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Allemagne : des dizaines de milliers d’étudiants manifestent contre les
études payantes
Par Helmut Arens
et Françoise Thull
11 juillet 2006
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Le 29 juin, 10.000
étudiants, enseignants, lycéens et parents venants des quatre coins du Land de
Hesse ont manifesté à Wiesbaden contre le projet du gouvernement régional
chrétien-démocrate (Union chrétienne démocrate - CDU) d’introduire des frais
d’études s’élevant à 500 euros par semestre. Un montant de 1.500 euros par
semestre est prévu pour les études de doctorat, une deuxième filière d’études
ou pour les étudiants étrangers hors Union européenne. La loi devrait être
soumise au parlement régional de Hesse en juillet.
La manifestation de
Wiesbaden avait lieu dans le cadre d’une journée d’action nationale organisée
contre les études payantes. A Hambourg, 3.500 étudiants protestaient également
contre la municipalité CDU qui avait décidé le même jour d’introduire des frais
d’études de 500 euros par semestre.
Jusque-là, cela
avait été la Bavière, le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie-du-Nord/Westphalie et la
Basse-Saxe, tous des Länder gouvernés par la CDU, qui avaient introduit ou
décidé d’introduire des frais d’études.
La journée
d’action de Wiesbaden était le point culminant d’une campagne menée par
les étudiants depuis près de deux mois dans l’ensemble des universités de
Hesse. La campagne avait débuté après que le gouvernement régional de Hesse se
soit décidé, le 5 mai, à introduire les frais d’études en dépit du fait que la
constitution du Land de Hesse garantisse une éducation scolaire et
universitaire gratuite.
Il ne s’est pas
passé de journée depuis sans que des assemblées générales comptant des milliers
d’étudiants et que des protestations n’aient lieu quelque part en Hesse. A
Marburg, les bureaux administratifs de l’université furent occupés durant
plusieurs jours et, à Francfort et à Marburg, des autoroutes, des lignes de
tramway et des carrefours importants furent bloqués.
Le ministre des
Sciences et des Arts du Land de Hesse, Udo Corts, a déclaré que l’introduction
de frais d’études pour les étudiants était « raisonnable » car la
nouvelle législation permettait à ces derniers de contracter des emprunts
destinés à financer leurs études et remboursables une fois les études
terminées.
Le financement des
frais d’étude par un emprunt servit également de justificatif au gouvernement
du Land de Hesse pour l’introduction de ces frais alors que la constitution de
Hesse stipule le contraire. Le gouvernement régional avait obtenu à cet effet
un rapport d’expert d’un spécialiste en droit public de Berlin, Christian Comte
Pestalozzo. Le porte-parole de l’Education du SPD (Parti social-démocrate),
Michael Siebel, a commenté ainsi la procédure suivie par le gouvernement
régional CDU: « un rapport d’expert commandé qui a mené à un résultat
commandé ».
Les étudiants du
CROUS local et les opposants aux études payantes rejettent le principe les
frais d’études comme étant antisocial et discriminatoire et menant à une
sélection sociale, à un prolongement de la durée des études et à ce que les jeunes,
notamment ceux issus de couches sociales défavorisées se découragent de faire
des études par peur de s’endetter.
Le CROUS local
conclut en dernière analyse qu’il « devient de plus en plus cher et de
plus en plus compliqué » de poursuivre des études en Allemagne. Plus d’un
quart des étudiants doit survivre avec moins de 600 euros par mois, a déclaré
Hans-Dieter Rinkens, le président du CROUS. « C’est pourquoi, une dépense
de 500 euros de plus par mois représente pour les étudiants plus qu’une simple
bagatelle. »
De nombreux
participants à la manifestation de Wiesbaden proclamaient sur leurs pancartes
et leurs banderoles que l’éducation était un droit fondamental. Une banderole
disait : « Contre les frais d’études – pour l’éducation comme droit
de l’homme ». Sur une autre banderole on pouvait lire :
« Cherche parents adoptifs riches ». Une autre encore qualifiait
Roland Koch, le ministre-président de la Hesse, de « Bourreau au pays des
poètes et des penseurs ».
L’orateur
principal de la manifestation, le président de l’association nationale des
étudiants allemands (ASTA) de l’université de Giessen, Umut Sönmez, décrivit
les projets du gouvernement régional comme un « défi » et qui devait
être traité conformément. Il accusa le gouvernement régional et le
ministre-président Koch de vouloir détruire l’égalité des chances en appelant à
lutter contre l’ensemble de l’orientation politique du gouvernement.
« C’est pourquoi nous ne devons pas seulement empêcher l’introduction des
frais d’études, non, nous devons étendre davantage l’égalité des
chances. »
En Autriche, les
expériences faites par les étudiants ont montré que les inscriptions des
étudiants en université ont immédiatement baissé de 15 pour cent et que moins
d’étudiants issus de familles modestes s’étaient inscrits.
Sönmez rejeta
l’argument des partisans des frais d’études selon lequel l’argent reviendrait
aux universités et aux étudiants et amélioreraient les conditions des études.
Ceci ne pourrait être le cas que pendant une courte durée, dit-il. A long
terme, en raison des difficultés budgétaires des Länder, le financement public
serait obligatoirement réduit.
Selon le Frankfurter
Zeitung, des exemples en provenance d’autres pays, montrent certes, qu’à
court terme, l’introduction de frais d’études pourrait améliorer la situation
financière des universités, à long terme cependant, elle occasionne un
véritable changement de paradigme, délaissant le financement public en faveur
du financement privé.
Bien que les
milieux politiques affirment qu’une bonne éducation est la clé de tout
développement futur, les chiffres de l’Institut national de la Statistique
montrent que le financement public de l’éducation n’a cessé de baisser depuis
2002.
Dans la nuit du 22
juin, la police de Hesse a monté une provocation massive contre les
manifestations étudiantes. Au début des manifestations elle avait fait preuve
d’une certaine retenue. Avec le démarrage de la Coupe du monde de football elle
chercha à intimider de plus en plus le mouvement de protestation. Le président
de la police de Francfort menaça ouvertement de traiter les manifestants comme
des criminels.
Après que des
manifestations eurent lieu à nouveau après le 21 juin, deux escadrons de police
dispersèrent violemment une fête de la solidarité qui avait lieu dans la Maison
des étudiants sur le campus de l’université de Francfort. Ils interpellèrent 47
personnes, y compris le concierge de la Maison des étudiants, leur passant des
menottes en plastique, les retenant au poste de police pendant dix heures et en
prélevant leurs empreintes digitales.
Le prétexte avancé
par la police était que deux vitres d’une librairie et d’une agence de voyages
avaient été brisées dans le voisinage et qu’elle devait procéder à un contrôle
d’identité des participants à la fête.
La police accorda
tout d’abord au président de l’association nationale des étudiants allemands,
Amin Benaissa, qui fut immédiatement alerté, un ultimatum de cinq minutes pour
arrêter la fête. Alors que les pourparlers étaient encore en cours, la police
donna l’ordre d’évacuer les lieux. Elle n’était nullement intéressée à une
solution négociée déclara Benaissa. Il qualifia l’intervention de la police
d’« attaque délibérée contre le mouvement » et de
« provocation ». De nombreux étudiants partagent cet avis.
Des reporters du World
Socialist Web Site parlèrent à des étudiants lors de la manifestation de
Wiesbaden :
Andreas, est
étudiant en sociologie à Mayence et habite à Francfort.
« Je suis au
courant des manifestations qui se sont passées la semaine passée à Francfort.
Je dois dire, que la façon de plus en plus répressive avec laquelle la police
applique, à la veille de la Coupe du monde de football, les soi-disant
précautions sécuritaires, l’intensification de ses menaces et la prise d’assaut
du Café des étudiants dans la Maison des étudiants de Francfort n’est, d’après
moi, pas digne de la démocratie que nous sommes supposés avoir ici.
Ceci n’a plus rien
à voir avec le fait de maintenir un consensus social de base. Lorsque je vois
comment, au mépris de la constitution en vigueur en Hesse, des frais d’études
sont introduits, lorsque je vois comment le droit fondamental de la liberté de
manifester est foulé aux pieds par le président de la police et le ministre de
l’Intérieur, je me demande vraiment, qui met en question le consensus social de
base. Ce ne sont pas les étudiants, mais le gouvernement régional et le chef de
la police.
J’avoue que cela
me chagrine profondément. L’on fait tout simplement comme si les étudiants
étaient les méchants qui veulent faire du mal. En réalité c’est le
contraire. »
Manuel est
étudiant en chimie et Daniel en sciences politiques à Francfort
« Si lesdits
frais d’études étaient introduits, cela allongerait considérablement la durée
de nos études, vu que nous devons tout financer au moyen de petits boulots. Et
cela va aux dépens des études. Un prêt social à un taux d’intérêt de 7,5 pour
cent est tout à fait éhonté alors qu’il est tout à fait possible de se procurer
un financement bien plus avantageux pour l’achat d’une voiture. C’est une
option tout à fait inacceptable, ce n’est pas social, comme l’exige d’ailleurs
la constitution du Land de Hesse. Dans cette optique, ceci représente même à
mon avis une violation de la constitution.
Je vois un lien
avec la France ou bien avec la situation dans le monde en ce que tout est de
plus en plus intensément soumis aux lois du marché, que tout est orienté vers
le marché. On oublie souvent que l’économie est là pour les hommes et pas le
contraire. Je vois tout simplement un lien dans les agissements des
politiciens. Je ne discerne pas encore d’unité par-dessus les frontières, mais
j’espère que cela viendra. »
Hannes étudie le
journalisme, les sciences de l’éducation et des sports à Leipzig
« Nous sommes
venus de Leipzig avec un groupe d’environ 60 personnes. Nous manifestons pour
une éducation gratuite et pour dire non aux frais d’études.
Les étudiants de
Leipzig déclarent leur solidarité avec les étudiants qui sont pour l’instant
touchés ou risquent d’être touchés par les frais d’études. Et nous sommes même
convenus d’aller plus loin, de non seulement déclarer notre solidarité de façon
symbolique, mais de participer activement aux manifestations. Il est tout à
fait prévisible qu’au fur et à mesure que les frais d’études seront introduits
dans les Länder environnants, la pression augmentera au sein du gouvernement de
Saxe d’en faire de même. De ce fait, nous sommes tributaires d’une
interconnexion des manifestations étudiantes au niveau fédéral.
Il existe
certainement des similarités avec la France pour ce qui est des formes de
protestation et de leur organisation. En principe, la structure française est
telle qu’il est possible de manifester plus rapidement et plus spontanément. La
vague de protestation en France a déferlé par-dessus la frontière, on a pu s’en
apercevoir, notamment en Rhénanie-du-Nord/Westphalie et en Hesse. Des
manifestations massives s’y sont produites mais il fut relativement difficile
d’organiser une mobilisation au niveau national. C’est pourquoi j’espère que la
manifestation de Wiesbaden et aussi celle de Hambourg auront un très grand
succès et que dans cette perspective la manifestation du 6 juillet à Francfort
sera un grand succès. »
Konstantin,
étudiant en sociologie à Mayence
« Nous venons
tout juste de franchir le pont Theodor Heuss. Je viens d’être stoppé par la
police qui m’a obligé à décliner mon identité et, pour la simple raison que
j’avais un mégaphone en main, je fus tout de suite traité de meneur.
Ensuite, alors que
je tenais mon téléphone mobile envoyer un court message, il me fut confisqué
par la police qui invoqua, pour se protéger, le « droit à sa propre
photo » [droit de la personnalité]. Après que la police n’ait trouvé
aucune trace de photo, elle me restitua mon téléphone en me présentant des
excuses. Je crois que les forces de l’ordre sont très, très nerveuses. Elles
ont peur et elles sont incertaines.
Nous espérons que
la police restera calme aujourd’hui. Nous sommes des étudiants qui veulent simplement
ne pas à avoir à payer pour nos études et pour notre éducation en
général. Telles sont nos revendications. C’est pourquoi nous sommes ici
aujourd’hui et recourons à notre droit fondamental qui est la liberté de
manifester. Nous ne pouvons pas comprendre pourquoi l’on traite des
manifestants pacifiques avec une telle dureté. »
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