Le rapport du Groupe d’étude
sur l’Irak (GEI) publié mercredi souligne l’immensité de la crise non seulement
pour l’administration Bush, mais pour l’establishment politique américain dans
son ensemble. Tant le contenu du rapport et que l’attention extraordinaire que
lui ont donnée les médias démontrent que la débâcle américaine en Irak a
produit une crise de proportion historique au sein des Etats-Unis eux-mêmes.
Le rapport brosse un tableau
lugubre et implacable des conditions en Irak. Le sommaire du rapport débute
ainsi : « La situation en Irak est grave et ne cesse de se
détériorer. » Le rapport continue ensuite en avertissant que l’influence
américaine s’affaiblit que « le temps commence à manquer ».
Contrairement aux déclarations
de la Maison-Blanche qui parle de « progrès » vers le
« succès », le régime mis en place par les Etats-Unis à Bagdad se
désintègre. Les conflits sectaires entre les sunnites et les chiites augmentent
et « l'effondrement du gouvernement irakien et une catastrophe
humanitaire », avertit le rapport.
L’occupation militaire
américaine confronte une opposition populaire qui croit rapidement, avec
environ 180 attaques armées par jour en moyenne durant le mois d’octobre 2006,
par rapport à environ 70 par jour en janvier 2006. (Soulignant la montée de la
violence, dix soldats américains ont été tués mercredi, le jour où le rapport
fut publié, ce qui amène le total des soldats morts à 2918 depuis que les
Etats-Unis ont envahi l’Irak en mars 2003.)
Le rapport du GEI admet que
l’insurrection anti-américaine est en grande partie d’origine irakienne :
« Elle bénéficie de la connaissance de l’infrastructure irakienne de ses
participants et ses armes et son financement proviennent en premier lieu de
l’Irak même. Les insurgés ont différents objectifs, même si presque tous sont
opposés à la présence de l’armée américaine en Irak. »
Les conditions de vie du
peuple irakien sont horrifiantes. Selon le rapport, « Le gouvernement
irakien ne fournit pas dans les faits les services de base à son peuple :
électricité, eau potable, égouts, soins médicaux et éducation. Dans plusieurs
secteurs, la production est sous ou est proche des niveaux d’avant la
guerre. » Le rapport attribue l’échec à la violence, la corruption, le
conflit sectaire, la faiblesse économique héritée du blocus de l’Irak par les
Etats-Unis avant la guerre ainsi qu’à l’effondrement des cours, du système
financier et d’autres institutions civiles.
Fuyant ces conditions, jusqu’à
1,8 million d’Irakiens ont trouvé refuge dans les Etats
voisins, alors que 1,6 million sont déplacés au sein du pays lui-même, signale
le rapport, même s’il reste silencieux sur le nombre de morts irakiennes,
estimé à 655 000 dans une étude menée par l’école de santé publique de
l’Université Johns Hopkins.
Le coût pour les Etats-Unis a
aussi été colossal : près de 3000 soldats sont morts, presque 20 000
blessés, beaucoup d’entre eux sérieusement mutilés ou psychologiquement
traumatisés. 400 milliards $ ont été dilapidés pour tenter de faire un
protectorat américain de l’Irak.
Les membres du panel ont
exprimé à plusieurs occasions leurs préoccupations que la débâcle en Irak
déstabilisait les Etats-Unis politiquement, alimentait les sentiments antiguerre contre l’administration Bush et de plus en plus
contre toute l’élite dirigeante.
« La prolongation des
problèmes en Irak pourrait mener à une plus grande polarisation au sein des
Etats-Unis, dit le rapport. Soixante-six pour cent des Américains désapprouvent
la façon dont le gouvernement mène la guerre et plus de 60 pour cent croient
qu’il n’y a pas de plan clair pour aller de l’avant. Les élections de novembre
ont largement été perçues comme un référendum sur le progrès en Irak. »
Les démocrates membres du GEI
ont particulièrement insisté sur l’impact intérieur de la guerre. Dans la
presse de conférence tenue après la publication du rapport et dans les
entrevues aux médias qui ont suivies, le coprésident démocrate, l’ancien
congressiste Lee Hamilton, a déclaré que les Etats-Unis faisaient face à un
défi quant à sa stabilité politique comparable aux divisions sur le VietNam dans
les années 1960 et 1970 et même à la Guerre civile de 1861-65.
Les divisions sur la guerre —
avant tout les divisions au sein de l’establishment politique à Washington et
les masses du peuple américain — ont atteint le point où le pays pourrait
bientôt devenir ingouvernable, a-t-il avertit. Pour empêcher un tel
développement, a dit Hamilton ainsi que les autres démocrates et républicains
de la commission, il était nécessaire d’arriver à un consensus bipartisan sur
l’Irak et d’abandonner le chacun-pour-soi de
l’administration Bush.
Les membres de la commission
sont clairement préoccupés que sans un changement important — ou au moins
l’apparence d’un tel changement — l’opposition profonde, mais largement
latente, à la guerre au sein des Etats-Unis puisse prendre une forme politique
radicale et explosive, comme cela s’était produit lors de la guerre du VietNam.
Un tel développement aurait de
nos jours des conséquences encore plus profondes au sein des Etats-Unis et du
monde, parce les tensions sociales et économiques au sein des Etats-Unis sont
beaucoup plus développées et que la position des Etats-Unis dans l’économie
mondiale est beaucoup plus précaire que la situation qu’ils connaissaient dans
les années 1960. Le système financier américain montre déjà des signes
d’effilochage avec le prix des maisons, la construction de nouvelles maisons et
la demande pour des biens durables qui diminuent beaucoup et avec l’explosion
des faillites personnelles et de reprises de maison. La chute importante du
dollar sur les marchés de change internationaux est un indicateur parlant de la
crise économique américaine et de l’instabilité financière mondiale.
L’évaluation sombre de la
situation en Irak et les terribles implications pour l’impérialisme américain
tant à l’étranger qu’à l’intérieur confirme le pronostic que le World Socialist Web Site et le Parti de l’égalité
socialiste avaient fait de l’invasion américaine de l’Irak quelques heures
après le début de l’attaque américaine. Le 21 mars 2003, le WSWS a publié une
déclaration de David North, le président du comité
éditorial du WSWS et secrétaire national du PES, qui déclarait :
« Quel que soit le
résultat du stade initial du conflit qui a commencé, l'impérialisme américain a
pris un rendez-vous avec le désastre. Il ne peut conquérir le monde. Il ne peut
réimposer des chaînes coloniales aux masses du Moyen-Orient. Il ne trouvera pas
dans la guerre une solution viable à ses maladies internes. Au contraire, les
difficultés imprévues et la résistance montante engendrées par la guerre vont
intensifier toutes les contradictions internes de la société américaine. »
Le rapport du Groupe d’étude
sur l’Irak propose une série d’initiatives tactiques que devraient prendre la
Maison-Blanche et le Congrès afin de sauver quelque chose pour l’impérialisme
américain de l’échec de son aventure militaire en Irak. Ces mesures sont
essentiellement politiques et diplomatiques : entreprendre des pourparlers
avec la Syrie et l’Iran, les deux pays voisins ayant le plus d’influence sur
l’Irak; relancer le processus diplomatique dans le conflit israélo-palestinien;
et faire pression sur les divers groupes politiques ethniques et sectaires en
Irak par en arriver à une « réconciliation nationale ».
L’accent mis par
l’administration Bush sur une solution purement militaire, qui a été l’élément
central de ses efforts des quatre dernières années, est explicitement rejeté.
« Il n’y a rien que peut entreprendre l’armée américaine qui, en soi,
pourrait apporter la victoire en Irak », déclare le rapport, s’opposant à
toute augmentation considérable de la présence militaire américaine.
Au contraire, le Groupe
d’étude sur l’Irak appelle à une réduction du rôle de l’armée des États-Unis et
au retrait de la majorité des troupes combattantes d’ici 2008. Il demande en
même temps que soit augmenté le nombre de soldats américains impliqués dans
l’entraînement des forces irakiennes et que demeurent indéfiniment dans le pays
des dizaines de milliers de soldats américains.
Le comité est arrivé à la
conclusion que la majorité des forces combattant en première ligne devaient
être graduellement retirées d’Irak, car « le maintien de l’engagement des
forces terrestres américaines au niveau actuel en Irak ne laisserait aucune
réserve disponible pour répondre à d’autres imprévus ».
Selon le rapport, les
États-Unis devraient « fournir un appui politique, économique et militaire
supplémentaire en Afghanistan, y compris les ressources qui pourraient se
libérer lors du retrait des forces combattantes de l’Irak ». Outre
l’Afghanistan, on pourrait avoir besoin des troupes américaines « pour
d’autres éventualités de sécurité, comme celles concernant l’Iran et la Corée
du Nord ».
Le rapport ne fait aucune
évaluation des causes ou des possibles responsables de cette catastrophe. Les
dix membres du Groupe d’étude sur l’Irak, cinq démocrates et cinq républicains,
tous ayant servi durant des décennies l’État américain, la grande entreprise et
le système biparti, se sont volontairement abstenus d’entreprendre une telle
analyse, qui ferait porter le blâme aux plus hauts décideurs de
l’administration Bush.
Plutôt, le comité a blanchi
les bellicistes, déclarant : « Nous sommes d’accord avec l’objectif
de la politique américaine en Irak telle qu’élaborée par le président »,
ajoutant que « l’Irak est vital pour la stabilité régionale et même
mondiale, et est crucial pour les intérêts des États-Unis ».
Il est cependant remarquable
que le Groupe d’étude sur l’Irak ne fasse aucune référence aux véritables
raisons données par l’administration Bush juste avant la guerre. Il n’est fait
nulle part mention dans le rapport d’armes de destruction massive, de la
« guerre au terrorisme », et il est fait mention à une seule occasion
de la démocratie (contrairement aux dizaines de fois où est mentionnée la « stabilité »
comme objectif de la politique américaine).
Le
rapport admet toutefois que l’un des principaux intérêts des États-Unis est
l’industrie pétrolière de l’Irak, à laquelle il consacre une section complète,
et il inclut les recommandations que « le gouvernement américain devrait
fournir une assistance technique au gouvernement irakien pour préparer un
projet de loi sur le pétrole qui... établirait un cadre fiscal et légal
permettant l’investissement ».
Une autre recommandation
est : « Les États-Unis devraient encourager l’investissement dans le
secteur pétrolier de l’Irak par la communauté internationale et les compagnies
internationales d’énergie. Les États-Unis devraient assister les dirigeants
irakiens pour réorganiser l’industrie pétrolière nationale en une entreprise
commerciale » — c’est-à-dire, la privatisation et la vente des vastes
réserves pétrolières de l’Irak, les deuxièmes en importance dans le monde, au
profit des multinationales.
La dernière recommandation est
d’inclure les coûts de la guerre dans le budget annuel, débutant avec l’année
fiscale à venir, pour lequel Bush doit soumettre une proposition au début
février. « Les coûts de la guerre en Irak devraient être inclus dans la
demande budgétaire annuelle du président, débutant avec l’année fiscale
2008 : la guerre en est à sa quatrième année et le processus budgétaire
normal ne devrait pas être contourné », note le rapport.
Malgré le ton impératif
employé pour demander au Congrès d’assumer « ses responsabilités
constitutionnelles », plus précisément la supervision des dépenses, cette
recommandation ne vise pas à restreindre un pouvoir exécutif sans borne.
L’administration Bush a utilisé la procédure d’appropriation d’urgence pour
dépenser dans la guerre en Irak et en Afghanistan afin d’éviter d’avoir à
demander des coupures dans les dépenses domestiques qui seraient directement
liées au coût de la guerre. La proposition du GEI va mener directement à
des coupures immédiates et draconiennes dans les dépenses sociales
La Maison-Blanche a reçu la
publication du rapport du GEI en promettant d’examiner ces
recommandations et d’y répondre dans quelques semaines sans s’engager à
quoi que ce soit d’autre. Les plus ardents défenseurs de l’escalade
militaire en Irak, tel que le sénateur républicain John McCain
et le sénateur démocrate Joseph Lieberman, ont
sévèrement dénoncé le rapport.
La direction démocrate au
Sénat a, de manière générale, salué le rapport, et sa publication a été suivie
dans les heures qui suivaient par un vote au Sénat de 95-2 approuvant la
nomination de l’ancien directeur de la CIA Robert Gates en tant que secrétaire
à la Défense, en remplacement de Donald Rumsfeld. Ce vote a eu lieu une
journée seulement après que Gates eut publiquement rejeté, lors de son
témoignage devant le Comité sénatorial des forces armées, tout retrait
significatif de troupes américaines de l’Irak. (Les deux votes
« non » viennent de deux droitistes républicains qui s’opposaient à
Gates parce qu’il a, dans le passé, appuyé l’établissement d’un dialogue direct
entre les Etats-Unis et l’Iran.)
L’adoption par les démocrates
d’un rapport qui appelle pour la poursuite indéfinie de l’occupation militaire
américaine en Irak, illustre le mépris du parti pour les millions de personnes
qui ont exprimé leur opposition à la guerre par leur vote le 7 novembre
dernier. Cela souligne encore une fois que le Parti démocrate est un parti de
l’élite dirigeante, dédié à la défense des intérêts de l’impérialisme
américain.
Les protestations et
l’application de pression appliquée au Parti démocrate ne peuvent pas
transformer ce parti de la grande entreprise en véhicule d’opposition à la
guerre. La lutte contre la guerre impérialiste requiert la construction d’un
mouvement politique indépendant de la classe ouvrière opposé à l’aristocratie
financière américaine et ses deux partis.
Le Parti de l’égalité
socialiste est le seul parti qui lutte pour construire un mouvement de masse de
la classe ouvrière contre le système politique et social existant. Nous
demandons le retrait immédiat de toutes les forces militaires américaines et
des autres forces militaires étrangères de l’Irak et de l’Afghanistan et le
rejet de toute la prémisse de la politique étrangère américaine : la
défense des profits globaux des corporations américaines.
Nous demandons de plus que des
mesures soient prises pour tenir criminellement redevable tous ceux qui sont
responsable des crimes historiques commis contre le peuple irakien dans
l’invasion illégale américaine et l’occupation, incluant Bush, Cheney, Rumsfeld,
Rice et le reste de la cabale de guerre de l’administration et leurs complices
au sein de la direction du Parti démocrate et les conglomérats médiatiques qui
ont servi de relais pour la propagande et les mensonges du gouvernement.
(Article original anglais
publié le 7 décembre 2006)