Encore un signe du dégoût populaire
Le public du festival du film australien invite Mahmoud Habib
à parler du documentaire sur Guantanamo
Par Richard Phillips
3 juillet 2006
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Tandis que le gouvernement de Howard cherche à faire croire
que les «Australiens ordinaires» soutiennent sa soi-disant «guerre contre le
terrorisme» et les attaques sur les droits démocratiques fondamentaux qui vont
avec, un bref événement au récent festival du film de Sydney a fourni une
preuve de plus du dégoût populaire qui s’amplifie envers le gouvernement de
Canberra.
Cela s’est produit le 22 juin au cours du débat qui faisait
suite à la projection du nouveau documentaire, Prisoner 345. Ce film de
50 minutes de Ahmad Ibrahim et Abdullah el-Binni traite de l’emprisonnement par
les Etats-Unis de Sami Al-Haji, cameraman de 36 ans travaillant pour Al Jazeera
et actuellement détenu sans chef d’accusation à Guantanamo Bay.
Al-Haji, qui avait été envoyé par le réseau pour couvrir
l’invasion par les Etats Unis de l’Afghanistan en 2001 avait été fait
prisonnier illégalement pendant cette mission. Il avait été brutalement
interrogé au Pakistan et dans la tristement célèbre base aérienne de Bagram, en
Afghanistan, dirigée par les Américains, avant d’être envoyé à Guantanamo en
juin 2002.
On estime qu’Al-Haji a été interrogé près de 130 fois,
principalement sur les opérations du réseau Al Jazeera. (Le documentaire, dont
nous ferons une critique dans un prochain article sur le festival du film de
Sydney, sera projeté à Melbourne, Auckland, Los Angeles, au Canada et au Liban
dans les prochains mois.)
Après plusieurs échanges de questions et de réponses, une
personne a remarqué la présence de Mahmoud Habib parmi le public. Habib,
ressortissant australien, avait été illégalement arrêté au Pakistan en octobre
2001, envoyé par les autorités américaines en Egypte pendant six mois où il
avait été torturé, contraint de signer de faux aveux, puis transféré à
Guantanamo. Avec le soutien politique actif du gouvernement Howard qui
prétendait que sa détention était nécessaire pour combattre le terrorisme
islamique, il était resté à Guantanamo pendant près de trois ans, avant d’être
rapatrié sans inculpation en Australie fin janvier 2005.
Cette personne parmi le public a dit que Habib était «la
personne la mieux placée» pour commenter le documentaire et a suggéré qu’il
soit invité à parler.
Habib a été chaleureusement applaudi tandis qu’il s’approchait
de la scène et dans un bref discours a dit que le film l’avait «stressé».
«J’ai trouvé très difficile de le regarder», a-t-il expliqué,
parce que c’était une présentation véridique «de la manière dont les militaires
américains traitent tous les gens à Guantanamo».
Habib, qui est un homme calme, a poursuivi en disant que les déclarations
des Etats Unis sur le suicide récent de trois prisonniers dans la prison
militaire américaine étaient des mensonges.
«Il est impossible de se suicider à Guantanamo parce que vous
êtes surveillé en permanence. Il n’y a pas d’endroit dans la cellule où
accrocher quoi que ce soit, et encore moins des draps ou des couvertures, donc
il est impossible de se pendre. Ce sont, là encore, des mensonges sur ce qui se
passe là-bas», a-t-il déclaré.
«Howard dit que David Hicks [Australien de 30 ans incarcéré à
Guantanamo depuis début 2002] est en bonne santé et qu’il n’y a pas de
problème. C’est encore un mensonge. Il a dit la même chose de moi. Comment
peut-on croire ces gens ? Ils mentent aux médias et ils ont menti à ma
femme sur l’endroit où je me trouvais et pourtant ils savaient que j’avais été
envoyé en Egypte pour y être torturé.
«Des représentants australiens au Pakistan m’ont interrogé et
ils étaient parfaitement au courant de ce qui se passait. Des fonctionnaires
australiens m’ont vu à Guantanamo et ils ont vu l’état dans lequel je me trouvais,
mais Howard et Downer n’arrêtaient pas de dire que j’étais en bonne santé», a
dit Habib. «Ne croyez rien de ce que le gouvernement dit au sujet de Guantanamo».
Habib a appelé à la libération de Hicks et a dit que ce qui
bloquait en premier lieu sa libération c’était le gouvernement australien.
«Si Howard demandait à Bush de libérer David Hicks, il pourrait
être chez lui demain», a-t-il déclaré sous des applaudissements fournis.
Habib démonisé
Pendant l’incarcération de Habib au Pakistan, en Egypte et à
Guantanamo, où il était totalement incapable de se défendre, il a été haineusement
calomnié par le gouvernement Howard. Tandis que Maha, la femme de Habib,
appelait désespérément Canberra pour enquêter sur son transfert illégal vers
l’Egypte, le gouvernement ignorait ses appels et apportait son soutien à son
transfert vers Guantanamo.
Des ministres haut placés qui avaient donné à la Maison
Blanche un chèque en blanc pour disposer d’Habib, ont accusé publiquement ce
père de quatre enfants, âgé de 50 ans, issu de la classe ouvrière, d’être un
dangereux terroriste islamique et une menace pour «le mode de vie australien».
En mai 2002, le ministre des affaires étrangères Alexander
Downer a dit au Club de presse australien qu’il n’avait aucune «compassion» pour
Habib et que Canberra ne ferait rien pour garantir ses droits légaux, bien
qu’il n’ait jamais été accusé d’aucun délit par l’administration Bush. L’ancien
procureur général Daryl Williams avait dit aux médias à l’époque que, bien
qu’Habib n’avait pas accès à un avocat, «il n’était privé d’aucun de ses
droits».
En janvier 2004, le procureur général actuel Phillip Ruddock a
dit à des journalistes que le rapatriement de Habib et Hicks «donnerait à
entendre que l’Australie se montrait tendre envers les terroristes». Lorsqu’on
lui a posé des questions sur les reportages faisant mention de la perte de
poids sérieuse de Hicks causée par les sévices physiques et psychologiques
subis à Guantanamo Bay, Ruddock déclara cyniquement : «Quand nous nous
sommes renseignés sur [sa perte de poids] ce que nous avons établi c’est qu’il
faisait ce que de nombreux Australiens font, il faisait un régime. Et peut être
y a-t-il des gens qui veulent lui demander conseil.»
Malgré une quantité énorme de preuves provenant de nombreuses
organisations de défense des droits de l’homme, le gouvernement Howard nie
toujours que Habib, Hicks et d’autres prisonniers de Guantanamo ont été
torturés. Mis à part les Etats-Unis, l’Australie est l’un des seuls pays à
soutenir les procès militaires américains qui vont se tenir pour les
prisonniers de Guantanamo et jusqu’à ce jour le mantra officiel c’est que les
prisonniers sont «en bonne santé» et «bien traités».
Les attaques haineuses du gouvernement de Canberra à l’égard d’Habib
ont été reprises et embellies par les médias de Murdoch, notamment dans le Daily
telegraph, quotidien populaire basé à Sydney, et par des présentateurs de
diverses radios de droite qui ont essayé de dépeindre Habib comme un «espion»
d’Al Quaeda.
Depuis la libération d’Habib, ces médias ont maintenu une
campagne visant à le discréditer et à détourner l’attention des violations, par
les gouvernements Bush et Howard, des droits légaux fondamentaux.
Habib, dont le passeport a été annulé par le gouvernement de
Canberra à son retour en Australie en 2005, a aussi été soumis à toute une
série de provocations. Il reste sous la surveillance constante des services
secrets australiens et de la police fédérale.
Les commentaires d’Habib au festival du film de Sydney et la
réponse chaleureuse du public sont d’une grande signification. Ils démontrent
une fois de plus que la barrière de mensonges érigée par le gouvernement et les
médias ne tiennent pas la route. Ils apportent aussi l’indication du fossé qui
va s’élargissant entre le gouvernement et ses partisans dans les médias d’un
côté, et de larges couches de la population australienne de l’autre.
Comme on pouvait s’y attendre, les journalistes locaux couvrant
le festival ne se sont pas donnés la peine de rapporter les remarques d’Habib
et le Festival du film de Sydney a omis toute mention de sa présence dans la
partie information de son site web.
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