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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

Le Canada et la supposée lutte pour la démocratie en Afghanistan

Par Richard Dufour
9 octobre 2006

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L’annonce faite par Ottawa il y a deux semaines que l’opération Méduse s’était soldée par un éclatant « succès » dans la lutte « pour la liberté » en Afghanistan a été doublement démentie : il y a eu recrudescence des attaques menées contres les forces d’occupation de l’OTAN et des reportages parus dans la presse ont dévoilé les liens unissant les forces canadiennes à des éléments criminels sur le terrain.

Un soldat canadien a été tué samedi dans la région de Panjwayi, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Kandahar, lorsque son véhicule blindé a été frappé par un engin explosif improvisé. Quelques jours plus tôt, le mardi 3 octobre, deux autres soldats canadiens étaient tués et cinq autres blessés. La semaine précédente, un autre avait perdu la vie après avoir marché sur une mine, tandis que le 18 septembre, un attentat-suicide avait fauché quatre soldats canadiens.

Ces pertes surviennent toutes dans la région du sud de l’Afghanistan visée par l'opération Méduse. Lancée il y a un mois par les forces d’occupation de l’OTAN sous le leadership du Canada, cette opération était censée avoir chassé les talibans d'un de leurs bastions dans le sud du pays.

Selon un reportage publié dans l’édition du 23 septembre du Globe and Mail, les centaines d’insurgés qui auraient été tués dans le cadre de cette opération n’étaient pas tous des « combattants talibans ». Une bonne partie était plutôt des villageois révoltés contre les exactions commises par la police locale sous l’œil approbatif des forces d’occupation. Ces villageois se seraient tournés vers les talibans qui disent combattre l’occupation étrangère et les abus policiers.

Le Globe cite Talatbek Masadykov, chef de la mission des Nations unies dans le sud de l’Afghanistan, qui décrit la réaction populaire face aux sévices commis par les autorités locales afghanes. « Peut-être que la moitié des éléments “anti-gouvernementaux” actifs dans cette région du sud ont rejoint le mouvement taliban à cause de la conduite de ces mauvaises personnes là. »   

De nombreuses plaintes avaient été logées par des gens de la région de Panjwayi contre les vols et passages à tabac de la police afghane. Des villageois ont dit que la police, formée en grande partie de membres de tribus rivales, s’emparait de leur argent liquide, de leurs téléphones cellulaires et de leurs montres. Même les motocyclettes et les voitures étaient saisies par des patrouilles.

Le Globe, ardent partisan de l’opération de contre-insurrection en Afghanistan, déplore dans son reportage le fait que la région soit peut-être en train de replonger dans les conditions ayant déclenché la révolte des villageois en premier lieu. Progressant dans le sillage des troupes canadiennes après l’opération Méduse, des gangs de policiers se seraient précipités à Panjwayi, où ils ont organisé le saccage de maisons, la mise à feu de boutiques et des extorsions à des points de contrôle.

Dans un autre article, publié jeudi, le Globe rapporte les propos du Colonel Mike Capstick concernant la présence « de personnages plutôt déplaisants au parlement afghan ».

Cet ancien commandant de la première équipe consultative stratégique du Canada à Kaboul est rentré d’Afghanistan à la fin de l’été et parcourt depuis le pays pour faire mousser le soutien à l’intervention canadienne. Le Globe résume ainsi son évaluation de la situation : « des seigneurs tribaux et des trafiquants de drogue se sont faufilés jusqu’à des postes de pouvoir dans le nouveau gouvernement afghan ».

Une telle évaluation, faite par quelqu’un qui connaît le terrain et qui ne peut être soupçonné de sentiments anti-guerre, en dit plus long que les assurances répétées d’Ottawa voulant que les troupes canadiennes soient en Afghanistan pour accompagner le pays sur la voie de la démocratie. 

Ce sont des éléments criminels au niveau local, et un gouvernement à Kaboul installé par Washington et complètement impuissant devant la terrible crise sociale et économique, que soutiennent en Afghanistan les Forces armées canadiennes (FAC). La « chasse aux talibans » menée par ces dernières prend pour cible des villageois révoltés contre les sévices infligés par les éléments douteux justement protégés par les FAC. Autant de faits qui cadrent mal avec les prétentions démocratiques du Canada dans ce pays d’Asie centrale.

Le tableau n’est guère plus reluisant si l’on considère certains des alliés internationaux du Canada.

Prenons le cas du président du Pakistan, le général Pervez Musharraf, qui a récemment tourné en ridicule les plaintes soulevées après la perte de « quatre ou cinq » Canadiens en Afghanistan (le nombre exact est de 40), alors que « nous avons eu 500 cercueils ». Musharraf, qui a usurpé le pouvoir en 1999, s’est montré cinglant lors de son entrevue à la télévision publique canadienne. « Si vous n’êtes pas prêts à subir des pertes en tant qu’armée, alors ne participez à aucune opération », a lancé le dictateur pakistanais.

Une telle indifférence au sort des soldats n’a nullement ébranlé le premier ministre Stephen Harper. Quand on lui demanda de commenter les propos du général-président pakistanais, le chef d’État canadien a esquivé la question, soulignant plutôt que le Pakistan était un « allié important dans la lutte contre la terreur ».

Harper partage en fait les vues Realpolitik exprimées si brutalement par Musharraf : à l’occasion d’un discours prononcé la semaine dernière à Calgary, Harper s’est montré à peine plus subtil en qualifiant la mort de soldats canadiens en Afghanistan de « prix du leadership » sur la scène internationale.

Quant au principal allié international du Canada et parrain de son intervention en Afghanistan, à savoir le gouvernement des États-Unis, sa « lutte au terrorisme » a servi de prétexte à une politique d’agressions militaires commencée en Afghanistan et en Irak ainsi qu’à une érosion historiquement sans précédent des droits démocratiques les plus fondamentaux.

Le mois dernier, à la demande de l'administration Bush, le Congrès américain a adopté une loi qui jette au rancart des articles clés de la Constitution américaine  afin de légaliser la torture et permettre la détention illimitée, sans recours judiciaires, de quiconque sera déclaré par le président des États-Unis être un « combattant ennemi illégal ». 

Il est aussi instructif d’examiner le parcours de Ben Laden, présenté comme l’ennemi numéro un des forces d’occupation occidentales en Afghanistan. Ce dernier a commencé sa carrière politique comme partenaire de la CIA dans une guerre secrète contre le régime pro-soviétique afghan, qui a commencé en 1979 et a duré dix ans. Les États-Unis ont acheminé jusqu’à cinq milliards de dollars en armes meurtrières et en aide financière aux moudjahidin, les milices islamiques dirigées en partie par Ben Laden.

Un dernier point à prendre en compte en jaugeant les prétentions démocratiques du Canada en Afghanistan, c’est l’attitude du gouvernement Harper envers la presse.

Les bonnes intentions affichées d’Ottawa seraient d’autant plus vraisemblables que les médias jouissent de la liberté de couvrir les opérations militaires sur le terrain et de scruter à la loupe les buts de guerre du Canada. Ottawa s’efforce pourtant de bâillonner une presse qui s’est montrée particulièrement servile à relayer le discours militariste du gouvernement Harper.

« Aucun journaliste dans ce pays ne devrait jamais avoir peur ou honte de défendre l’armée canadienne », affirmait Harper il y a deux semaines lors d’un rallye pro-guerre sur la colline parlementaire orchestré par l’État.

Cette remarque visait clairement les mesures disciplinaires annoncées par Radio-Canada à l’endroit d’un reporter qui avait rompu « l’éthique journalistique » en exprimant publiquement son soutien à l’intervention militaire du Canada en Afghanistan. Autrement dit, le gouvernement qui contrôle le budget de la télévision publique canadienne veut s’arroger le droit de lui dicter quoi dire et quoi ne pas dire.

« Les journalistes exercent la liberté de presse, mais les journalistes n’ont pas créé la liberté de presse », a ensuite pontifié l’idéologue de droite devenu premier ministre du Canada. « Cette liberté, toutes nos libertés, ont été créées par les hommes et les femmes de ce pays qui se sont montrés prêts dans notre histoire à sacrifier leurs vies pour ces libertés. »

Harper affichait par là son mépris des droits civiques et son ignorance crasse des luttes qui ont dû historiquement être menées – contre l’arbitraire policier et militaire – pour établir l’ensemble des droits démocratiques.

La protection d’éléments criminels à l’échelle locale, le tournant vers des alliés internationaux qui foulent aux pieds les droits démocratiques, la détermination à transformer ses propres soldats en chair à canon pour se tailler une place sur l’échiquier mondial – telle se présente l’œuvre que poursuit le Canada en Afghanistan.

Son objectif essentiel, par-delà une rhétorique démocratique qui résiste peu à l’analyse, est de faire valoir les intérêts géostratégiques de l’élite dirigeante canadienne.

Dans son discours prononcé à Calgary en présence de l’ambassadeur des États-Unis, à l’occasion d’un dîner où il recevait un prix du centre Woodrow-Wilson, club de réflexion américain, le premier ministre Harper a souligné que son gouvernement voulait faire du Canada « un chef de file sur la scène internationale ».

« Nous voulons faire en sorte », a déclaré Harper, « que notre pays soit en mesure de préserver notre identité et notre souveraineté, de protéger nos intérêts cruciaux et de défendre nos valeurs les plus importantes dans le monde. »

Mais pour que le Canada puisse avoir sa part du butin dans le pillage des ressources de la planète, sa classe dirigeante doit surmonter l’opposition latente, mais profondément ancrée de la population à son projet impérialiste. Cela requiert une rupture décisive avec l’aura pacifiste dont s’est entouré le Canada durant la période de la guerre froide et une campagne tous azimuts pour en ressusciter les traditions militaristes.

C’est pourquoi dans son discours, Harper a fait mention spéciale de la crête de Vimy dans le nord de la France, « qui fut le théâtre de certains des pires combats de la Première Guerre mondiale ». Les troupes canadiennes y ont joué un rôle de premier plan, signant en quelque sorte dans le sang le nouveau statut qu’acquérait par là le Canada en tant que puissance impérialiste, quoique de second ordre.

L’élite dirigeante canadienne espère faire jouer un rôle similaire à son intervention néo-coloniale en Afghanistan. Le coût humain n’en sera pas moins élevé, tant pour les fils et les filles de la classe ouvrière envoyés à des milliers de kilomètres sous le faux étendard de la démocratie, que pour les peuples opprimés de la région.

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