Au mois de juillet, le gouvernement allemand a préparé
un plan d’urgence pour les pays incapables de repayer leurs dettes aux
banques européennes. Ce plan, discuté en comité restreint par une cabale de
dirigeants politiques et d’experts financiers, priverait dans les faits
certains gouvernements de la possibilité de déterminer eux-mêmes de larges
portions de leur politique économique et budgétaire.
Selon un article du magazine allemand Der
Spiegel, un document fut rédigé à ce sujet, à la demande de la chancelière
allemande Angela Merkel et du ministre des Finances Wolfgang Schäuble, par un petit
groupe d’experts n’excédant pas la douzaine. Les délibérations à
propos de ce nouveau plan ont été des plus discrètes dans le but de ne pas
effrayer les marchés monétaires.
En mai, l’Allemagne, avec d’autres
gouvernements européens et le FMI (Fonds monétaire international) avait
approuvé l’instauration d’un fonds de secours sans précédent de 750
milliards d’euros (945 milliards de dollars). Ce fonds devait servir à
refinancer la dette des pays de la zone euro ayant des difficultés à la rembourser.
La chancelière allemande craint à présent que le plan de Berlin ne soit vu
comme un vote de censure vis-à-vis des mesures de secours prises en mai.
Lorsque le plan fut révélé, à la suite d’une fuite, l’euro a chuté.
Le nouveau plan de Berlin prévoit pour
l’essentiel une restructuration de la dette pour les pays en difficulté
de la zone euro. Les premières économies concernées sont actuellement celles de
la Grèce, du Portugal et de l’Espagne, mais un certain nombre
d’autres pays ont eux aussi des problèmes à repayer les prêts contractés
auprès des banques étrangères et pourraient devenir candidats à être secourus. Selon
ce plan, on attend de ces pays, en échange d’une restructuration de leur
dette, qu’ils cèdent une bonne partie du contrôle qu’ils ont sur
leurs économies.
Pour citer les mots du projet de document de
Berlin, ce processus « exigera une restriction des pouvoirs
discrétionnaires souverains ». Le réel contrôle de la politique budgétaire
serait alors exercé par « un individu ou un groupe d’individus
familiers des caractéristiques régionales de la nation endettée ». Cet
« individu ou groupe d’individus » serait nommé par un comité
d’experts, connu en Allemagne sous le nom de Club de Berlin.
Développant la notion sous-tendant le plan allemand,
Schäuble déclarait : « Lorsqu’une entreprise est déclarée en
faillite, les créanciers doivent abandonner une partie de leurs créances. La même
chose s’appliquerait à une banqueroute nationale. »
Il faut considérer attentivement les paroles de
Schäuble. Ce qu’il déclare c’est que les Etats en défaut de
paiement seront traités de la même manière que des entreprises en faillite
– qu’on restructure, démonte et force à céder le véritable contrôle
de leurs budgets à une agence extérieure.
Dans un commentaire fait à propos du plan de
Berlin à la mi-juillet, le Financial Times remarquait que là où les
mesures européennes destinées à enrayer la crise financière du continent ont
échoué, d’autres mesures étaient nécessaires.
Le Times écrit ensuite : « Il
y a des choses utiles dans ce plan », mais « le problème avec le plan
de l’Allemagne, c’est qu’il va trop loin….Des individus
extérieurs seraient nommés par une autorité supranationale pour protéger les
affaires financières du débiteur, l’obligeant à abandonner certains
pouvoirs souverains ». Un tel plan « placerait la nation débitrice
dans une position de soumission coloniale. Si jamais on l’acceptait, cela
serait explosif du point de vue politique… Lorsque des Etats souverains
font défaut ce qui est requis est une table de conférence, pas une chambre de
torture. »
Le Financial Times est la voix du monde
international de la finance et soutient sans réserves les intérêts de celle-ci.
Ce journal se sent toutefois obligé de mettre en garde contre les conséquences
politiques possibles de la prise en main d’une économie étrangère telle
qu’elle est actuellement discutée en Allemagne.
Un certain nombre de conclusions importantes
est à tirer des plans en préparation à Berlin.
Près de trois années après le début de la crise
financière, celle-ci a atteint un stade nouveau et potentiellement encore plus
explosif. Le 23 juillet seront publiés les résultats des ‘Stress Tests’
effectués sur 91 banques européennes. Bien que ces tests aient été conçus de
manière à cacher autant de choses qu’elles n’en révèlent, certains
analystes financiers prédisent qu’ils pourraient révéler des problèmes
majeurs pour une dizaine ou même une vingtaine de banques. Si c’est le
cas, on aura besoin de milliards d’euros supplémentaires pour renflouer
ces banques et racheter leurs « avoirs toxiques ».
Inquiet de ce que les mesures de secours de la
zone euro soient insuffisantes pour renflouer les banques européennes en
difficulté et les économies à problèmes, le gouvernement allemand élabore pour
l’Europe un plan d’urgence à lui.
Les propositions pour un Club de Berlin
exacerberont aussi les antagonismes nationaux sur l’ensemble du
continent. Comme le note le Spiegel : « Les pays directement
ou potentiellement menacés de faillite comme la Grèce, le Portugal et
l’Espagne, se rebelleront contre les propositions de Berlin. Pourquoi
devraient-ils approuver des règles qui rendraient plus facile aux autres pays
européens de leur refuser de l’aide en cas d’urgence ? »
Le plan de Berlin rendra aussi plus difficiles
les relations avec les voisins de l’Allemagne y compris la France qui se
montre déjà extrêmement critique vis-à-vis de la réponse allemande à la crise
financière et son recours de plus en plus fréquent à des initiatives
unilatérales.
Finalement, le plan allemand révèle la totale
incapacité de l’élite dirigeante à agir vis-à-vis de la présente crise en
restant dans le cadre de la démocratie bourgeoise. Schäuble avait, il y a peu,
reconnu cette vérité qu’aucun ministre n’aime admettre en public: que
les gouvernements sont aux ordres des marchés financiers. Pour apaiser les
marchés, Schäuble demande à présent que les pays qui font défaut soient traités
comme des entreprises en faillite et placés sous administration judicaire, et
veut leur dicter ses conditions. C’est là la formule de l’autarcie
financière et de la dictature.
L’Europe a déjà fait l’expérience
du gouvernement par des « comités d’experts » non élus ces dernières
années. De tels comités furent mis en place par l’élite politique pour effectuer
les programmes drastiques d’austérité de la Hongrie en 2009 et 2010 et de
la République tchèque en 2010. Le récent plan allemand fait un pas important de
plus : il va jusqu’à l’imposition d’un régime semi dictatorial
par un groupe d’« experts » non élus et sis à Berlin.
Les discussions sur l’abandon de
principes démocratiques acquis en échange d’alternatives autoritaires
sont bien avancées au sein des milieux dirigeants allemands et européens. La
population laborieuse d’Europe doit préparer sa propre alternative en
construisant un parti international socialiste ayant pour programme les Etats
socialistes unis d’Europe.