La tournée du premier ministre britannique Tony
Blair au Moyen-Orient lui a offert l’occasion d’appuyer un putsch
constitutionnel par le président Mahmoud Abbas au risque d’une guerre civile en
Palestine, de présenter des plans pour une augmentation importante du nombre
des soldats en Irak et d’ouvrir la voie aux hostilités contre l’Iran.
Blair a fait la preuve qu’il s’est aligné
avec les néo-conservateurs de l’administration Bush pour rejeter les propositions
du Groupe d’étude sur l’Irak (GEI) de réduire la présence militaire américaine en
Irak et pour obtenir la coopération de l’Iran et de la Syrie.
Les porte-parole et les apologistes de
Blair ont fait grand cas du fait que le GEI a repris à son compte les
déclarations souvent répétées par le premier ministre britannique que la
résolution pacifique du conflit israélo-palestinien était essentielle à la
stabilisation du Moyen-Orient. Parfois, ils attiraient aussi l’attention sur
les déclarations indiquant des différences entre Blair et l’administration Bush
sur la possibilité d’un dialogue avec la Syrie et possiblement l’Iran.
Encore une fois, toutefois, lorsqu’il s’agit
de passer aux actes, la politique étrangère de Blair est dictée par les
sections le plus à droite de l’élite dirigeante américaine. Et ce n’est pas la
recherche de la « paix » en Palestine qui détermine la politique au Moyen-Orient,
c’est plutôt la politique de la conquête et de la subjugation impérialiste de
toute la région qui dictent ce qui se passe dans les territoires occupés.
Même avant son départ pour la capitale
turque d’Ankara, Blair insistait déjà qu’il agissait de facto en tant qu’envoyé
de Bush. Durant une conférence de presse à Downing Street, Blair a
explicitement rejeté toute possibilité de pourparlers avec l’Iran et toute
suggestion que son attitude envers Téhéran différait de celle de l’administration
Bush.
« L’Iran cause délibérément le maximum
de problèmes pour les gouvernements modérés et pour nous dans la région — en
Palestine, au Liban et en Irak » a dit Blair. De plus, a-t-il continué, « ce
serait une perte de temps » que d’essayer d’impliquer l’Iran ou la Syrie « à
moins qu’ils soient prêts à être constructifs ».
« Je ne crois qu’il y ait rien à
gagner à cacher le fait que l’Iran est une menace stratégique majeure à la
cohésion de la région dans son ensemble », a-t-il dit.
Plus tard, dans une conférence de presse
dans la capitale égyptienne du Caire, il a dit qu’il croyait « que les
gens avaient monté cette question [le dialogue avec l’Iran et la Syrie] en
épingle ». Il y a, dit-il, un « point de vue courant » selon
lequel « que ce soit en Irak avec les milices, ou bien le Liban tentant de
miner le gouvernement de Siniora ou encore les éléments les plus extrêmes du
Hamas en Palestine, alors l’Iran semble considérer que son but est de faire
dérailler les chances de stabilité, de paix et de démocratie ».
Même si Blair a réitéré sa position qu’il ne
croyait pas « que vous pouvez traiter l’Iran et la Syrie comme étant
exactement les mêmes », c’est pourtant bien ce qu’il a fait en pratique. Dans
sa tournée, il a résolument évité Damas.
Blair a endossé l’appel du premier ministre
turc Tayyip Erdogan pour ce qu’il a nommé « une alliance des
civilisations, en d’autres mots, une sorte d’alliance de la modération contre
les extrémistes ». Une fois encore, Blair a seulement inventé un nouveau
sophisme pour décrire ce que Bush a exprimé plus crûment en terme de lutte
entre « le bien et le mal ».
L’alliance dont il parle est en une entre les
impérialismes américain et britannique ainsi que tous ceux qui sont prêts à être
leur mandataire dans la région. Blair sait que les Etats-Unis peuvent compter
sur Israël et espère que la Turquie et l’Egypte peuvent apporter un soutien
solide. Toutefois, ses discussions avec Ankara, Le Caire et Israël ont été en
grande partie réalisées derrière des portes closes.
Il a le plus ouvertement embrassé Abbas en
tant que supposé partenaire de son « alliance de la modération ». Blair
était aux côtés du président palestinien pour endosser son appel pour des
élections précipitées de l’Autorité palestinienne visant à renverser le gouvernement
dirigé par le Hamas qui a obtenu le pouvoir en janvier avec un fort mandat
populaire.
Blair a appelé la « communauté
internationale » à soutenir Abbas. « Personne ne doit avoir un droit
de veto sur le progrès », a-t-il déclaré en faisant référence au Hamas. Se
tournant vers Abbas, il a ajouté : « Votre peuple souffre. Nous
ne voulons pas que quoi que ce soit empêche que le peuple palestinien soit
aidé. »
Difficile d’imaginer une déclaration plus
cynique. Durant des mois, la Grande-Bretagne a appuyé les efforts des Etats-Unis,
qui ont aussi été appuyés par l’Union européenne (UE), visant à imposer des
sanctions globales aux Palestiniens pour qu’ils se soumettent et à fomenter la
guerre civile. Cela est en particulier réalisé par Israël et son refus de payer
les taxes qu’il doit à l’Autorité palestinienne et qui sont essentielles pour
payer les salaires de ses employés du secteur public.
Maintenant, Blair tente d’exploiter la
situation qu’il a aidé à créer pour justifier une abrogation de la démocratie par
décret présidentiel. Il appuie un homme qui est correctement perçu, de la même
façon que lui, comme étant à peine plus qu’un pantin de Washington, et il
appuie aussi une action à laquelle s’opposent non seulement le Hamas mais aussi
la plupart des autres factions palestiniennes et une section significative des
membres du Fatah lui-même.
Farouk al-Qaddoumi, qui dirige le département
politique de l’Organisation de libération de la Palestine, a déclaré que
« tenir des élections anticipées en Palestine est impossible car cela
augmenterait les tensions parmi les Palestiniens et servirait les intérêts
d’Israël ».
Dirigeant du Fatah, Moustafa Barghouti, a
qualifié d’« erreur » la proposition d’élections anticipées, ajoutant qu’« il
ne peut y avoir d’élection si le peuple n’accepte pas cette élection ».
Parlant de Blair, « Il se range déjà d’un côté. Il est du côté d’Abou
Mazen [Abbas]. » Barghouti a été l’un des principaux auteurs des efforts
politiques visant à défendre un accord entre le Fatah et le Hamas qui a été
saboté par Israël de façon opportune en lançant une série d’attaques
militaires, qui ont culminé par l’opération « Pluie d’été ».
Blair n’a pas besoin de se faire dire que
les propositions d’Abbas n’ont rien à voir avec une résolution démocratique du
conflit au sein de l’Autorité palestinienne. Il se prépare sciemment pour la
guerre civile.
A cette fin, Blair a suggéré une série de
mesures pour canaliser de l’argent vers les coffres d’Abbas afin de financer
les milices sous son contrôle. Le Guardian a mentionné qu’un montant de
l’ordre de 26 millions $US serait nécessaire pour développer la garde de
sécurité d’Abbas. Blair demande l’aide de l’UE mais il a aussi soulevé la
question durant ses pourparlers avec le premier ministre israélien Ehoud
Olmert. Il a insisté pour que le gouvernement d’Olmert redonne les 65 millions
$US par mois qu’il a retenus pendant 10 mois en trouvant le moyen de contourner
le gouvernement dirigé par le Hamas.
L’Economist a rapporté le 4 novembre
que les Etats-Unis finançaient un « camp d’entraînement » près de la
ville de Jéricho en Cisjordanie pour les nouvelles recrues de la garde
présidentielle d’Abbas dans le but de développer cette dernière pour qu’elle
devienne possiblement une force de dizaines de milliers de combattants qui pourraient
attaquer le Hamas.
Blair prête aussi main-forte aux
préparatifs d’un massacre en Irak. Durant une visite à Bagdad, en plus d’un
arrêt à Basra, Blair a rencontré le premier ministre Nouri al-Maliki. Lors
d’une autre conférence de presse, Blair a publiquement rassuré Maliki que la
Grande-Bretagne, qui a 8000 troupes déployées au pays, demeurait « fermement »
derrière son gouvernement et n’envisageait pas « un changement de notre
politique ».
« Soyez sans crainte, les troupes
britanniques vont rester tant que la tâche n’est pas terminée », a-t-il
affirmé.
Précédemment, le gouvernement avait indiqué
qu’il prévoyait retirer graduellement ses troupes d’Irak à partir du printemps
prochain. L’affirmation de Blair que la politique britannique « demeure
inchangée » veut dire plus que seulement revenir sur cet engagement. Le
gouvernement considère au contraire envoyer plus de soldats en Irak.
Les reportages dans la presse britannique notent que l’administration
Bush est peut-être en train d’endosser la proposition du général Jack Keane, un
ancien vice-chef de l’état-major de l’armée, et de Frederick
Kagan, de l’Institut américain de l’entreprise, de déployer 50 000 soldats
additionnels en Irak. Le plan débuterait par la déclaration, « La victoire
est toujours une option. »
Commentant les discussions de Blair avec Maliki, l’édition
du 18 décembre du Daily Mirror britannique citait la « taupe No
10 » : « Si les Etats-Unis y mettent le paquet et déploient
beaucoup plus de troupes, alors nous serons peut-être bien obligés de suivre.
Ce n’est pas ce que à quoi tout le monde s’attendait ou voulait, mais la
situation ne s’améliore pas comme nous l’espérions. »
La visite de Blair en Turquie et ses tentatives d’obtenir l’allégeance
d’Ankara dans la lutte contre « l’extrémisme » doivent être considérées
comme un signal d’avertissement de l’ampleur de la conflagration qui se
prépare.
La Turquie est courtisée par les deux factions en lutte à
Washington pour déterminer la politique étrangère américaine et par les
diverses puissances européennes. Blair tentait de rallier Ankara au plan de
l’administration Bush visant à relancer l’offensive militaire contre l’Irak.
Mais la préoccupation principale de la Turquie est le
possible éclatement de l’Irak et les tentatives d’accorder aux Kurdes irakiens
plus d’autonomie qui pourrait mener à l’établissement d’un Etat kurde.
Particulièrement préoccupant pour Ankara est l’avenir de la région de Kirkouk, riche
en pétrole, et qui pourrait fournir le financement nécessaire à l’insurrection kurde
qui traversait inévitablement la frontière turque. La Turquie a récemment massé
un quart de million de soldats le long de sa frontière avec l’Irak et a
multiplié les avertissements contre toutes mesures qui renforceraient les
Kurdes irakiens, et menacé sa propre population kurde de 15 à 20 millions de
personnes. Si de telles hostilités devaient éclater, cela pourrait être pire
que le bain de sang irakien.
Blair affronte également de graves difficultés pour son
gouvernement au pays. Comme sa tournée du Moyen-Orient se terminait, l’influent
groupe de réflexion Chatham House publiait un rapport déclarant que le
« désastre » irakien et la « débâcle » d’après-guerre ont
endommagé l’influence globale de la Grande-Bretagne. Il déclare que le
successeur de Blair aura à revoir le rôle de la Grande-Bretagne au sein de l’UE
afin de se distancer des Etats-Unis.
Il existe une insatisfaction inassouvie qui se concentre
sur la politique étrangère de Blair et son alliance avec les Etats-Unis. Dans
ces conditions, considérer engager plus de troupes britanniques en Irak, s’aligner
sur Abbas et de faire des menaces belliqueuses contre l’Iran est dangereux à
l’extrême.
L’Independent décrivait les commentaires de Blair sur
l’existence de la démocratie en Irak de « Stupéfiante indifférence pour la
vérité.... Ce qui a été créé en Irak est un état d'anarchie meurtrière. »
En fait, il n’y a pas de véritable gouvernement en Irak derrière
lequel la Grande-Bretagne peut se tenir « fermement debout » et la
situation n’était « guère mieux dans le reste de la région ».
« La mission hautaine de Blair de remettre de l’ordre
dans le monde, en se superposant à la puissance militaire américaine, a provoqué
plus de misère pour la population du Moyen-Orient, ternie la réputation
internationale de la Grande-Bretagne et augmenté la menace islamiste contre
chacun de nous », avertissait-il.
(Article original anglais publié le 20
décembre 2006)