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Pinochet, l’ancien dictateur soutenu par les Etats-Unis, meurt à 91 ans

Par Bill Van Auken
12 décembre 2006

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Les nouvelles de la mort de l’ancien dictateur militaire du Chili, Augusto Pinochet, ont été accueillies par des manifestations spontanées à Santiago et d’autres villes chiliennes ce dimanche.

Des milliers de personnes ont pris la rue ou formé des caravanes de véhicules, klaxonnant, pour célébrer la mort du général de l’armée à la retraite. Pinochet était âgé de 91 ans. Il était arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat appuyé par la CIA contre le gouvernement élu du président Salvador Allende du Parti socialiste.

L’avenue Alameda Bernardo O’Higgins, la principale artère de la capitale chilienne, débordait de gens chantant des slogans et agitant des bannières et des affiches. Les habitants des banlieues ouvrières de la capitale, qui ont connu la répression brutale et indiscriminée lors de la dictature, ont érigé des barricades et ont allumé des feux pour marquer la mort de l’ancien dirigeant détesté.

Le régime de Pinochet est responsable du meurtre ou de la disparition de milliers d’activistes de gauche, de syndicalistes, d’étudiants et d’autres personnes soupçonnées de s’opposer aux intérêts de la classe dirigeante chilienne et du capital étranger. Sous sa dictature, des centaines de milliers d’autres ont été emprisonnés, torturés et contraints à l’exil.

La joie populaire engendrée par la mort du vieux criminel d’Etat a été considérablement tempérée par le fait qu’il est mort dans l’impunité, à l’unité des soins intensifs de l’hôpital militaire de Santiago plutôt que finir ces jours dans une cellule.

Au moment de sa mort, Pinochet était accusé d’environ 300 offenses criminelles liées aux meurtres, à la torture et aux enlèvements réalisés sous sa gouverne. La « Caravane de la mort », l’« Opération Colombo » et l’« Opération Condor » sont certaines des meurtrières campagnes de répression pour lesquelles il a été accusé.

Lui et sa famille faisaient aussi l’objet d’enquêtes criminelles relativement au détournement hors du Chili de dizaines de millions $ des fonds de l’Etat, vers des comptes secrets de la Riggs Bank de Washington, D.C. et d’autres institutions financières d’outremer.

La preuve de corruption éhontée de la part de l’ex-dictateur a diminué, au cours des récentes années, le soutien dont il bénéficiait au sein d’une couche de la droite chilienne, qui depuis longtemps justifie ses politiques de meurtre de masse et de répression au nom de la « lutte au marxisme ».

Au sein de la population chilienne, le dernier voyage à l’hôpital de l’ex-dictateur faisait l’objet d’une très grande suspicion. Il était largement perçu comme une autre ruse du général pour échapper à la poursuite criminelle. Pinochet était assigné à demeure lorsqu’il a été admis pour traitement, la cinquième fois qu’un juge imposait une telle arrestation au cours des dernières années.

Pendant ce temps, à l’hôpital militaire où l’ancien dictateur est mort, quelques centaines de fascistes et de supporteurs de l’armée se sont réunis, ayant avec eux des photos de Pinochet. Certains d’entre eux ont physiquement attaqué des membres de la presse.

Internationalement, il y a aussi eu des expressions d’appui pour l’ex-dictateur. En Grande-Bretagne, l’ancienne première ministre Margaret Thatcher a émis une déclaration dans laquelle elle exprimait sa « grande peine » à l’annonce de la mort de l’homme condamné pour meurtre de masse.

Jack Straw, le dirigeant travailliste élu à la Chambre des communes britannique, a émis un communiqué hypocrite dans lequel il déclarait que la mort de Pinochet « signifiera que le peuple chilien pourra passer à autre chose et mettre le terrible héritage de ces années terribles derrière lui ».

Ce fut le même Straw qui, en tant que ministre britannique des Affaires étrangères en 1998, avait permis à Pinochet de s’échapper du pays pour retourner au Chili après avoir été assigné à demeure à Londres pendant 503 jours, alors que le juge espagnol Baltasar Garzon cherchait à obtenir son extradition pour qu’il soit jugé pour crime contre l’humanité. En bout de piste, le gouvernement du premier ministre Tony Blair a protégé l’ex-dictateur, invoquant sa mauvaise santé et des considérations « humanitaires ».

Aux Etats-Unis, la réaction à la mort de l’ancien allié a été aussi caractérisée d’une hypocrisie extrême. La Maison-Blanche de Bush a fait une déclaration décrivant la dictature de Pinochet comme « l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire de cette nation » et déclarant que « nos pensées sont aujourd’hui avec les victimes de ce règne et leurs familles ». Etant donné les liens étroits qu’entretenait le gouvernement américain — y compris d’importants représentants de l’administration actuelle — avec les crimes du régime militaire chilien, de telles déclarations sont très peu crédibles.

En de nombreuses occasions, les articles sur la mort de Pinochet ont présenté une vision « équilibrée » de l’héritage de l’ex-dictateur, regrettant ses actes du point de vue des droits de l’homme, mais le louangeant pour avoir « stabilisé » l’économie chilienne et inauguré le soi-disant « miracle économique chilien ».

Ces reportages n’évoquent même pas le fait que ces deux processus soient intimement liés. Le « miracle », caractérisé par des taux élevés de croissance économique et la hausse de la valeur des actions, a été précisément préparé par une campagne d’extermination physique des sections les plus militantes des travailleurs chiliens, par la proscription des syndicats, par les réductions de salaires et par l’élimination de tous les obstacles à l’exploitation impitoyable de la classe ouvrière.

La conséquence a été un vaste transfert de richesse sociale de la majorité ouvrière vers l’aristocratie financière. Selon les statistiques fournies par le régime de Pinochet lui-même, le 20 pour cent le plus riche de la population a, entre 1979 et 1989, augmenté sa part de la richesse nationale de 51 à 61 pour cent.

Pendant ce temps, durant les 13 premières années de la dictature, le 10 pour cent le plus pauvre de la société chilienne a vu sa consommation totale diminuer de 30 pour cent. En 1988, le salaire réel moyen d’un travailleur était 25 pour cent plus bas qu’en 1970.

Le coup d’Etat qui a porté Pinochet au pouvoir a été déclenché le 11 septembre 1973. A ce moment, des chasseurs de la Force aérienne chilienne avaient bombardé La Moneda, l’équivalent de la Maison-Blanche au Chili, où Allende a trouvé la mort.

La junte militaire dirigée par Pinochet a dissout le Congrès, banni les partis politiques et les syndicats et aboli la liberté d’expression et les droits de l’habeas corpus.

Le désarmement de la classe ouvrière par l’Unité populaire

Le coup d’Etat a été facilité par les politiques du gouvernement de Front populaire de Allende lui-même, en particulier celles du Parti communiste chilien, qui appuyait Allende. Le Parti communiste stalinien a agi dans le but de subordonner l’intense effervescence révolutionnaire qui animait la classe ouvrière chilienne au gouvernement de Front populaire. Allende et les staliniens ont rejeté les demandes visant à armer les travailleurs et ont tenté de briser la vague de militantisme qui a entraîné des occupations d’usines et des saisies de terres.

Les staliniens et le gouvernement de l’Unité populaire ont encouragé des illusions sans fondement, et ultimement fatales, dans la démocratie parlementaire chilienne. Les staliniens décrivaient l’armée chilienne comme « le peuple en uniforme ». C’est Allende lui-même qui a introduit des généraux dans son caucus et qui a nommé Pinochet commandant en chef des forces armées chiliennes, une position que Pinochet a utilisée pour préparer et exécuter le coup d’Etat qui a tué le président du Parti socialiste.

Dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat, des dizaines de milliers de personnes ont été arrêtées, un grand nombre d’entre elles ont été regroupées dans le stade de football de Santiago, où la plupart ont été battues et torturées et beaucoup exécutées. Parmi ceux qui ont été exécutés se trouvaient deux citoyens américains, Frank Teruggi et Charles Horman. Des preuves ont par la suite démontré que d’importants représentants américains ont non seulement tenté d’étouffer l’affaire, mais que ceux-ci étaient complices de ces meurtres.

Le coup d’Etat lui-même reçut l’appui sans réserve de l’administration du président Richard Nixon. Des millions de dollars ont été secrètement transférés au Chili par la CIA pour financer des grèves d’employeurs et des groupes fascistes cherchant à renverser Allende. L’ordre explicite de Nixon à la CIA était de « faire hurler l’économie » pour renverser le gouvernement. Les plans de coup d’Etat des conspirateurs militaires étaient pleinement partagés et coordonnés avec la CIA et le Pentagone.

Henry Kissinger, le conseiller à la sécurité nationale de Richard Nixon — un conseiller clé de l’actuelle administration Bush — a été le principal architecte américain du coup au Chili. En 1970, après l’élection du premier gouvernement d’Unité populaire d’Allende, Kissinger a dit, « Je ne vois pas pourquoi nous resterions là à ne rien faire et laisser un pays devenir communiste à cause de l’irresponsabilité de son propre peuple. »

Le gouvernement américain a subséquemment décidé de renverser les résultats de l’élection populaire par la subversion secrète, la terreur et la force militaire.

Alors que Pinochet est mort, Kissinger est toujours vivant et sujet à poursuite criminelle pour son rôle dans l’élaboration du coup qui a coûté des milliers de vies.

Il n’est pas le seul responsable américain complice des crimes de la dictature de Pinochet. Georges H.W. Bush, l’ex-président et père de l’actuel président, était directeur de la CIA au temps où le régime de Pinochet jouait le rôle central dans l’« Opération Condor, » nom de code pour une campagne coordonnée de meurtres et de répression menée par les régimes militaires à travers l’Amérique latine contre les opposants de gauche.

Des documents déclassifiés ont prouvé que la CIA était entièrement informée du déroulement de l’opération, dans laquelle des centaines, sinon des milliers de personnes ont été assassinées, illégalement emprisonnées et torturées.

Le pire acte de terrorisme international commis à l’époque sur le sol américain a fait partie de cette opération. Le 21 septembre 1976, une voiture piégée a enlevé la vie à Orlando Letelier, l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Allende et un opposant en vue du régime de Pinochet et son adjoint américain, Ronni Moffit, alors qu’ils roulaient à travers les rues de Washington, D.C.

La CIA, sous la direction de Bush père, a manœuvré dans le but de couvrir la responsabilité du régime de Pinochet dans ces meurtres. Les assassins ont même par la suite été placés sous la protection des Etats-Unis avec une nouvelle identité et un soutien financier sous le programme fédéral de protection des témoins.

Le vice-président Dick Cheney et le secrétaire sortant à la Défense, Donald Rumfseld sont vraisemblablement impliqués dans l’appui de Washington à la dictature de Pinochet durant cette période. Cheney était le chef du personnel à la Maison-Blanche et Rumsfeld était aussi secrétaire à la Défense, supervisant les relations américaines avec les militaires d’Amérique latine alors que l’Opération Condor battait son plein.

La capacité de Pinochet de se soustraire à toute poursuite criminelle jusqu’à sa mort à l’âge avancé de 91 ans, plus de 16 ans après avoir cédé le pouvoir, témoigne du fait que les horreurs de son régime qui se sont abattues sur la classe ouvrière chilienne ont été commises pour défendre les intérêts de l’élite dirigeante tant de son pays qu’internationale, qui a continué de le protéger.

Cette protection constitue également un avertissement sérieux. Les méthodes brutales de meurtres de masse, de torture et de dictature qui seront à jamais associées au nom d’Augusto Pinochet demeurent le recours ultime du capitalisme en crise.

(Article original publié le 11 décembre 2006)

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