de transports publics de nombreuses villes. Plusieurs aéroports étaient en partie bloqués par les manifestants dont Toulouse Blagnac, Nantes, l’aéroport Charles de Gaulle près de Paris, Clermont-Ferrand et Lyon.
L’agence Pôle emploi a appelé à la grève le 9 novembre pour protester contre les réductions d’effectif et les mauvaises conditions de travail.
L’Etat et les syndicats luttent pour empêcher que des protestations ne se déclenchent à nouveau dans d’autres industries qui avaient été touchées antérieurement par les grèves. Des sources syndicales de la CGT ont fait état de la possibilité que les travailleurs des terminaux pétroliers de Marseille reprennent la grève. Bien que la CGT ait refusé de publier un communiqué sur les conditions dans lesquelles ils ont négocié une reprise du travail, on soupçonne qu’ils n’ont rien obtenu à part le paiement des jours de grève.
Sarkozy s'en est pris aux travailleurs du port de Marseille dans un brutal accès de colère en disant qu’il était « désolé qu’Anvers [en Belgique] soit devenu le premier port français parce qu’on a les problèmes qu’on sait. » Il a critiqué les grévistes comme étant « une infime minorité [qui] ne comprend pas que les ports ne leur appartiennent pas. »
Il y a aussi le risque que les actions de protestation se propagent à l’industrie française de l’automobile durement touchée et qui a connu de nombreuses fermetures d’usines après le déclenchement de la crise économique mondiale. Le médiateur, nommé par l’Etat pour superviser les pourparlers entre les syndicats et la direction de Continental, l’équipementier automobile, a annoncé hier qu’il mettait un terme à sa mission. Continental veut imposer une baisse de salaire de 8 pour cent dans ses trois usines de la région Midi-Pyrénées, dans les alentours de Toulouse, et qui emploient 2.500 travailleurs.
La question cruciale à laquelle sont à présent confrontés les travailleurs en lutte contre Sarkozy est de mettre en place des organisations et de lancer un appel politique à la mobilisation de vastes sections de la classe ouvrière dans une lutte pour le renversement du gouvernement. Il devient de plus en plus évident à une grande partie de la population que les syndicats et les autres organisations existantes ne remplissent pas ce rôle et qu’ils sont hostiles à la classe ouvrière.
Une assemblée générale interprofessionnelle de la gare de l’Est à Paris a affiché une déclaration dénonçant les syndicats. « La stratégie de l’intersyndicale de ne pas s’appuyer sur les secteur en grève pour étendre ce mouvement est un échec pour tous les travailleurs. Au lieu de cela, l’intersyndicale se contente d’appeler à deux nouvelles kermesses les 28 octobre et 6 novembre » – dates des dernières journées d’action organisées par les syndicats.
Elle a mis en garde que l’intersyndicale « n’hésitera pas à laisser démarrer de nouveaux secteurs en grève reconductible les uns après les autres pour essayer de nous décourager, de nous épuiser afin d’éviter l’émergence d’un mouvement de masse. »
La tâche cruciale à laquelle sont confrontés les travailleurs est de former des comités d’action pour organiser les luttes indépendamment des syndicats et des partis de « gauche. » L’objectif d’un tel mouvement doit être des grèves politiques de masse contre le gouvernement Sarkozy dans le but de le renverser pour le remplacer par un gouvernement ouvrier luttant pour une politique socialiste, en France et internationalement.
Cette perspective – qui ne pourra émerger que d’une lutte politique impitoyable contre l’influence des organisations existantes – est la seule base viable pour impliquer l’ensemble de la classe ouvrière dans la lutte contre la politique d’austérité en France.
(Article original paru le 5 novembre 2010)
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