wsws : Nouvelles et analyses : États-Unis
Par Bill Van Auken
Le 10 avril 2006
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Selon des reportages publiés cette semaine, le gouvernement Bush se trouve à un stade avancé dans ses projets et ses préparatifs pour une guerre aérienne de grande envergure contre l'Iran, y compris un éventuel recours à des armes nucléaires tactiques contre des cibles choisies.
«Des militaires en service, des militaires à la retraite et des agents des services de renseignement américains ont déclaré que des groupes de planification de la Force aérienne américaine sont en train d'établir des listes de cibles et que l'ordre a été donné à des équipes de soldats de combat américaines d'entrer secrètement en Iran pour y recueillir des données sur d'éventuelles cibles et pour prendre contact avec des groupes ethniques minoritaires anti-gouvernementaux», a écrit le journaliste d'enquête Seymour Hersh dans la dernière édition du magazine New Yorker du 17 avril.
L'article du New Yorker fut largement corroboré par un article paru dans le Washington Post de dimanche : «Bien qu'une invasion par la terre ne soit pas envisagée, des officiers militaires considèrent d'autres avenues qui vont d'une attaque aérienne limitée ayant pour cible des sites nucléaires clé, à une campagne de bombardement plus extensive censée détruire un nombre d'objectifs militaires et politiques».
Le Post ajouta que le gouvernement envisage «une campagne ambitieuse de bombardements et de missiles de croisière détruisant des objectifs bien au-delà des installations nucléaires, tels les quartiers généraux du renseignement iranien, de la Garde révolutionnaire et quelques-uns du gouvernement.» Il dit également que les stratèges de la guerre «considèrent l'usage de dispositifs nucléaires tactiques.»
Selon le rapport de Hersh, alors que le but de ce projet militaire est prétendument d'empêcher l'Iran de produire des armes nucléaires, «l'objectif final du président Bush dans la confrontation nucléaire avec l'Iran est le changement de régime.»
De hauts fonctionnaires ont dit à Hersh que les projets du Pentagone prévoient le bombardement de «plusieurs centaines» de cibles en Iran, la majorité n'ayant aucun lien avec le programme nucléaire du pays.
Selon un ancien fonctionnaire anonyme du Pentagone que Hersh cite dans son rapport, la stratégie du gouvernement Bush est basée sur la condition qu' «une campagne de bombardement soutenue en Iran humilierait la direction religieuse en incitant un soulèvement populaire pour renverser le gouvernement». L'ancien fonctionnaire dit à Hersh, «J'étais choqué en entendant cela, et je me suis demandé "Mais que fument-ils?"»
Le fait que des représentants de haut rang du gouvernement américain soient convaincus qu'une campagne de bombardement qui, sans aucun doute, coûterait la vie à des milliers de personnes et laissera une grande partie de l'infrastructure en ruine, puisse déclencher un soulèvement proaméricain est en effet inouï.
Encore plus sinistre, pour la première fois depuis les bombardements américains d'Hiroshima et de Nagasaki en 1945, ils planifient utiliser l'arme nucléaire dans une guerre, et cette fois-ci de façon non provoquée.
Hersh rapporte que cet hiver le Pentagone a présenté à la Maison blanche des esquisses de projets d'éventualité prévoyant «l'usage d'une arme tactique nucléaire servant à détruire les bunkers, telle la B61-11, contre des sites nucléaires souterrains. L'un des objectifs est la principale usine iranienne de centrifugation à Natanz, à quelques 300 kilomètres au sud de Téhéran.»
L'article cite de plus un ancien fonctionnaire du ministère de la Défense révélant que des avions de combat opérant à partir de porte-avions basés en Mer d'Arabie ont simulé «des vols de bombardements nucléaires, exécutant des manoeuvres d'ascension rapides connues sous le nom de bombardement « par-dessus l'épaule », depuis l'été dernier à portée du réseau radar installé sur les côtes iraniennes».
Un ancien officier du service de renseignement a dit à Hersh que si les Etats-Unis désiraient détruire les installations nucléaires iraniennes, qui sont disséminées dans le pays entier et qui, dans certains cas, se trouvent dans des abris souterrains fortifiés, ils devraient certainement recourir à des armes nucléaires. «Toute autre option, dans l'esprit des stratèges nucléaires, laisserait une incertitude», dit le fonctionnaire. «'Décisif' est le mot clé dans le planning de la Force aérienne américaine. C'est une décision difficile. Mais nous l'avons prise au Japon.»
«Nous parlons de champignons atomiques»
En révélant les implications des frappes nucléaires, le fonctionnaire ajouta, aux dires de Hersh, « nous parlons de champignons atomiques, de radiations, de victimes en masse et de contamination pour les années à venir. Il ne s'agit pas d'un essai nucléaire souterrain, où tout ce que vous voyez est la terre qui tremble un petit peu. Ces politiciens n'ont aucune idée de ce que cela signifie et chaque fois que quelqu'un essaie de retirer l'option nucléaire, il se fait remettre à sa place.»
Hersh rapporte que de hauts gradés du commandement militaire de l'armée sont fortement opposés à la menace d'utiliser l'arme nucléaire contre l'Iran et certains ont même menacé de démissionner sur cette question. Cette affirmation a aussi été reprise par le Washington Post qui a écrit : «De nombreux officiers et spécialistes militaires, cependant, sont inquiétés de ces menaces agressives. Une frappe contre l'Iran, préviennent-ils, ne ferait tout au plus que retarder de quelques années leur programme nucléaire mais elle pourrait embraser l'opinion internationale contre les Etats-Unis, en particulier le monde musulman et tout spécialement en Iran même tout en exposant les troupes américaines en Irak à des représailles.»
Il y eut des spéculations selon lesquelles l'apparition de tels rapports ferait partie de la stratégie du gouvernement Bush d'intimider le régime iranien pour qu'il abandonne son programme nucléaire sans résister. Par ailleurs, tout prête à croire que des officiers gradés du commandement militaire de l'armée aimeraient rendre publique la discussion des frappes nucléaires contre l'Iran comme un moyen de couper court à une telle démarche avant que le gouvernement Bush ne puisse l'accomplir.
Le gouvernement iranien rejeta les menaces de guerre la considérant comme une tactique d'intimidation. «Nous le considérons (le projet de frappes aériennes) comme une guerre psychologique qui tire sa source dans la colère et la faiblesse américaines» a précisé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hamid Reza Asefi, à la presse. Au même moment, il a accusé Washington de vouloir provoquer une crise. «Ils ne veulent pas que nous arrivions à un accord avec l'Agence internationale de l'énergie atomique et les Européens», dit-il.
Le principal allié de Washington dans la guerre contre l'Irak, la Grande-Bretagne, a également rejeté l'idée qu'il y avait une réelle menace d'une guerre américaine contre l'Iran. « il n'y a pas de pistolet encore chaud, il n'y a pas de raison de faire guerre», a dit le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw. «Nous ne pouvons pas être sûrs quant aux intentions de l'Iran et c'est pourquoi il n'y aucune base pour quiconque de déclencher une action militaire.»
Selon le Washington Post, cependant, le gouvernement Blair «a commencé à planifier pour l'éventualité d'une frappe américaine, en examinant les mesures à prendre pour assurer la sécurité de ses ambassades et de ses postes consulaires, des citoyens britanniques et des intérêts des entreprises basées en Iran ainsi que des bateaux croisant dans la région et des troupes britanniques en Irak.»
De nombreux observateurs soulignant l'irrationalité de déclencher une guerre contre l'Iran dans des conditions où les forces militaires américaines arrivent déjà à leur limite dans le pays voisin, en Irak, et où des frappes, de l'autre côté de la frontière, provoqueraient sans aucun doute des soulèvements au sein de la population shiite irakienne, majoritaire dans le pays, rendant ainsi l'occupation américaine encore plus intenable.
De tels efforts pour réassurer les esprits, reposent pourtant sur des suppositions injustifiées à savoir que des considérations logiques jouent un rôle prédominant dans l'élaboration de la politique du gouvernement Bush. Une aventure criminelle et téméraire représente une possibilité tout à fait réelle, émanant en bonne partie de l'approfondissement de la crise politique dans laquelle se trouve l'administration Bush aux États-Unis. La Maison blanche de Bush a vu son soutien populaire chuter à des niveaux records et elle est menacée par plusieurs bombes à retardement politiques : la détérioration de la situation en Irak, l'instabilité économique, les enquêtes policières menées pour corruption et abus de pouvoir.
La décision d'embarquer dans une autre guerre comme moyen de détourner et d'intimider l'opinion publique représente une possibilité tout à fait réelle. Il est également probable qu'une attaque contre l'Iran confère à la Maison Blanche de Bush une véritable «guerre contre le terrorisme» facilitant ainsi ses attaques contre les droits démocratiques à l'intérieur du pays et justifiant même à l'avenir des aventures militaires américaines encore plus importantes contre des objectifs potentiels tels la Chine et la Russie. La plupart des experts dans les relations politiques de la région prédisent qu'une frappe américaine contre l'Iran provoquerait une véritable campagne de représailles contre des cibles américaines à la fois à l'extérieur et à l'intérieur des Etats-Unis de la part de forces bien organisées et bien équipées.
Il n'y eut littéralement aucune protestation de la part des dirigeants du Parti démocrate contre la menace d'attaques nucléaires contre l'Iran. De nombreux dirigeants du parti, y compris la sénatrice de New York, Hillary Clinton, ont attaqué à maintes reprises Bush de la droite au sujet de la question iranienne, accusant le gouvernement de ne pas prendre une ligne suffisamment dure dans sa politique contre Téhéran.
Selon le reportage de Hersh, au moins un important sénateur démocrate a été invité par le gouvernement avec d'autres membres du Congrès à participer aux débats sur les projets de guerre contre l'Iran. Citant un membre anonyme de la Chambre des représentants, Hersh a rapporté que les sénateurs qui ont assisté aux scéances d'information n'ont demandé des questions que sur la capacité technique des forces militaires à effectuer efficacement une frappe. «Il n'y a pas de pression de la part du Congrès» contre le déclenchement d'une attaque militaire contre l'Iran, a dit le membre de la Chambre.
L'élite dirigeante américaine arrive à
un consensus sur une agression militaire contre l'Iran pour les
mêmes raisons qui ont généré un soutien
bipartite pour la guerre contre l'Irak. Comme le disait à
Hersh un «diplomate de haut rang», «la véritable
question est de savoir qui va contrôler le Moyen-Orient
et son pétrole au cours des prochaines années».
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