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WSWS : Nouvelles et analyses : États-Unis

Alors que Washington est dominé par l'affaire Foley

Condoleezza Rice échappe à des accusations sur le 11-Septembre

Par Bill Van Auken
9 octobre 2006

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La fixation du Washington officiel et des grands médias sur les courriels du congressiste Mark Foley, un républicain de Floride, et sur la tentative des dirigeants républicains de la Chambre des représentants d’étouffer le fait qu’il harcelait de jeunes pages masculins a été utilisée pour détourner l’attention du public sur des tentatives d’étouffer d’autres crimes beaucoup plus sérieux.

L’affaire Foley a jeté la lumière sur la corruption et l’hypocrisie officielle qui caractérise l’establishment politique dans son ensemble aux Etats-Unis. Le spectacle d’un parti qui a fait des « valeurs familiales » son cri de bataille et qui cherche à utiliser l’homophobie et l’arriération religieuse à des fins politiques et qui se fait prendre dans un tel scandale a sans l’ombre d’un doute un attrait populaire.

Pour les démocrates, cette affaire offre un bâton politique bien pratique et qui ne force pas le deuxième parti du monde des affaires américain à avancer une seule politique qui diffère en substance de celles mises de l’avant par les républicains sur les questions de politique étrangère ou intérieure.

Mais le temps et les ressources — sans même mentionner l’intérêt lubrique — que les médias ont consacré à exposer les courriels et les messages ne se comparent pas au quasi-silence sur les révélations — rapportées pour la première fois le 28 septembre, le jour même où les courriels de Foley ont été rendu publics sur ABC News­ — dans le dernier livre de Bob Woodward, State of Denial [Etat de déni].

La révélation la plus accablante est celle que l’ancien directeur de la CIA George Tenet et que l’ancien responsable du contre-terrorisme de la CIA J. Cofer Black ont cherché à obtenir et ont obtenu une rencontre d’urgence avec Condoleezza Rice le 10 juillet 2001 pour discuter de la menace imminente d’un attentat terroriste majeur par al-Qaïda sur des cibles américaines. Ils ont été « écartés » par celle qui était alors la conseillère à la sécurité nationale.

Dans le passage qui nous intéresse, Woodward a écrit :

« Le 10 juillet 2001, deux mois avant les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, celui qui était alors directeur de la CIA, George J. Tenet, a rencontré son chef du contre-terrorisme, J. Cofer Black, au quartier général de la CIA pour passer en revue les dernières informations sur Oussama ben Laden et al-Qaïda, son organisation terroriste. Black a exposé le cas, en se basant sur des communications interceptées et d’autres renseignements ultra-secrets, qu’al-Qaïda attaquerait bientôt les Etats-Unis. Une masse de fragments et de points l’établissait si solidement que Tenet a décidé que Black et lui devaient se rendre immédiatement à la Maison-Blanche.

« Tenet a appelé Condoleezza Rice, qui était alors conseillère en sécurité nationale, de sa voiture et a dit qu’il devait la voir immédiatement… Black et lui espéraient pouvoir lui communiquer la profondeur de leur crainte et que Rice mettrait immédiatement le gouvernement en action sur cette affaire… »

Woodward a écrit que Tenet espérait « secouer Rice » et que Black « insistait que cela consistait en un avertissement stratégique, ce qui signifie que le problème était si grave qu’il exigeait un plan et une stratégie d’ensemble… Ils devaient agir dès cet instant — de façon secrète, militaire, ou peu importe — pour stopper ben Laden... »

Woodward continue : « Tenet et Black ont senti qu’ils n’avaient pas réussi à convaincre Rice. Elle est demeurée polie, mais ils n’ont pas senti qu’elle avait réagi. Le président Bush avait dit qu’il ne voulait pas s’occuper des mouches… »

Les implications accablantes de la conversation rapportée sont évidentes en soi. La principale conseillère du président Bush sur les questions de sécurité nationale a eu un avertissement explicite deux mois seulement avant que des avions de ligne détournés soient lancés sur le World Trade Center et le Pentagone, tuant près de 3000 personnes, et rien ne fut fait.

Black est cité dans le livre pour avoir dit « La seule chose que nous n’avons pas faite fut d’appuyer sur la gâchette du revolver que nous venions de lui mettre sur la tête. »

Dans un reportage subséquent, le McClatchy Newspaper a cité un responsable qui a aidé à la préparation du briefing comme un « 10 sur une échelle de 1 à 10 » quant au sérieux de son avertissement sur l’imminence d’une attaque.

La révélation de cette rencontre suit une exposition similaire qui a eu lieu lors des audiences de la Commission sur le 11-Septembre tenues il y a deux ans. Le 6 août 2001, Bush a reçu une note présidentielle quotidienne de la CIA titrée « Ben Laden est déterminé à attaquer les Etats-Unis ». Comme pour la réunion du 10 juillet, la note n’a suscité aucune action de l’administration et Bush est resté en vacances pour les trois semaines suivantes sur son ranch au Texas.

L’administration Bush a sans cesse invoqué les événements du 11-Septembre pour justifier toutes ses politiques — des guerres d’agression à l’étranger jusqu’à la destruction des droits constitutionnels et démocratiques fondamentaux à l’intérieur. Les révélations portant sur la rencontre du 10 juillet ajoutent un autre élément à la preuve grandissante démontrant que l’administration a été, au mieux, criminellement négligente en ne prenant d’action pour prévenir les attentats qui avaient été largement prédits, au pire, directement complices pour les laisser se produire.

Plus de cinq ans après les attentats, une chose est certaine : personne dans le gouvernement américain n’a été reconnu coupable de la moindre faute. Même si l’on devait considérer la version officielle des événements du 11-Septembre comme exacte, la conclusion inévitable est que cela a représenté le plus grand échec des services américains du renseignement et de la sécurité nationale de l’histoire du pays. Malgré cela, pas un seul responsable de la Maison-Blanche, de la CIA, du Pentagone ou de toute autre agence n’a même subi de rétrogradation.

Le livre de Woodward suggère que les tensions sur la responsabilité du 11-Septembre continuent à générer d’immenses tensions intestines au sein du Washington officiel et que Tenet est déterminé à ne pas être le bouc émissaire des politiques de l’administration Bush. Dans son récent livre, intitulé The One Percent Doctrine [La doctrine du un pour cent], Ron Suskind cite Tenet disant qu’il souhaiterait « pouvoir rendre cette satanée médaille », faisant référence à la médaille de la Liberté que Bush lui a octroyée lorsqu’il a démissionné de ses fonctions à la CIA en 2004.

La réaction de l’administration au livre de Woodward est tout aussi accablante que le livre lui-même. La Maison-Blanche a cherché à discréditer l’auteur, une tâche difficile étant donné que l’administration Bush avait auparavant fait du journaliste vétéran du Washington Post un quasi-courtisan, lui donnant un accès sans précédent pour l’écriture de ses précédents et volumineux livres très louangeurs sur Bush : Plan of Attack et Bush at War [Le plan d’attaque et Bush en guerre].

Dans un geste qui exprimait son inquiétude, l’administration a émis une réponse détaillée à l’endroit du rapport de Woodward, mise en ligne bien en évidence sur le site Internet de la Maison-Blanche. L’idée centrale de cette tentative de réfutation était d’affirmer que l’on n’avait pas camouflé l’existence de la réunion du 10 juillet, et que Rice avait réagi sérieusement aux assertions de Woodward.

Toutefois, après la publication d’extraits du livre de Woodward, Rice a d’abord feint tout ignorer de la conversation avec Tenet et Cofer, parlant d’une « supposée réunion » et ajoutant qu’il était « incompréhensible » qu’elle ait ignoré de tels avertissements. Peu de temps après, le département d’Etat a été forcé d’admettre qu’une étude des enregistrements officiels avait révélé que la rencontre avait bel et bien eu lieu.

Comme solution de réserve, le porte-parole de Rice au département d’Etat, Sean McCormack, a déclaré : « L’information présentée lors de cette réunion n’était pas nouvelle. C’était plutôt un bon résumé des rapports de sécurité des précédentes semaines. »

Cette excuse est presque précisément la même que celle qui avait été donnée en réaction aux révélations concernant le briefing présidentiel du 6 août, sur lequel Rice avait insisté qu’il ne contenait rien de nouveau et qui était de nature « historique. » Ce n’est qu’après que l’administration eut été obligée de rendre le document public qu’il devint clair que celui-ci contenait un avertissement clair et sévère qu’al-Qaïda préparait activement une attaque aux Etats-Unis, précisant que New York et Washington DC constituaient des cibles potentielles.

Avant que le titre de ce document ne soit rendu public, Rice avait insisté — comme elle le prétend maintenant à propos de la réunion du 10 juillet — que le briefing présidentiel ne contenait aucun avertissement d’attaques sur le territoire des Etats-Unis. Elle mentait à ce moment et il est clair qu’elle ment encore aujourd’hui.

McCormack a continué de maintenir que son chef ne pouvait spécifiquement se rappeler de la réunion du 10 juillet au cours de laquelle on lui dit qu’une attaque terroriste massive sur les Etats-Unis était imminente.

Rice n’a pas été la seule à souffrir d’amnésie sélective. Venant à l’aide d’une administration assiégée, l’ancien ministre de la Justice, John Ashcroft, a émis une déclaration qui visait clairement à discréditer Tenet. « Je me rends compte à quel point il est décevant qu’ils ne m’aient pas fait part de ce genre d’informations », a-t-il déclaré le 2 octobre à Associated Press. « Le FBI est responsable du terrorisme intérieur. »

Mais aussitôt que Ashcroft a fait cette déclaration, le département d’Etat a révélé que l’ex-ministre de la Justice avait en effet reçu le même compte-rendu de la CIA, moins d’une semaine après la réunion avec Rice. Une fois de plus, rien ne fut fait. En fait, une chose fut faite : Ashcroft cessa de voyager sur des vols commerciaux.

Les révélations de Woodward ont provoqué des protestations et des remarques de divers membres de la Commission sur le 11-Septembre. Philip Zelikow, directeur exécutif de la commission, a déclaré à la presse qu’aucun témoin ayant comparu devant la commission n’avait fait mention d’une telle réunion, incluant Tenet et Black, qui tous deux avaient fait des déclarations privées et publiques.

 « Si nous avions entendu quelque chose qui aurait attiré notre attention sur cette réunion, cela aurait eu d’énormes répercussions », a-t-il déclaré au New York Times. « A plusieurs reprises, Tenet et Black ont affirmé ne pas pouvoir se rappeler ce qui s’était dit durant certaines de ces réunions. »

Le commissaire démocrate Richard Ben-Veniste, un ancien procureur de l’affaire du Watergate, a déclaré de la même façon au Times que « nous n’avons jamais été informés » de la réunion. » Il a ajouté : « Voilà certainement quelque chose que nous aurions aimé savoir. »

Subséquemment par contre, le Washington Post et d’autres sources ont révélé que Zelikow et Ben-Venist ont été informé de la rencontre durant un témoignage secret donné au quartier général de la CIA par Tenet, qui leur a donné un compte rendu détaillé des informations qu’il avait transmises à Rice. Clairement, Tenet voulait que ses avertissements fassent partie du dossier.

Zelikow, un loyaliste de l’administration et un collègue universitaire de Rice, a, depuis, été nommé à un poste de haut niveau au département d’Etat. Le rapport de la commission sur le 11-Septembre ne fait aucune référence à la rencontre du 10 juillet.

Le McClatchy Newspapers a cité Ben-Veniste à l’effet qu’il reconnaissait que Tenet lui avait donné ainsi qu’à Zelikow, l’information sur le briefing avec Rice lors d’un témoignage secret, mais que Zelikow allait devoir répondre à savoir pourquoi cela n’avait pas été mentionné dans le rapport de la commission. Zelikow n’a pas répondu aux questions sur ce sujet.

Plusieurs des commissaires semblaient sincèrement surpris et en colère que cette rencontre avait été cachée, indiquant qu’ils n’avaient pas été informés du témoignage secret de Tenet.

 « Rien de tout ça n’a été partagé avec nous durant les heures d’entrevue privées, incluant des entrevues sous serment, nous n’avons pas de documents non plus là-dessus, » a dit Timothy J. Roemer, un membre démocrate de la commission et ancien membre de la chambre des représentants de l’Indiana. « Je suis profondément perturbé par tout ceci. Je suis furieux. »

Ces dernières révélations ne laissent pas un iota de crédibilité à l’affirmation répétée de l’administration Bush que les attentats du 11 septembre ne pouvaient pas avoir été anticipées. Ce qui émerge, c’est que non seulement étaient-elles prévisibles, mais des avertissements spécifiques ont été délibérément rejetés par la Maison-Blanche. De plus, l’existence très précisément de ces avertissements a été cachée par une opération de camouflage élaborée qui atteint son point culminant par la commission sur le 11-Septembre.

L’obsession de la Maison Blanche sur l’affaire Foley dans le contexte de ces révélations constitue une poursuite de cette opération de camouflage. L’analyse syntaxique détaillée des déclarations de dirigeants républicains sur ce qu’ils savaient à propos du comportement sexuel de Foley est complètement à l’opposé de l’indifférence des médias et des politiciens des deux partis face aux déclarations contradictoires, évasives et carrément mensongères relativement à un crime qui a causé la plus grande perte en vie humaine sur le sol américain depuis la Guerre civile.

Un crime, au surplus, qui a servi de prétexte pour une éruption globale du militarisme américain qui a tué et estropié des centaines de milliers d’Irakiens et d’Afghans.

La preuve pointe inexorablement vers une conclusion : les attentats du 11 septembre ont été facilités par de puissants éléments au sein du gouvernement lui-même, qui ont organisé un « désengagement » de l’appareil des services américains du renseignement et de sécurité. Qu’une attaque terroriste était sur le point d’être perpétrée était connu et accueilli par ceux qui cherchaient un casus belli pour la mise en œuvre d’un plan de guerre depuis longtemps préparé afin d’assurer l’hégémonie américaine sur les réserves stratégiques de pétrole du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.

 Si la motivation d’enquêter sur ces questions n’est pas grande, c’est parce que toutes les sections de l’establishment politique, incluant les médias et le Parti démocrate, sont si complètement impliquées.

(Article original paru le 7 octobre 2006)

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