WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient
Le tribunal extraordinaire créé sous les auspices des Etats-Unis à Bagdad a commencé le deuxième procès de l’ancien président irakien Saddam Hussein et de ses associés du Parti baasiste. Le procès se concentre sur les accusations selon lesquelles Hussein aurait autorisé les massacres sanglants et l’utilisation de gaz mortels contre la population kurde du nord de l’Irak en 1988, lors d’une opération connue sous le nom d’« Anfal », du terme arabe « butin de guerre ».
Avec Hussein, se trouvent parmi les accusés son cousin Ali Hassan al-Majid, chef militaire de l’opération Anfal; le sultan Hashem Ahmed, commandant militaire de l’opération et plus tard ministre de la Défense; Saber Abdel Aziz, directeur des services de renseignements militaires; Hussein Rashid al-Tikriti, directeur adjoint des opérations pour les forces irakiennes, Taher Mohammed al-Ani, gouverneur de la ville de Mossoul; et Farhan al-Jubari, chef des services de renseignements militaires au nord.
L’incident le plus connu à être survenu sous le règne de Hussein, l’utilisation de gaz mortels contre la ville kurde de Halabja qui a fait 8 000 morts, ne fait pas partie des accusations. Il fera l’objet d’un procès séparé.
Comme le précédent, ce procès contre Hussein constitue une flagrante violation du droit international, qui interdit une puissance occupante de mettre sur pied de nouvelles institutions légales dans un pays conquis.
D’un point de vue politique, le procès constitue un acte d’extrême cynisme, car l’administration Bush est coupable de crimes au moins aussi odieux que ceux de Hussein. De plus, lors des événements de 1988, le gouvernement américain était secrètement complice de Hussein dans le bain de sang kurde.
Le procès a commencé le 21 août, et les témoignages des survivants de l’opération Anfal se sont poursuivis jusqu’à mercredi, avant qu’il ne soit ajourné jusqu’au 11 septembre. Les témoignages ont donné un aperçu des énormes souffrances infligées au peuple kurde, mais les événements politiques entourant l’opération Anfal, et surtout l’appui tacite des Etats-Unis pour les massacres, ont été complètement évités par le procès et la couverture médiatique.
Garder dans l’ombre de tels éléments durant un si long procès, et particulièrement durant la période réservée à la défense et à sa réfutation, pourrait s’avérer plus difficile. Hussein s’est déjà montré capable d’exploiter les faiblesses et les contradictions de la position de l’administration Bush et ses laquais à Bagdad.
On discute peu de ce qui s’est produit dans les régions kurdes de l’Irak en 1987-88, vers la fin de la guerre entre l’Iran et l’Irak (une guerre encouragée successivement par les administrations américaines, qui voyaient en Saddam Hussein un allié qui mettait à sang leur principal ennemi dans la région, la théocratie iranienne dirigée par l’ayatollah Khomeyni.)
Les combattants kurdes des milices Pesh Merga, travaillant conjointement avec l’Iran, ont organisé un soulèvement dans plusieurs provinces du nord et prirent le contrôle dans plusieurs régions montagneuses. Le régime de Bagdad a contre-attaqué avec une sanglante campagne de représailles, incluant des exécutions de masse, l’utilisation de gaz mortels, la destruction de villages et le déracinement de la quasi-totalité de la population kurde, de manière à priver la guérilla d’une base d’appui dans la population. Il est estimé que le nombre de morts est compris entre 75 000 et 200 000.
Durant toute cette période, l’administration Reagan aux Etats-Unis, maintint d’étroites relations avec Bagdad — relations qui furent cimentées en 1983-84 dans une série de visite par l’émissaire spécial de Reagan à Saddam Hussein, l’ancien et actuel secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld.
Les services du renseignement américains fournissaient des informations stratégiques et tactiques aux planificateurs militaires de l’Irak. Cette information était parfois utilisée par l’Irak pour planifier des frappes à l’arme chimique contre des concentrations de troupes iraniennes, qui provoquaient un nombre dévastateur de morts durant les dernières années de la guerre.
Si étroite était la collaboration avec l’Irak, que lorsque qu’il ouvrit le feu contre le navire de guerre américain, le USS Stark, alors en patrouille de routine, l’administration Reagan minimisa l’importance de l’incident.
Si le gouvernement américain était prêt à ignorer l’assassinat de 37 de ses marins, il n’était certainement pas pour s’inquiéter du massacre de Kurdes. Quelques déclarations de préoccupation de routine ont été envoyées à Beyrouth, mais Saddam Hussein reçut le vrai message : il devait faire tout ce qui était nécessaire pour se maintenir au pouvoir contre la menace iranienne.
L’histoire complète de l’appui américain pour le régime de l’Irak demeure sous clé dans les archives de la CIA et du Pentagone. Mais il existe suffisamment de preuves que l’administration Reagan, en plus d’avoir fourni des informations et autres renseignements militaires à Hussein, lui a fourni des milliards de dollars en crédits et a aussi donné le feu vert aux autres alliés américains en Europe et au Moyen-Orient de lui fournir de l’équipement militaire et de l’aide. Les firmes américaines et européennes ont fourni à l’Irak les ingrédients essentiels pour le développement et la production d’armes chimiques et biologiques.
Dans un article écrit en 2002 et intitulé « Qui a armé Saddam ? », l’universitaire britannique Glen Rangawala a écrit : « Durant l’opération Anfal, les Etats-Unis ont augmenté leur appui à l’Irak. Ils ont aidé l’Irak dans ses attaques contre les installations iraniennes, bombardant deux plates-formes pétrolières iraniennes et détruisant une frégate iranienne un mois après l’attaque de Halabja. Deux mois plus tard, de hauts responsables américains encourageaient la coordination avec la grande entreprise dans un forum organisé par l’Etat irakien. L’administration américaine s’est opposée, et a fini par bloquer, une loi du Sénat américain qui aurait empêché que des prêts soient faits à l’Irak. Les Etats-Unis ont approuvé l’exportation en Irak de marchandises pouvant servir aux civils et aux militaires à un rythme deux fois plus élevé après Halabja qu’avant 1988. Les garanties écrites irakiennes sur l’usage civil étaient acceptées par le département du Commerce américain, qui ne demandait pas de permis ou d’inspections (comme il le faisait pour plusieurs autres pays). »
Les procès actuels de Saddam Hussein et de ses proches associés n’ont rien à voir avec le fait de rendre justice et de culpabilité pour des crimes commis par le régime baasiste contre le peuple irakien. Ils ont plutôt pour but de justifier politiquement les crimes commis aujourd’hui par l’administration Bush contre cette même nation, maintenant sous occupation.
Les médias américains ont concentré leur couverture sur l’Irak cette semaine sur la preuve des victimes de l’opération Anfal, tout en passant sous silence le rôle de responsables américains comme Reagan, Rumsfeld et de Bush père, alors vice-président des Etats-Unis, qui ont appuyé et facilité la répression sanglante.
Que sont les Etats-Unis pour condamner Saddam Hussein ? Si un compte-rendu exact pouvait être fait, il montrerait que plus d’Irakiens innocents sont décédés en conséquence des actions de Washington que des actions de la dictature baasiste. Une telle liste comprendrait :
* Un million d’Irakiens morts lors de la guerre entre l’Irak et l’Iran (et un nombre encore plus grand d’Iraniens), une guerre menée à l’instigation de l’administration Carter en 1980 et encouragé pendant huit ans par l’administration Reagan.
* Environ 100 000 soldats et civils irakiens tués sous les bombes et en conséquence d’autres actions militaires directes par les Etats-Unis lors de la première Guerre du golfe Persique de 1991, menée par l’administration de Bush père.
* Entre un million et un million et demi d’Irakiens, la plus grande partie étant des enfants, sont morts en conséquence des sanctions économiques imposées par les Etats-Unis. L’Irak ne pouvait importer des médicaments et des aliments de base, ni d’équipement médical. Cet embargo a été imposé par l’administration de Bush père et maintenu par l’administration Clinton et l’administration de Bush fils.
* Les morts de l’invasion de l’Irak en 2003 et de l’occupation du pays qui continue depuis, que l’on estime à plus de 100 000.
Personne ne peut nier que le régime de Saddam Hussein fût une dictature sanglante et répressive, même si cela n’a pas empêché plusieurs gouvernements américains successifs de maintenir d’étroites relations militaires et diplomatiques avec l’Irak lorsque cela servait les intérêts de l’impérialisme américain.
Tout procès dans lequel Saddam Hussein sera un des principaux accusés alors que les dirigeants de l’impérialisme américain se présentent comme les défenseurs de la démocratie, de la justice et des droits de l’homme ne peut être décrit que comme une farce et une fraude. C’est George W. Bush et ses principaux adjoints et complices, au gouvernement, au Congrès et dans toute l’élite dirigeante américaine qui méritent le plus d’être amenés devant les juges pour crimes contre l’humanité.
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