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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Le gouvernement allemand fait pression pour déployer son armée au Liban

Par Peter Schwarz
19 septembre 2006

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Le mercredi 13 septembre, le gouvernement allemand a pris la décision d’envoyer des navires de sa marine de guerre vers le Liban. Dans le cadre d’une mission des Nations Unies, ces navires auront pour tâche d’intercepter les livraisons d’armes destinées au Hezbollah. On s’attend à ce que cette intervention soit entérinée par le parlement allemand (Bundestag) cette semaine, ouvrant ainsi la voie au déploiement immédiat de frégates de guerre.

Depuis le début des discussions qui ont eu lieu aux Nations Unies sur une supervision internationale du cessez-le-feu dans le conflit libanais, le gouvernement allemand a voulu à tout prix s’engager militairement dans la région en crise. Contrairement à d’autres interventions militaires allemandes où l’on avait du moins fait comme si on n’acceptait qu’à contrecœur et à grand regret d’y participer, Berlin a cette fois pressé l’ONU de recourir à ses militaires. 

L’encre de la résolution de cessez-le-feu du 12 septembre était à peine sèche que les propositions en provenance des cercles gouvernementaux berlinois à propos d’une contribution militaire allemande fusaient déjà. Le secrétaire général du parti social-démocrate (SPD), Kurt Beck donna le ton, suivi du ministre de la défense, Franz Josef Jung, du ministre de l’intérieur Wolfgang Schäuble et du président de la République, Horst Köhler (tous trois CDU). Deux jours plus tard, la presse annonçait que le gouvernement s’était mis d’accord sur le principe d’une intervention militaire et qu’une session extraordinaire du parlement aurait lieu bientôt.  

Outre l’envoi de la marine de guerre allemande pour surveiller les côtes libanaises, on évoqua encore la possibilité d’un déploiement de la police des frontières allemande à la frontière syro-libanaise, une proposition qu’on a ensuite, après que le gouvernement syrien s’y fût vivement opposé, discrètement laissé tombé. Jung, le ministre de la Défense, s’est même enorgueilli de vouloir une « mission de combat ».     

Les préparatifs militaires s’immobilisèrent lorsqu’il s’avéra que les troupes allemandes n’étaient pas du tout les bienvenues au Liban. La requête officielle du gouvernement libanais, nécessaire du point de vue du droit international, mettait du temps à arriver. A Beyrouth, on voyait la Bundeswehr non pas comme une armée apportant la paix, mais comme une armée d’occupation et l’Allemagne comme ayant une position partisane et étant incapable de jouer un rôle d’arbitre neutre dans le conflit avec Israël. La population libanaise était bien consciente du fait que le gouvernement dirigé par Angela Merkel (CDU) avait soutenu Israël et les Etats-Unis de façon inconditionnelle durant les bombardements israéliens dévastateurs qui avaient duré plus d’un mois, n’avait pas critiqué une seule fois ces attaques destructrices et n’avait même pas appelé à un cessez-le-feu.

Ce sont avant tout les partis chiites qui représentent 40 pour cent de la population libanaise, qui considèrent la surveillance des côtes par la marine allemande comme une violation de la souveraineté libanaise. Le mouvement Amal du président du parlement libanais Nabib Berri et le Hezbollah n’ont accepté un déploiement militaire allemand qu’à certaines conditions. Ils ont tout d’abord exigé la levée immédiate du blocus maritime israélien, qui a paralysé l’économie libanaise pendant des mois. Ils ont demandé en outre que les bateaux de guerre allemands restent à une distance de six à douze milles nautiques de la côte et qu’il ne leur soit permis de fouiller d’autres bateaux qu’avec l’accord de la marine libanaise. Cela fut refusé en retour par le gouvernement allemand et avant tout par le gouvernement israélien.  

Dans ces conditions, les négociations sur une mission militaire allemande au Liban traînèrent pendant des semaines. Après de longs marchandages diplomatiques auxquels fut aussi mêlé le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, Israël a finalement levé son blocus aérien et maritime. A présent, des navires français, grecs et italiens patrouillent le long de la côte libanaise, en attendant l’intervention de la marine allemande.

La requête officielle du gouvernement libanais parvint finalement aux Nations Unies lundi. Elle était liée à la condition que les navires de guerre maintiennent une distance d’au moins six milles nautiques de la côte et qu’ils patrouillent sous pavillon des Nations Unies, condition qui fut rejetée par les Nations Unies. Selon les modalités de la mission approuvée mardi, la flotte allemande appuyée par celles d’autres pays, patrouillera sur toute la longueur de la côte libanaise et le contingent allemand est autorisé à employer la force. La présence d’un officier libanais sur chaque navire est considérée comme suffisante pour assurer au gouvernement libanais un respect au moins symbolique de sa « souveraineté ».  

La question qui se pose ici est la suivante : pourquoi le gouvernement allemand tient-il tant à sa propre intervention militaire au Liban, une intervention non seulement fort coûteuse mais encore à haut risque ?

Selon l’expert militaire Hans Rühle, qui occupa pendant des années de hautes fonctions au ministère de la Défense et à l’OTAN, il y a « pour les soldats allemands bon nombre de risques militaires qu’on peut identifier concrètement ». Il compte parmi ces risques des attaques terroristes à l’aide de hors-bord, selon le modèle de l’attentat perpétré contre le destroyer américain Cole, ou des attaques à l’aide de missiles téléguidés. Un de ces missiles avait touché la corvette israélienne Hanit en juillet à quinze kilomètres de la côte libanaise.

Le gouvernement avance deux raisons pour justifier son intervention : d’une part la garantie du droit à l’existence d’Israël, d’autre part ses propres desseins humanitaires et pacifiques.

La chancelière Angela Merkel expliqua au cours du débat sur le budget au Bundestag « Si la raison d’Etat de l’Allemagne exige toutefois de garantir le droit à l’existence d’Israël, nous ne pouvons pas simplement dire : si dans cette région le droit à l’existence d’Israël est menacé, et il l’est, nous ne nous en mêlerons pas. Si nous voulons participer au nécessaire processus humanitaire et politique, alors il est très difficile de dire : que d’autres prennent la  responsabilité de la composante militaire de cette politique. »

Le ministre des Affaires étrangères, Walter Steinmeier (SPD) avança des arguments similaires. Il affirma que « jamais un contingent de soldats allemands n’avait été envoyé dans une région pour y apporter la destruction ou y accroître l’influence allemande ». « Ce gouvernement ainsi que ses prédécesseurs ont toujours essayé par leurs décisions de superviser des accords de paix, d’apporter la stabilité aux gens ou de mettre fin aux expulsions et au meurtre de masse ». La Bundeswehr doit de la même manière « faire en sorte que les armes se taisent aussi à l’avenir dans cette région. »

La version officielle selon laquelle l’Allemagne serait obligée, pour des raisons  historiques, de défendre « le droit à l’existence d’Israël », ce qui revient à une acceptation non critique de la politique du gouvernement israélien, et de garantir la paix au Moyen-Orient avec la Bundeswehr, se retrouve dans la plupart des commentaires publiés par les médias. Un simple rappel des événements récents montre l’absurdité de ces assertions.

L’attaque du Liban par Israël faisait partie de la tentative de la part des impérialistes d’imposer un nouvel ordre dans tout le Moyen-Orient et qui avait commencé avec l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak ; l’objectif de ces efforts était la mainmise des Etats-Unis sur toute la région. L’opération militaire libanaise avait été préparée de longue date et se fit avec le soutien sans restriction des Etats-Unis. Israël avait intensifié les attaques aériennes contre le Liban bien avant l’enlèvement de deux soldats israéliens par les milices du Hezbollah. Cet enlèvement ne fit que leur fournir le prétexte voulu leur permettant de commencer une campagne de terreur  par des bombardements qui détruisirent une grande partie de l’infrastructure du pays et tuèrent plus d’un millier de personnes. 

« L’objectif militaire immédiat, l’élimination du Hezbollah en tant que force militaire et politique du Liban », écrivions-nous peu de temps après le début de l’offensive aérienne israélienne,  « est dirigée contre toute résistance de masse qui pourrait s’avérer être un obstacle à la domination israélienne et américaine sur le pays. Pour le gouvernement Bush et ses alliés à Jérusalem, c’est là un pas nécessaire afin d’éliminer d’abord le régime baasiste syrien et de mener ensuite une guerre totale contre l’Iran » (voir l’article du 22 juillet 2006 : « Les véritables objectifs de la guerre menée contre le Liban par Israël avec l’appui des Etats-Unis »). 

Depuis, le journaliste renommé Seymour Hersch a démontré dans un article écrit pour le magazine New Yorker comment des services américains et israéliens avaient préparé en commun l’attaque du Hezbollah et avait considéré celle-ci comme la répétition générale d’une guerre contre l’Iran.

Jérusalem et Washington n’acceptèrent un cessez-le-feu que lorsque l’armée israélienne eut échoué, après un mois de terreur par les bombardements, à briser le Hezbollah et qu’ils se virent confrontés à la colère croissante vis-à-vis d’Israël, des Etats Unis et des principaux régimes arabes. Mais leur échec au Liban a affaibli durablement leur autorité politique et militaire. 

C’est la véritable raison pour laquelle tant l’Allemagne que les autres puissances européennes se précipitent avec tant d’ardeur au Moyen-Orient. Elles veulent soutenir les Etats-Unis dans leur rôle de gendarmes internationaux et en partie les remplacer. Elles voient aussi là une occasion de prendre pied dans une région où pendant longtemps ce sont les Etats-Unis qui avaient donné le ton. 

Karl Kaiser, un expert en politique internationale qui dirigea dans le passé la Société allemande de politique extérieure et qui enseigne à présent à l’Université de Harvard, l’a formulé sans fard dans un commentaire écrit pour le quotidien  Süddeutsche Zeitung sous le titre « Les Européens montent au front ».

Il constate d’abord que l’intervention militaire au Liban avait « en rapport avec les conséquences de la politique précédente du gouvernement Bush, changé le rapport des forces dans la région, notamment au détriment d’Israël et de la capacité d’action des Américains ». Le danger existe selon lui « que le front anti-israélien qui se fondait jusque-là sur le nationalisme des Etats arabes laïques, ne se change en un front panislamique et donc à motivation religieuse qui pourrait être plus vaste et plus militant. »

L’Europe est par conséquent appelée à agir : « Dans ce paysage stratégiquement modifié, l’importance de l’Europe augmente. La politique du gouvernement Bush a, même aux yeux des régimes arabes modérés, tant affaibli la réputation des Etats-Unis que leur propre capacité d’agir en tant qu’intermédiaires s’en est vue profondément réduite. Dans une telle situation l’Union Européenne se doit, dans l’intérêt de l’Occident Israël inclus, jouer un rôle important en tant qu’initiateur et en tant qu’intermédiaire et d’assurer ce rôle à travers le déploiement de ses propres ressources ».

Par « ressources », on entend ici les capacités militaires. Une tentative de la part de l’UE d’exercer un contrôle militaire sur le Moyen-Orient « dans l’intérêt de l’Occident, Israël inclus » a sa logique propre et prévisible. Elle entraînera inévitablement les soldats européens dans un conflit avec la population d’une région qui a été au coeur des intérêts et des intrigues impérialistes depuis l’effondrement de l’empire ottoman.

Elle va aussi faire entrer les pays qui s’étaient tenus à l’écart de la guerre en Iraq dans une spirale de conflits sanglants. En Afghanistan, où l’OTAN a pris le relais des Etats-Unis dans la direction des opérations militaires, une telle évolution est déjà visible. Au Liban, il n’en sera pas autrement. Il faut donc s’opposer résolument au déploiement de la marine de guerre allemande. 

(Article original publié le 14 septembre 2006)

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