Le 1er juillet, l’Allemagne prenait le commandement
de la troupe d’intervention rapide de l’OTAN dans la région nord de l’Afghanistan,
envoyant ainsi pour la première fois une unité de combat dans la région.
La troupe d’intervention rapide (QRF) comptant
200 soldats allemands bien équipés est stationnée à Mazar-e-Sharif et sera
surtout déployée dans le nord de l’Afghanistan pour assurer des missions de
combat. Des déploiements dans les régions du sud du pays ravagées par la guerre
ne sont pas exclus. La durée de la mission QRF n’est pas limitée dans le temps,
mais sa durée de planification militaire est évaluée entre 10 et 15 ans. Jusque-là,
le rôle de la QRF avait été assumé par une unité norvégienne qui se trouvait
déjà, depuis 2006, dans la zone de compétence allemande.
Le ministre allemand de la Défense Franz Josef
Jung (Union chrétienne-démocrate, CDU) a souligné qu’il fallait que la
population allemande comprenne bien que le déploiement de nouvelles troupes
était à haut risque.
Les circonstances du transfert de
commandement, lundi dernier, montrent clairement à quel point l’armée allemande
est déjà impliquée dans une guerre qui ne cesse de s’intensifier. Au moment
même où avait lieu la cérémonie militaire en l’honneur du départ des nouvelles
troupes allemandes, des soldats allemands stationnés en Afghanistan étaient
victimes d’une attaque à quinze kilomètres de Koundouz. Deux soldats furent
blessés lors d’une attaque à la bombe. Selon un rapport de l’armée, leurs
blessures ne sont pas mortelles.
Mercredi dernier, des unités de talibans
employèrent un missile antichar pour abattre un hélicoptère qui amenait des
troupes de la coalition dans la zone de Kaboul et lundi dernier un attentat
suicide perpétré devant l’ambassade de l’Inde dans la capitale afghane tuait
une quarantaine de personnes.
La résistance contre les troupes d’occupation
croît nettement. Les attaques se multiplient non seulement contre les troupes
engagées dans la coalition internationale Operation Enduring Freedrom (OEF)
commandée par les Etats-Unis, et qui a à maintes reprises perpétré des
massacres contre la population civile dans le sud et dans l’est du pays, mais aussi
contre la force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) et que la
propagande allemande aime bien à présenter comme oeuvrant pour la
reconstruction et la paix. Le nombre d’attaques faisant des morts et des
blessés a considérablement augmenté ces derniers mois.
Mercredi dernier, le commandant en chef des
forces de l’OTAN, le général américain John Craddock, a divulgué des
informations concernant la détérioration de la situation en Afghanistan. Selon
son rapport, le nombre d’affrontements entre les troupes de l’ISAF et les
talibans a augmenté de 41 pour cent depuis le printemps. Le site internet icasualties.org
rapporte qu’au mois de juin plus de soldats alliés ont été tués en Afghanistan
(45) qu’en Irak (30). C’est le taux le plus élevé enregistré depuis la chute du
régime taliban à la fin de 2001. Dans les deux pays, la plupart des victimes
militaires sont américaines.
Le général Craddock qui avait supervisé la
prison de Guantanamo, a profité de ces chiffres pour réclamer que l’Europe
renforce ces efforts militaires. Il a expliqué que les troupes de l’OTAN
avaient besoin d’un meilleur équipement militaire pour rejoindre plus
rapidement les zones de combat et d’un assouplissement des nombreuses
restrictions imposées aux troupes par les gouvernements nationaux.
Un rapport de 72 pages publié la semaine
dernière par le ministère américain de la Défense expose également l’ampleur de
la résistance contre les troupes d’occupation alliées des Etats-Unis, de
l’OTAN, de l’ONU et de l’Union européenne.
Le rapport décrit la résistance talibane en
Afghanistan comme un « soulèvement indestructible » et pronostique
que les talibans maintiendront ou augmenteront leur présent taux d’attaques
d’ici la fin de 2008. Le rapport affirme aussi que les troupes occidentales
risquent d’être engagées sur deux fronts de lutte consistant en talibans dans
le sud du pays et en une coalition de divers groupes d’insurgés dans l’est de
l’Afghanistan.
En mai dernier avait eu lieu la deuxième plus
grande intervention militaire avec participation allemande dans le nord de
l’Afghanistan. Quelque 60 soldats allemands avaient été impliqués dans la
soi-disant « Opération Karez ». L’offensive fut menée par le général
de brigade Dieter Dammjacob, le chef du commandement régional nord de l’ISAF.
Selon le site internet German-Foreign.Policy.com,
le but de l’offensive avait été de reprendre le contrôle d’un territoire perdu
l’année dernière par l’OTAN au profit des insurgés. A l’époque, au cours de sa
première intervention armée sous commandement allemand (« Operation
Harekate Yolo »), l’ISAF avait organisé une répression sanglante contre
les insurgés de la région. Les deux missions furent effectuées par l’unité
norvégienne de la Quick Reaction Force (QRF) avec le soutien de l’armée afghane.
Selon des articles de journaux, la dernière
offensive militaire en date eut lieu en dehors de la zone de compétence
allemande et, selon toute probabilité, en violant les directives prévues par le
mandat obtenu du parlement allemand pour un déploiement de troupes allemandes
en Afghanistan.
Lors du transfert de commandement, Dammjacob a
remercié la QRF norvégienne et son commandant Kjell Inge Baekken. La QRF avait
participé à la récente opération « Karez » contre les talibans
« avec une force militaire décisive », a-t-il déclaré. Baekken a
répliqué en disant qu’il était très difficile de prédire ce à quoi les
Allemands pourraient s’attendre dans les prochains mois : « Mais, il
y a des dangers là-bas. »
Il ne fait pas de doute que le récent
transfert de commandement entraînera les troupes allemandes dans des
confrontations sanglantes. Il représente une nouvelle étape dans le renouveau
du militarisme allemand qui pour une grande partie de la période d’après-guerre
avait été strictement limité par la constitution allemande.
L’expansion des activités militaires allemandes
Dans le même temps, l’armée allemande veut
renforcer les troupes en Afghanistan d’un millier de soldats supplémentaires.
C’est ce qu’a annoncé la semaine dernière le ministre allemand de la Défense. A
l’avenir, 1000 soldats allemands supplémentaires rejoindront les 3500 hommes
déjà en poste en Afghanistan « pour avoir une réaction rapide et plus
flexible en cas de détérioration de la situation, » a précisé Jung.
L’augmentation prévue du contingent à 4500 soldats correspond effectivement au
quadruplement des effectifs allemands dans ce pays depuis que l’armée allemande
a débuté sa mission, il y a sept ans.
Le Bundestag décidera cet automne s’il
augmente ou non l’envoi de troupes, mais il est d’ores et déjà clair qu’une
grande majorité de députés existe en sa faveur, au sein de la coalition
dirigeante (SPD et CDU-CSU) ainsi qu’au sein de l’opposition des Verts et du
Parti pro patronal FDP (Parti libéral démocrate). Le seul parti à rejeter le
déploiement de troupes est La Gauche. Il existe toutefois des signes selon
lesquels La Gauche est prête à se servir du déploiement de troupes en
Afghanistan comme d’un instrument de marchandage pour s’assurer de sa
participation dans un avenir proche à une coalition gouvernementale.
Le mandat actuel accordé par le parlement au
contingent allemand en Afghanistan expire le 13 octobre prochain et Jung
projette de le proroger jusqu’en décembre 2009. Une prolongation de 14 mois au
lieu des 12 mois usuels est censée empêcher que le déploiement allemand ne
devienne un sujet de débat lors des élections parlementaires prévues pour
l’automne de l’année prochaine.
L’augmentation prévue des troupes a été
accueillie favorablement quasiment à l’unanimité par le CDU-CSU et le SPD. Pour
Niels Annen, le vice-président de la gauche parlementaire du SPD, « c’est
ok » et n’implique pas de changement fondamental de la nature du
déploiement. Certains Verts par contre ont exprimé des inquiétudes. La
direction du parti accepte en fait l’augmentation comme étant
« compréhensible d’un point de vue militaire. »
De nombreux commentateurs ont essayé
d’expliquer l’intensification des activités militaires allemandes comme étant
une réaction à la pression exercée à la fois par les Etats-Unis et l’OTAN. Ceci
n’est pourtant qu’une partie de l’explication. En réalité, l’actuelle grande
coalition ne fait qu’intensifier la politique militaire allemande commencée par
son prédécesseur en l’occurrence le gouvernement de coalition entre le SPD et
les Verts.
C’était le ministre des Affaires étrangères
des Verts, Joschka Fischer, qui avait insisté pour envoyer des troupes
allemandes en Yougoslavie en 1998 et qui avait aussi joué un rôle primordial
dans l’envoi de troupes allemandes en Afghanistan. En 2001, il avait présidé la
conférence de Petersbourg qui avait placé Hamid Karzaï, un laquais complètement
lié aux Etats-Unis, à la tête du gouvernement intérimaire.
Depuis des mois, en jouant le rôle de
commentateur politique, Fischer ne cesse de plaider pour que l’Allemagne intensifie
son rôle politique et militaire au niveau européen et mondial dans le but de
défendre les intérêts économiques des patrons allemands. A bien des égards, il
incarne et exprime le plus clairement les intérêts de l’élite dirigeante
allemande.
A maintes reprises Fischer a appelé à une
coopération plus étroite entre les puissances européennes (avant tout de
l’Allemagne et de la France), y compris une armée européenne d’intervention
plus autosuffisante, avec l’Allemagne occupant le siège du conducteur, bien
entendu.