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Canada: Les sociaux-démocrates espèrent soutenir les libéraux au pouvoir après les élections de janvier

Par David Adelaide
Article original paru le 14 janvier 2006

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Comme les partis sociaux-démocrates du monde entier, le Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD) a effectué un important virage à droite au cours des 15 dernières années. Dans la campagne pour les élections fédérales du 23 janvier, le NPD fait tout en son pouvoir pour prouver qu'il est un parti «responsable» et qu'on l'on peut lui faire confiance pour défendre les intérêts de la grande entreprise et défendre l'État canadien. Le plus fervent espoir des sociaux-démocrates dans le prochain parlement, comme dans le précédent, est qu'il soit en situation de soutenir un gouvernement formé par un des partis de la grande entreprise.

Le NPD a mené les précédentes campagnes avec la prétention de gagner assez de sièges pour former le gouvernement mais, dans la présente campagne, il a explicitement concentré ses efforts à obtenir la balance du pouvoir dans un parlement minoritaire. De cette position, du moins c'est ce qu'il affirme, le NPD serait en mesure de faire pression sur les partis de la grande entreprise pour qu'ils effectuent de modestes réformes et augmentent les budgets des services sociaux.

Selon le NPD, le bilan du dernier parlement montre l'efficacité de cette stratégie. De mai à novembre 2005, le NPD était en alliance parlementaire avec le gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin. Le NPD a obtenu des libéraux qu'ils retardent une baisse d'impôts pour les entreprises et qu'ils augmentent un peu les dépenses pour les services sociaux. En échange, le NPD a aidé les libéraux, le parti qui a mené l'assaut sur la classe ouvrière durant les 12 ans qu'il a été au pouvoir, à défaire une motion du Parti conservateur du Canada et du Bloc Québécois (BQ) qui aurait forcé de nouvelles élections.

Bien que le NPD préférerait certainement appuyer un autre gouvernement libéral minoritaire, il n'est nullement exclu que les sociaux-démocrates du Canada travaillent avec les conservateurs de Stephen Harper, dans le cas où les élections résulteraient en un gouvernement conservateur minoritaire. Depuis le début de la campagne, le chef du NPD Jack Layton a invariablement laissé en suspens la question d'une collaboration avec les tories. «Si nous débutions les élections en disant que nous n'allions pas travailler avec d'autres premiers ministres qui sont élus, cela constituerait une très mauvaise attitude», a déclaré Layton lors d'un rassemblement à Vancouver au début décembre.

Le 9 janvier dernier, lorsque le modérateur du deuxième débat des chefs en anglais insista pour que Layton déclare s'il préférerait travailler avec un gouvernement minoritaire libéral ou conservateur, Layton évita la question. Il répondit que le NPD ne «donnerait pas de chèque de blanc à quiconque» et qu'il «se présentait contre les libéraux car ils ne cessent de trahir leurs promesses» et «contre les conservateurs car ils ont tort sur les questions importantes».

La dernière session parlementaire a démontré que le parti de Layton est tout à fait disposé à collaborer avec l'un ou l'autre des deux partis de la grande entreprise du pays. Les présentes élections ont été déclenchées lorsque le NPD a retiré son appui aux libéraux et a voté pour une motion de défiance des conservateurs. Le gouvernement libéral est ainsi tombé sur la base que le scandale des commandites aurait dévoilé l'ampleur de la corruption qui le ronge.

Pour les conservateurs, il était essentiel que les élections portent principalement sur la question de la corruption afin d'éviter les questions sur leur programme de droite et sur leurs liens avec les fondamentalistes religieux et la droite républicaine américaine. Au lieu de présenter sa propre motion de défiance sur les antécédents de droite des libéraux, le NPD décida d'aider les conservateurs dans leurs manoeuvres.

Depuis, la corruption libérale a été le thème central de la campagne électorale, tant pour le NPD que pour les conservateurs. Parmi les partis d'opposition, le NPD est celui qui a pris la tête pour exiger que le ministre des Finances Ralph Goodale démissionne en raison d'allégations selon lesquelles des initiés de Bay Street auraient été préalablement informés d'une annonce libérale sur l'imposition des fiducies de revenus et des dividendes.

De plus, le NPD joua un rôle clé dans l'intervention de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la force policière nationale, dans les élections. Ce fut la critique financière du NPD, Judy Wasylycia-Leis, qui rendit public le fait que la GRC avait entrepris une enquête criminelle au sujet du scandale de délit d'initié, ce que la GRC s'est d'ailleurs empressée de confirmer.

La décision sans précédent de la GRC de révéler à Wasylycia-Leis, et ensuite de faire l'annonce publique au beau milieu d'une campagne électorale qu'elle menait une enquête criminelle était sans l'ombre d'un doute un objectif politique. La GRC tente d'obtenir une victoire des conservateurs à cause de son animosité envers le Parti libéral. De plus, elle estime (correctement) que le parti de Harper va s'assurer que son budget et ses pouvoirs soient augmentés. À cet égard, tout comme pour son rôle dans la défaite du gouvernement libéral, le NPD a été l'outil malléable des manoeuvres de la droite.

Comme les autres partis de l'opposition, le NPD a présenté l'affaire des fiducies de revenus uniquement sous la question de «délit d'initié» alors que la véritable question, du point de vue des intérêts de la classe ouvrière, est la servilité manifeste du gouvernement envers les intérêts de la grande entreprise. Le NPD n'a pas osé mener une campagne contre la décision des libéraux de maintenir l'exemption d'impôt pour les fiducies de revenus et de réduire le taux d'imposition des revenus de dividendes, une bénédiction pour les plus riches sections de la société. Plutôt, la seule question que le NPD a soulevée a été que certains investisseurs aient pu abuser d'autres investisseurs en raison de connaissances préalables sur l'annonce de Goodale du 23 novembre.

La prise de bec au sujet du «vote stratégique»

La contradiction apparente des sociaux-démocrates qui dénoncent les libéraux pour corruption et qui, au même moment, espèrent être en mesure de soutenir un gouvernement libéral en chambre après le 23 janvier s'explique par le fait que le NPD estime qu'il doit se distancer des libéraux afin d'éviter d'être présenté comme «indulgent» face à la corruption et de décourager le «vote stratégique». Des analystes des élections fédérales de 2004 ont montré que plusieurs centaines de milliers d'électeurs qui se préparaient à donner leur appui au NPD ont été convaincus de voter libéral dans les derniers jours de la campagne sur la base que seuls les libéraux pouvaient empêcher l'arrivée au pouvoir des conservateurs, un gouvernement néo-libéral et socialement conservateur.

Dans ces élections, comme aux dernières, les libéraux de Martin veulent se présenter comme alliés philosophiques du NPD, et cela ne fait pas seulement partie d'une tentative calibrée pour courtiser les électeurs du NPD. Les libéraux ont remporté quatre élections de suite en se dépeignant comme un rempart contre les propositions politiques de droite des progressistes-conservateurs, ensuite du Parti réformateur, de l'Alliance canadienne et des conservateurs de Harper pour mettre en oeuvre un grand nombre de leurs politiques une fois élu. Inutile de dire qu'une raison principale pour laquelle Martin s'est tourné vers le NPD le printemps dernier était d'utiliser les sociaux-démocrates afin de légitimer la même stratégie pour une cinquième fois.

À leur grand désappointement, les tentatives des dirigeants du NPD de distinguer leur parti du Parti libéral ont été minées par une faction de la bureaucratie syndicale. Tôt dans la campagne électorale, le leadership du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA) a fait une sortie avec un appel explicite à ses membres pour aller de l'avant avec le vote stratégique, c'est-à-dire de voter libéral dans les comtés où le candidat libéral semble avoir la plus grande probabilité d'empêcher l'élection d'un conservateur. Le premier ministre Martin fut même inviter à donner un discours au conseil national du syndicat, une courtoisie dont Jack Layton n'a pu bénéficier.

Dans la page des commentaires de la section financière du National Post, un quotidien de droite, le président des TCA Buzz Hargrove expliqua clairement qu'il travaillait pour l'élection d'un gouvernement minoritaire libéral supporté par le NPD. Il se plaignit d'être «légèrement embarrassé» par la critique qu'avait suscitée sa position de «vote stratégique» parmi le leadership du NPD et d'autres représentants syndicaux. Reprenant la rhétorique du NPD, Hargrove a fait l'éloge des 17 mois du parlement précédent qu'il a présenté comme un «moment inspirant de perspectives d'avenir.»

Après avoir décrit un nouveau gouvernement libéral minoritaire appuyé par le NPD comme «le mieux que la gauche peut maintenant espérer», Hargrove attaqua la campagne du NPD contre les libéraux en tant que «recette infaillible pour aliéner des partisans potentiels qui ont apprécié les bonnes choses réalisées par le gouvernement minoritaire [qui le doit en grande partie au NPD] et raisonnablement inquiets de la perspective d'une gouvernance tory».

Un piège politique

Le conflit entre le leadership des TCA et le NPD sur le vote stratégique se limite à des questions tactiques. Les deux défendent la même stratégie. La bureaucratie du TCA désire explicitement un gouvernement minoritaire libéral soutenu par le NPD, pendant que le NPD désire la même chose mais de façon implicite avec ses appels pour que le NPD ait la balance du pouvoir dans le prochain parlement. Mais, à chaque fois qu'ils en ont l'opportunité, les deux répètent que le NPD a été en mesure de faire pression sur les libéraux afin qu'ils effectuent d'importantes réformes sociales pendant le dernier gouvernement.

Cette prétention est un mensonge et un dangereux piège pour la classe ouvrière. Comme on peut le voir par la décision prise par la Cour suprême en juin dernier qui ouvre la porte au démantèlement du système de santé publique, l'élite dirigeante a lancé une nouvelle offensive dans le but de détruire ce qui reste de l'État-providence. La vraie signification politique de l'alliance entre le NPD et les libéraux est complètement différente de ce que présente les sociaux-démocrates et la bureaucratie syndicale.

Dans des conditions où la population est profondément désabusée envers les partis traditionnels de la grande entreprise, où la lutte des classes s'intensifie et où l'élite dirigeante est de plus en plus inquiète qu'elle n'est pas capable d'égaler ses rivaux américains et européens dans l'imposition de politiques néolibérales, les sociaux-démocrates du Canada viennent une fois de plus à la rescousse du parti qui, pendant une bonne partie des 110 dernières années, a été le parti qu'a privilégié la bourgeoisie canadienne, c'est-à-dire le Parti libéral.

Le gouvernement libéral de Chrétien et de Martin, au pouvoir depuis 1993 et que le NPD et les chefs syndicaux sont si anxieux de perpétuer, a été le gouvernement fédéral le plus à droite de l'histoire canadienne depuis la Grande Crise. Entre 1993 et 2001, les dépenses du gouvernement fédéral sont passées de 15,7% du PIB à 11%, une réduction de près d'un tiers, pendant que les libéraux coupaient des dizaines de milliards dans les services publics et sociaux. Cela fut accompagné de baisses d'impôts tout aussi retentissantes pour les riches. Alors que les nombreuses coupes dans les dépenses publiques menaient à des surplus budgétaires fédéraux, ceux-ci étaient rapidement canalisés dans les baisses d'impôts et le paiement de la dette nationale. En 2000, les libéraux ont introduit un programme de cinq années de baisses d'impôts sur le revenu personnel, sur les profits des entreprises et sur les gains en capitaux. Ce programme a été copié sur celui de l'Alliance canadienne (un parti très à droite qui a subséquemment fusionné avec le Parti progressiste-conservateur pour former le Parti conservateur du Canada actuel).

Avec ces coupes, il y a eu un changement draconien dans la physionomie de la société canadienne, que ce soit dans la longueur des files d'attentes pour les soins médicaux, dans l'augmentation dramatique des emplois précaires et à temps partiel ou dans le recours à des banques alimentaires, qui a doublé pendant les 12 années de gouvernement libéral.

Le NPD et la bureaucratie syndicale ont joué un rôle très important en amenant du renfort au programme de droite des libéraux de Chrétien et Martin. Pendant les années 1990, les gouvernements néo-démocrates provinciaux ont implanté des coupes dans les dépenses sociales et ont attaqué les droits des travailleurs (un rôle qui, au Québec, est revenu au Parti québécois, un parti provincial très proche du Bloc québécois) pendant que les bureaucraties syndicales s'assuraient que l'opposition à ce programme était limitée au cadre étroit de la négociation collective et de manifestations inefficaces.

En Ontario, le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae a attaqué le secteur public et a coupé sauvagement dans les dépenses sociales. En 1995, discrédité par son assaut sur la classe ouvrière, le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae a fait place au gouvernement conservateur de Mike Harris à qui il avait préparé le terrain. En 1997, la grève des enseignants du secteur public en Ontario devenait le point de ralliement d'une opposition de masse aux politiques de droite de tous les paliers de gouvernements. C'est alors que l'appareil bureaucratique syndical, appuyé par le NPD, a désamorcé la grève.

En prenant en considération l'étendue des attaques des libéraux et la collaboration du NPD, les «amendements du NPD» au budget de 2004 étaient tellement modestes que leur donner le nom de réformes serait un grave abus de langage. Selon l'accord conclu entre le NPD et les libéraux, 4,6 milliards de baisses d'impôts aux entreprises sur deux ans devaient être repoussés. Cette somme devait être consacrée à une augmentation des dépenses sociales, une maigre augmentation de deux pour cent.

De manière plus fondamentale, aucun des objectifs à long terme de la classe dirigeante canadienne n'a été remis en question, que ce soit par le budget NPD-libéral de 2004 ou par le NPD lui-même pendant la présente campagne. Au contraire, le parti s'est démené pour démontrer à l'élite canadienne qu'elle peut compté sur le NPD et que celui-ci jouera les règles qu'elle établira.

Dans le but de prouver son engagement à défendre les intérêts de la classe dirigeante et de l'État fédéral, le NPD a rompu avec son opposition à la Loi sur la clarté. (Votée en 2000 par les libéraux de Chrétien, la Loi sur la clarté stipule que tout référendum sur l'indépendance du Québec doit avoir une question claire, qu'il doit gagner une majorité claire et que c'est le Parlement canadien qui décidera si ces conditions ont ou n'ont pas été respectées. La Loi menace aussi un éventuel Québec indépendant de partition territoriale.)

Les propositions timides d'augmentations modestes des impôts pour les entreprises, les riches et le grand capital sur lesquelles le NPD avait fait campagne pendant les élections de 2004 ont aussi été complètement mises de côté. Le NPD a juré qu'il n'augmenterait aucune taxe et s'est même opposé à la promesse électorale des conservateurs de réduire la taxe fédérale sur les produits et les services (TPS), de 7 % à 5% en cinq ans. La TPS, en tant que taxe à la consommation, a un impact plus grand sur la classe ouvrière et sur les pauvres que sur ceux qui ont plus de moyens à leur disposition. La proposition des conservateurs est certainement un exemple évident de populisme. Néanmoins, le fait que le NPD défende cette taxe régressive (originalement proposée par les conservateurs de Mulroney et implantée par les libéraux de Martin et de Chrétien) donne une bonne mesure de leur virage à droite.

Les nouvelles politiques fiscales du NPD furent annoncées par Layton à partir du vieil édifice de la Bourse de Toronto. Pendant qu'il dévoilait, dans son message à l'élite financière de Bay Street, que son parti était «fiscalement responsable», Layton fut rejoint par un des candidats étoile recrutés par le NPD pour cette élection, l'ancien économiste en chef de la RBC Dominion Securities, Paul Summerville (qui se présente dans le comté St-Paul à Toronto).

Le recrutement par le NPD d'un autre candidat étoile, l'ancien premier ministre du Manitoba et l'ancien gouverneur général Ed Schreyer, met en relief la tentative du parti de convaincre l'élite canadienne qu'une partie du pouvoir peut lui être confiée. Au milieu des années 1970, Schreyer avait une mauvaise réputation dans le NPD pour ses opinions de droite et, en tant que premier ministre néo-démocrate du Manitoba, il a implanté le programme de contrôle des salaires du premier ministre Pierre-Elliot Trudeau. Vers la fin des années 1970, des rumeurs le faisait joindre le cabinet ministériel libéral au niveau fédéral, mais Schreyer a plutôt accepté le poste de gouverneur général, soit celui d'arbitre final et non-élu des conflits dans l'appareil parlementaire canadien.

Le WSWS en a plus à écrire sur le programme et la campagne électorale du NPD. Mais, pour le moment, il suffit de dire que le NPD, le visage à deux faces de l'establishment politique canadien qui prétend qu'il est possible de faire pression sur la grande entreprise pour faire des réformes tout en rassurant celle-ci qu'il ne leur fera pas de tort, n'est en aucun cas un instrument politique par lequel les travailleurs peuvent défendre leurs intérêts. La défense des emplois, des conditions sociales et des droits démocratiques requiert la construction d'un parti de masse de la classe ouvrière qui s'opposera à ce que les besoins sociaux soient subordonné aux profits des entreprises et qui unifiera les travailleurs canadiens avec les travailleurs du monde dans une lutte commune contre le système de profit capitaliste. C'est pour ce programme que le World Socialist Web Site et le Parti de l'égalité socialiste combattent.

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