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Allemagne : L'Alternative électorale Travail et Justice sociale glorifie le rôle de l'Etat


Par Ulrich Rippert
Le 10 décembre 2004

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L'Alternative électorale Travail et Justice sociale (Wahlalternative Arbeit und Soziale Gerechtigkeit - WASG) publia il y a quelques jours la teneur du discours prononcé par Detlev Hensche à la fin du mois de novembre devant le congrès national de l'organisation à Nuremberg. Les délégués présents à cette conférence se prononcèrent pour la transformation de l'Alternative électorale en parti.

Le congrès était axé sur le discours de Hensche qui devait délimiter le cadre politique de la fondation du futur parti ; parallèlement, les délégués décidèrent de repousser la discussion de toutes divergences à un soi-disant « congrès programmatique » au printemps prochain. Le président de longue date du syndicat des médias IG Medien, qui avait quitté l'an dernier le SPD en protestation contre la politique antisociale du gouvernement Schröder pour rejoindre la WASG, fit son discours sous le titre : « Pour une alternative politique ».

Mais, ce qu'il exposa pendant une bonne heure resta extrêmement pauvre pour ce qui était du contenu et des alternatives politiques. Dans son discours, Hensche se limita presque exclusivement à reprendre à son compte, avec des paroles fortes et des formules percutantes, la vaste opposition à la démoliton sociale permanente et aux baisses d'impôts en faveur des revenus les plus élevés.

Selon lui, « la classe politique » se trouverait, avec l'Agenda 2010, Hartz IV et l'affirmation qu'il n'existerait aucune alternative, sur la voie de la « folie collective ». L'exigence de journées de travail plus longues était issue, au vu du chômage croissant, « de l'asile d'aliénés ». L'édulcoration de la protection contre les licenciements et des accords tarifaires obligatoires serait, comme soi-disant moyen de créer des emplois et d'augmenter la sécurité du travail, le « symptôme d'une paranoïa galopante ».

« Comment des salariés apeurés et démotivés devraient-ils arriver à s'identifier avec leur travail, sans la joie à innover ? » demanda Hensche, ajoutant que chaque étudiant en droit apprenait en première année qu'un père qui dilapide les revenus de sa famille au casino, pouvait être privé de ses droits. Mais, quand une part de plus en plus importante des « bénéfices collectivement produits » disparaissaient « à la roulette des bourses et des casinos internationaux », cela s'appelait « une réforme ou bien une retraite-Riester » [du nom du ministre du Travail et des Affaires sociales du premier gouvernement de Gerhard Schröder].

Puis, il fit violence à une citation de Goethe, selon laquelle il n'y avait rien de pire que l'« ignorance active » et exigea le retour à la rationalité. On aurait déjà obtenu beaucoup si on revenait à « la rationalité économique » et si « ce sabbat des sorcières de l'étroitesse d'esprit dans les entreprises » prenait fin. Il ne fallait pas accepter le « mythe de l'absence d'alternative » car il s'agissait là du « ronflement permanent de la classe politique », et ainsi de suite.

Pour qui chercherait des réponses politiques et des alternatives, il n'y avait, dans ce discours de six pages, mis à part un appel à une « politique de la raison » et un appel pour que la politique s'orientât conformément aux « principes de la philosophie européenne des Lumières », qu'un appel à la défense de l'Etat providence.

Dans son discours, Hensche souligne avec éloquence l'avantage des prestations sociales étatiques pour le renforcement de « la démocratie et des libertés civiles » et met en garde contre le danger d'un éclatement de la société dû à la destruction de l'Etat social. Puis, comme si cela coulait de source, il en déduit que le maintien de l'Etat providence devait être la principale revendication du nouveau parti.

« Oui, c'est la principale tâche de l'Etat social que de créer les conditions sociales du libre épanouissement de la personne, par des institutions et des prestations sociales, par un système de la prévoyance sociale et par la protection légale de l'emploi. Rappelons à nouveau cette dimension de la liberté », proposa-t-il aux délégués qui l'applaudissaient. Face à la « perversion » prédominante de « l'après-libéralisme », qui réduisait la liberté à la seule liberté du marché, une défense du principe de l'Etat social était, selon lui, la tâche la plus urgente.

Au moyen d'une telle argumentation, Hensche évite délibérément deux questions : tout d'abord, il n'examine pas pourquoi les partisans du libre marché se sont imposés dans tous les partis réformistes de tous les pays (y compris au SPD, auquel il a appartenu pendant 40 ans). Malgré le fait que les protestations de masse contre les restrictions sociales aient fait long feu sans rien obtenir, il crée l'impression que l'Etat social peut être maintenu grâce à un vaste mouvement de la base, un mouvement venu d'en bas. Puis, il assimile conquêtes sociales et Etat providence et, en cela, il oblitère la question, à savoir quels intérêts de classe cet Etat sert-il.

Considérons les deux questions d'un peu plus près : quiconque prétend aujourd'hui qu'il est possible de retourner à la politique des réformes sociales des années 1970 et de faire revivre le SPD de Willy Brandt (laissons de côté pour le moment l'ampleur et la profondeur de ces réformes que, rétrospectivement, l'on glorifie fortement aujourd'hui), est soit un sot du point de vue politique, soit un charlatan.

Il suffit de jeter un regard dans les entreprises pour constater combien la vie du travail en particulier, mais aussi la vie en général, a changé au cours des trois dernières décennies du fait de la globalisation de la production. Le chantage dont sont victimes les ouvriers de l'industrie automobile et de beaucoup d'autres industries est tout à fait réel. Les entreprises ne font pas que menacer, elles délocalisent effectivement une grande partie de la production dans les pays à main-d'oeuvre bon marché, en Pologne, en Ukraine ou en Chine. Cela est aussi valable pour l'activité à forte valeur des techniciens, des ingénieurs ou des développeurs software. La puissance des marchés financiers internationaux et des grands investisseurs elle aussi est réelle et détermine de bien des façons les décisions prises dans les entreprises.

Ces changements objectifs de l'économie mondiale ont privé de base le système étatique national de protection du travail et de mesures sociales de l'après-guerre. Cela a de vastes répercussions, précisément en Allemagne. Il n'y a guère d'autre pays (à l'exception de la Suède peut-être) où la politique de l'équilibre et du partenariat social était aussi prononcée qu'ici et était si fermement inscrite dans la loi.

Après le fascisme et la guerre, la classe dirigeante allemande s'était vue dans l'obligation de faire des compromis sociaux et politiques dans de nombreux domaines. Mais ces mesures n'étaient possibles que dans la situation de l'après-guerre, alors que, soutenu par les crédits américains, le pays était reconstruit et la production avait un taux de croissance élevé. La globalisation de la production, avec laquelle le capital international réagit à la crise des années 1970, n'a pas seulement conduit à l'effondrement des régimes des Etats nationaux staliniens d'Europe de l'Est, de la RDA et de l'Union soviétique, elle a aussi détruit la base d'une économie de marché à vocation sociale.

Cela ne signifie nullement que cette situation transformée rende un progrès social impossible, tout au contraire. Les nouvelles formes de communications internationales, la croissance de la productivité du travail et l'expansion de la production industrielle dans le monde entier créent les conditions d'une société humaine ayant un haut degré d'égalité sociale. Mais cela ne peut être obtenu qu'à travers une transformation socialiste de la société. Tant que le processus de production sera déterminé par la propriété privée des moyens de production et qu'elle servira à l'enrichissement sans bornes d'une petite couche de gens au sommet de la société, la globalisation sera imposée impitoyablement contre les intérêts des salariés et donc contre l'ensemble de la population.

En d'autres termes, ce n'est qu'une perspective socialiste dépassant le cadre de l'ordre capitaliste existant et plaçant les besoins de la population au-dessus des intérêts de profits des trusts et des banques qui puisse assurer une orientation vers un avenir viable à la lutte contre Hartz IV, l'Agenda 2010 et les autres attaques du niveau de vie. Celui qui prétend en revanche qu'on peut restaurer l'« économie de marché à vocation sociale » ou encore le soi-disant « capitalisme rhénan » est condamné d'avance à l'échec.

Ce qui nous conduit à la deuxième question. Hensche prétend que « l'Etat providence est avant tout une expression de la liberté ». C'est faux. Tout Etat, même un Etat social et démocratique, défend toujours les rapports de propriété et de pouvoir existants. L'Etat social des années 1970 servait au maintien de l'ordre bourgeois, indépendamment de ses aspects sociaux.

Le modèle de l'Etat social allemand remonte au chancelier du Reich Otto von Bismarck qui, il y a un siècle, introduisit les assurances sociales d'Etat, non pas pour préparer une société libre ou pour ouvrir la voie à une « expression de la liberté », pour reprendre les mots de Hensche, mais pour protéger et stabiliser l'empire et le pouvoir montant de la bourgeoisie vis-à-vis d'une classe ouvrière forte et d'orientation socialiste.

Les sociaux-démocrates de l'époque, principalement Rosa Luxemburg, mettaient constamment en garde contre le danger de faire confiance à l'Etat dans la lutte pour les intérêts sociaux et politiques de la classe ouvrière. S'opposant aux réformistes de l'époque, comme Bernstein, Luxemburg soulignait que les réformes sociales étaient toujours un sous-produit de la lutte révolutionnaire. Elle avait raison. Se limiter, comme le faisaient les réformistes, à des améliorations graduelles dans le cadre de l'ordre bourgeois n'empêchait pas seulement une révolution, cela rendait aussi impossible des réformes durables.

Le fait que Hensche glorifie l'Etat sous le couvert d'une défense de la réforme sociale n'est pas le fruit du hasard mais provient de conceptions qui sont celles d'un fonctionnaire syndical de longue date. Face à l'augmentation des problèmes économiques et des tensions sociales, les syndicats collaborent partout étroitement avec les gouvernements et avec le pouvoir étatique. Au Brésil, Inazio da Silva (Lula), le dirigeant du Parti des Travailleurs issu des syndicats, est devenu président de la République. Mais en Allemagne aussi, les syndicats offrent, autant qu'il leur est possible, leur soutien au gouvernment. Hensche incarne une variante de gauche de cette évolution.

Dans un article rédigé en 1940 et intitulé « Les syndicats à l'époque du déclin impérialiste », Léon Trotsky mettait en évidence les racines de cette évolution. Le capitalisme monopoliste ne reposait pas sur l'initiative privée et la libre concurrence, mais sur le commandement centralisé, écrivait-il. Les syndicats se trouvaient donc en face d'un « adversaire capitaliste centralisé, intimement lié au pouvoir de l'Etat » écrivait il.

La conclusion qu'il en tirait est aussi valable de nos jours : « Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche essentielle consiste à 'libérer' l'Etat de l'emprise capitaliste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l'attirant à lui. Cette attitude est en complète harmonie avec la position sociale de l'aristocratie et de la bureaucratie ouvrière qui combattent pour obtenir quelques miettes dans le partage des sur-profits du capitalisme impérialiste. Dans leurs discours, les bureaucrates travaillistes font tout leur possible pour essayer de prouver à l'Etat - démocratique - combien ils sont dignes de confiance et indispensables en temps de paix, et plus spécialement en temps de guerre. »

Hensche essaie de cacher cette subordination vis-à-vis de l'Etat autant que faire se peut, mais elle reparaît constamment dans son discours. Il qualifie ainsi de « tâche principale supplémentaire » la défense de l'« impératif constitutionnel de l'égalité ». Une telle formule n'est pas nouvelle et fut à maintes reprises utilisée dans le passé par des syndicalistes de gauche et les staliniens.

Les marxistes luttent pour défendre les gains sociaux et démocratiques mais ils le font sur la base d'une perspective révolutionnaire, cherchant à éduquer la classe ouvrière et à faire comprendre que de tels acquis ne peuvent être défendus que sur la base d'une lutte politique pour le socialisme, en opposition à l'Etat capitaliste et à ses divers organes. Les staliniens et les réformistes de gauche, eux, font référence à l'« impératif constitutionnel de l'égalité » pour montrer leur servilité vis-à-vis de l'Etat bourgeois et de sa constitution. De leur point de vue, la défense des droits constitutionnels équivaut à la défense de l'ordre bourgeois.

La référence de Hensche à la constitution correspond parfaitement à sa ligne politique. Le but est d'indiquer que quelles que soient ses déclarations sur l'égalité et les priorités sociales, son parti se considérera comme subordonné au système capitaliste et comme le soutenant.

Hensche est un juriste diplômé qui, à la suite de la dissolution du syndicat IG Medien et de sa transformation en syndicat des services Ver.di, abandonnant la présidence du syndicat ouvrit un cabinet d'avocat à Berlin. Il sait fort bien que la lettre de la loi n'est pas plus élevée que la réalité sociale. Personne dans l'establishment politique et médiatique ne se soucie plus guère de l'application de « propriété oblige » inscrit dans la constitution. C'est un reliquat des années d'après-guerre, une époque où même la CDU revendiquait encore la nationalisation des industries clés dans son programme d'Aalen.

On peut mesurer combien la WASG est marquée par les conceptions politiques de la bureaucratie syndicale à la seule personne du responsable de l'IG Metall de Schweinfurt, Klaus Ernst, élu à la direction de la nouvelle formation à Nuremberg. Ernst est le type du démagogue syndical qui aime s'entendre parler et qui apparaît à toute occasion dans les médias.

Ernst s'opposa à ce qu'on appelle la WASG un nouveau « parti de gauche » et déclara qu'il préférait comme nom celui de « Parti de l'Etat social », puisque la défense de l'Etat social était le dénominateur commun auquel devaient souscrire tous les adhérents.

Jusqu'à maintenant, la WASG a évité toute discussion programmatique sérieuse en se concentrant au contraire sur une croissance toute organisationnelle. A Nuremberg, on décida de participer « dans la mesure du possible » aux élections des Laender en Rhénanie-Westphalie au printemps prochain. La raison de cette hâte est facile à comprendre. Dans quelques semaines entre en vigeur la législation Hartz IV, les impôts des riches étant parallèlement une fois de plus abaissés. Les protestations vont à nouveau se multiplier et s'amplifier. La WASG craint une radicalisation croissante de la population et s'efforce de créer un instrument bureaucratique qui puisse contrôler un tel mouvement et le détourner dans des voies politiquement inoffensives.

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