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Le militarisme vert: Ströbele préconise une
intervention militaire allemande au Congo
Par Peter Schwarz
5 juin 2006
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Les temps où les Verts condamnaient les interventions de l’armée allemande
à l’étranger, ou du moins les contestaient, sont depuis longtemps révolus.
Retournés, après sept ans passés au gouvernement, sur les bancs de
l’opposition, ces pacifistes d’antan comptent aujourd’hui parmi les plus
ardents avocats d’une intervention de la Bundeswehr au Congo. Cette
intervention pourrait devenir l’une des missions les plus considérables et
les plus dangereuses de soldats allemands à l’étranger.
S’il y a critique du gouvernement allemand de la part des Verts sur cette
question, c’est une critique de droite et non pas de gauche. Pour eux, les
plans de la « grande coalition » (CDU-SPD) ne vont pas assez loin. Alors
que le gouvernement veut limiter géographiquement l’intervention de la
Bundeswehr à la capitale Kinshasa et à ses environs immédiats, les Verts
plaident eux, pour une mission sans limites dans l’espace.
Un jour avant que le gouvernement ne décide (le 17 mai) d’envoyer 780
soldats en RDC (République démocratique du Congo) dans le cadre d’une
mission de l’Union Européenne, la fraction parlementaire des Verts a
présenté une résolution dans laquelle elle se félicite expressément de
cette intervention. Selon cette résolution, la République fédérale
allemande a « l’intérêt et l’obligation de contribuer de façon appropriée
et à long terme à la stabilisation et à la défense du processus de paix
dans la République démocratique du Congo ». « Les troupes promises par
l’UE représentent une contribution à garantir la tenue d’élections ».
Cette résolution s’oppose explicitement à ce que l’intervention se limite
à la capitale congolaise, comme l’avait promis à l’origine le ministre de
la Défense, Franz Josef Jung (CDU). « Le gouvernement féderal ne doit pas
imposer de limites artificielles à cette mission des Nations-Unies. Un
secours d’urgence de la part de la Bundeswehr ne doit pas finir là où
s’arrête la ville de Kinshasa » réclament les Verts.
Tandis que le gouvernement fédéral maintient la fiction d’une intervention
militaire qui serait une mesure d’assistance limitée, effectuée au nom des
Nations-Unies et censée garantir le déroulement en bonne et due forme
d’élections prochaines, les Verts déclarent eux, que l’envoi de soldats
allemands au coeur de l’Afrique fait partie d’une stratégie de politique
extérieure générale. « Le soutien apporté à la République démocratique du
Congo doit faire partie d’une politique extérieure cohérente de sécurité
et de développement basée sur le partenariat vis-à-vis des Etats de ce
continent qui est notre voisin du Sud » peut on lire encore dans la
résolution de la fraction parlementaire verte.
Celle-ci bat le rappel pour un engagement militaire de longue durée dans
l’ensemble de l’Afrique. Elle exhorte ainsi le gouvernment allemand à
s’engager davantage dans la formation policière et la réforme de l’armée,
à « soutenir » l’opération de la Monuc lancée sous l’égide des
Nations-Unies « à long terme grâce à de la logistique et du personnel de
direction tant civil que militaire » et à renforcer sa capacité à «
découvrir des camps armés et à désarmer enfin… les nombreuses milices ».
Cela revient à stationner des soldats allemands indéfiniment non seulement
au Congo mais dans le reste de l’Afrique. Dans le cadre de leur «
politique africaine cohérente » les Verts prennent fait et cause pour que
le gouvernement allemand soutienne « de façon accrue les missions de paix
des Nations-Unies en Afrique, par des moyens financiers, du personnel
spécialisé civil et militaire et de la logistique. »
Un voyage d’information des députés verts Hans-Christian Ströbele et
Winfried Nachtwei avait précédé la résolution des Verts au parlement. Tous
deux ont fait de ce voyage des rapports détaillés dans lesquels ils
préconisent avec insistance une intervention de la Bundeswehr.
Le rôle joué par Ströbele dans cette question est particulièrement
notable. Cet avocat de 67 ans, vétéran du mouvement de 1968 et membre
fondateur du parti des Verts y fit longtemps figure de représentant de
l’aile gauche et d’adversaire de Joschka Fischer. Lorsque les Verts ont
refusé de lui donner une place sûre sur une de leurs listes, il a
sollicité un mandat direct dans la circonscription de Berlin-Kreuzberg et
a été le seul candidat vert de toute l’Allemagne à obtenir directement un
siège au parlement.
Dans le passé Ströbele s’était, dans les débats sur les interventions
militaires à l’étranger au sein de son parti, fait un nom pour avoir, la
plupart du temps, représenté ceux qui s’y opposaient ; puis, au dernier
moment, il rentrait dans le rang pour gagner le parti à une décision
favorable à une intervention. A présent, il cherche à étouffer dans l’oeuf
toute objection à l’intervention militaire au Congo.
Dès la première phrase de son rapport sur le Congo on peut ainsi lire: «
Les soldats des Nations-Unies ne sont pas dans la République démocratique
du Congo pour imposer une volonté européenne au gouvernement ou à la
population, ils ne sont pas là non plus pour commencer ou conduire une
nouvelle guerre, même pas pour en finir une et sûrement pas pour garantir
des intérêts économiques européens ou allemands »
Mais Ströbele n’apporte pas de preuve de ses assertions. Ce qui serait
d’ailleurs bien difficile. Après tout, ce ne sont pas les articles de fond
qui manquent dans la presse (en Allemagne non plus) et qui parlent de
l’immense richesse en matières premières du pays. Le diplomate allemand
auprès des Nations-Unies, Albrecht Conze, que Ströbele et Nachtwei ont
rencontré au Congo, montre en détail dans le numéro d’Avril de la revue
Internationale Politik, comment ces richesses sont pillées par les
différentes grandes puissances et leurs agences sur les lieux et comment
elles sont emportées hors du pays.
Que l’Allemagne et l’Europe ne poursuivent pas, dans ce cas, d’intérêts
économiques est une histoire à dormir debout, qu’on a d’autant plus de
peine à croire que Ströbele la ressasse. « Il me semble que le danger le
moins grand » dit-il ailleurs « est que l’intervention de l’Union
Européenne et de la Bundeswehr serve des intérêts économiques allemands et
fasse la promotion d’une politique néocoloniale. » Et que nous donne-t-on
comme preuve ? Un « interlocuteur de la société civile de Bukavu » aurait
répondu à cette allégation qu’elle était « stupide » !
Ströbele se réfère aussi volontiers par ailleurs à des interlocuteurs
anonymes. Selon ceux-ci, les soldats allemands ne seraient pas seulement
les bienvenus au Congo, leur présence y serait même ardemment souhaitée. «
Les troupes de l’UE, en particulier avec une participation une allemande,
sont jugées comme [ayant un effet] particulièrement positif et neutre »
écrit-il. « Le refus d’une intervention de l’UE serait perçue comme étant
de l’indifférence de la part de l’Europe et de l’Allemagne vis-à-vis du
développement de l’Afrique ».
Il justifie l’extension de la mission de la Bundeswehr au-delà de Kinshasa
de la même façon: On comprenait fort peu « un mandat limité dans l’espace
à la capitale Kinshasa, à l’aéroport et à une mission d’évacuation des
scrutateurs et des européens en cas de crise » et « il ne serait guère
possible de l’expliquer à la population congolaise », écrit Ströbele.
A voir les différents groupes qui aspirent à accéder au pouvoir et à
l’influence au Congo, il n’est pas surprenant que Ströbele et Nachtweis et
leurs plans d’interventions de la Bundeswehr y soient acceuillis à bras
ouverts. Les divers seigneurs de guerre, miliciens et chefs de clans qui
se font mutuellement la guerre, aspirent tous à etablir de bonnes
relations avec l’une ou l’autre puissance impérialiste. Sans soutien de
l’extérieur, ils ne pourraient pas se maintenir. L’Allemagne est ici un
partenaire qu’on s’arrache tout particulièrement, premièrement parce
qu’elle est relativement riche et deuxièmement parce qu’à l’opposé de la
France et des Etats-Unis elle ne s’est pas encore fixée sur l’un ou
l’autre groupe.
Les élections soi-disant démocratiques ne changeront rien aux conditions
catastrophiques qui règnent dans le pays. Elles détermineront tout au plus
lequel des groupes ethniques ou des groupements politiques de l’élite
congolaise aura à l’avenir le droit de détrousser la population et
d’entretenir des relations privilégiées avec les grandes puissances. Le
Congo n’est pas de ce point de vue foncièrement différent de l’Irak, où le
prétendu « processus de démocratisation » sous la direction des forces
d’occupation produit une intensification permanente des tensions entre les
divers groupes de la population.
Il n’y a pas de fraction parlementaire au Bundestag qui ne soutienne avec
autant d’enthousiasme et de façon aussi soudée une intervention allemande
au Congo que les Verts. Du côté des conservateurs, des sociaux-démocrates
et des libéraux il y a eu des réserves considérables. Le Parti de la
gauche a rejeté l’intervention en bloc.
Beaucoup de députés craignent que le gouvernement allemand ne s’engage là
dans une aventure à l’issue incertaine. Ils redoutent que la Bundeswehr
puisse être entraînée dans un conflit auquel elle n’est préparée ni
militairement ni psychologiquement. Même s’ils sont foncièrement d’accord
pour approuver de telles interventions, ils croient que la population
allemande n’est pas encore suffisamment préparée à des revers militaires
et à de fortes pertes humaines.
Les Verts n’ont pas ce genre de scrupules. Ils ne se soucient guère de la
vie ou de la santé des soldats. Ce qui recouvre une forte dose d’arrogance
sociale. Beaucoup de ces anciens pacifistes ont fait usage de la
possibilité de refuser de faire le service militaire et de faire à la
place un « service civil ». On retrouve rarement leurs enfants dans la
Bundeswehr. Ce n’est pas leur propre peau qu’ils risquent.
Les Verts sont en faveur d’une armée de métier et leur arrière pensée est
: qui se fait payer pour mener une vie de soldat doit aussi être prêt à
risquer sa vie. Ils montrent vis-à-vis des soldats de la Bundeswehr la
même morgue qu’à l’égard des chômeurs pour lesquels ils ont décrété les
lois Hartz IV et de nombreuses privations sociales.
La métamorphose des Verts est spectaculaire. De pacifistes qu’ils étaient,
ils se sont mués en ardents défenseurs des interventions militaires
impérialistes. Dans le passé, les impérialistes avaient l’habitude
d’envoyer des missionnaires en éclaireurs avant de faire suivre la troupe.
Une tâche qui revient à présent aux Verts.
Voir aussi:
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