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Démolition sociale, valeurs morales et «culture dominante» allemande

Le congrès de la CSU sous le signe de la victoire électorale de Bush

Par Ulrich Rippert
Le 24 novembre 2004

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Depuis que le président américain George W. Bush a été réélu, les politiciens de la droite conservatrice allemande et les intégristes chrétiens se sentent le vent en poupe. Le meurtre du cinéaste hollandais Theo van Gogh leur avait déjà servi à déclencher une véritable hystérie contre des islamistes vrais ou supposés ainsi qu'une croisade pour les « valeurs occidentales ». Le congrès de la CSU (Christlich Soziale Union ­ Union sociale chrétienne), qui s'était tenu la semaine dernière à Munich, représentait à ce jour le point culminant de cette campagne démagogique et chauvine.

Le dirigeant de la CSU, Edmund Stoiber, y appelait à défendre « le caractère chrétien de notre pays ». Il fallait « un retour aux valeurs chrétiennes et plus de patriotisme » dans tous les domaines de la société. Stoiber dit aux délégués de son parti : « Un patriotisme éclairé, sûr de lui, est indispensable à l'avenir de notre pays ».

Les étrangers devaient faire plus pour leur intégration, expliquait-il. La « dette » qu'ils avaient « contracté en venant chez nous » ne consistait pas seulement dans l'apprentissage de la langue allemande, « tous ceux » qui voulaient « vivre durablement ici » devaient aussi, sans rechigner, se réclamer « des valeurs fondamentales de la société allemande ». Le peuple allemand ne devait pas perdre son identité, car il représentait «une communauté du destin», lançait-il, bien conscient de ce que cette notion était tirée du vocabulaire nazi.

Parallèlement, le congrès articulait nettement le contexte politique dans lequel il fallait voir cette nouvelle vague de xénophobie et de « nombrilisme allemand ». Jusqu'à présent, la cohésion de la société était basée sur une politique d'équilibre social. Mais la démolition sociale continuelle des années passées a été la cause d'une profonde cassure dans la société et qui prend des formes de plus en plus accentuées. On essaie à présent de détourner la colère sociale croissante et le désespoir de beaucoup de gens vers le rassisme et le nationalisme.

Avant le congrès déjà, la direction de la CSU s'était mise d'accord avec la CDU (Christlich Demokratische Union ­ Union chrétienne démocrate) pour préparer un démantèlement draconien de l'assurance maladie publique. Ce qu'on nous annonça comme un « compromis sur la réforme de la santé » ne signifie rien moins qu'un changement fondamental du cours de la politique sociale de la CDU et de la CSU.

Jusqu'à présent valait dans le système de l'assurance sociale allemande le « principe de solidarité » auquel souscrivaient non seulement les sociaux-démocrates mais encore les deux partis conservateurs, la CDU et la CSU. A la base de ce principe de solidarité il y avait la notion que les grands problèmes sociaux ­ la maladie, le chômage et la prévoyance vieillesse - devaient être résolus de façon solidaire. Le montant des cotisations de l'assurance maladie publique était fonction du revenu individuel mais, indépendamment de leur contribution, tous les assurés avaient droit aux mêmes prestations.

Ce système favorisait particulièrement les familles, dans la mesure où des conjoints et des enfants sans ou avec de faibles revenus pouvaient bénéficier gratuitement de l'assurance maladie. Et selon le « principe paritaire », patrons et salariés cotisaient à part égale aux caisses d'assurance maladie, vieillesse et chômage.

Bien que ce systeme ait depuis longtemps été vidé de sa substance par l'imposition de charges de plus en plus lourdes pour les petits revenus et par des allègements en faveur des hauts revenus, le SPD et la CDU-CSU étaient restés attachés à cette conception. Le modèle de cette sorte d'assurance sociale était déjà apparu dans les années 1880, sous le premier chancelier du Reich, Otto von Bismarck, dont l'intention était notamment de stabiliser les conditions sociales.

Le compromis sur la réforme de la santé qui fut imposé au congrès de la CSU reprend dans ses grandes lignes le soi-disant modèle du forfait individuel de la CDU. Selon ce modèle, chaque adulte doit payer une somme forfaitaire de 109 euros, ou au plus 7 pour cent de son revenu. Cela signifie un allégement radical pour les riches dont les contributions à l'assurance diminuent proportionnellement à l'accroissement de leur revenu. L'assurance-maladie ne sera plus accordée au conjoint de l'assuré.

La contribution patronale est gelée à hauteur de 6,5 pour cent du revenu et ainsi, comme le spécifie le document du compromis, on la «détache de la dynamique des dépenses issue de la démographie et du progrès médical et technique ». En tout, on doit parvenir, grâce au forfait individuel et à une prime patronale, à une contribution de 169 euros par assuré qui, selon les caisses d'assurance-maladie, ne suffirait pas, dès maintenant, à payer les dépenses courantes. D'autres coupures de prestations sont ainsi déjà programmées.

L'assurance gratuite des enfants doit, elle, être financée par l'impôt. Elle ne sera par conséquent pas garantie non plus et elle sera exposée à l'arbitraire de la politique budgétaire.

On peut également mesurer le radicalisme de la transformation opérée ainsi dans la politique sociale, à la réaction de celui qui fut, jusque là, le responsable pour les affaires sociales de la CSU, Horst Seehofer. Il rejeta les décisons concernant la réforme de la santé et les appela « antisociales, bureaucratiques et mal financées ». Après avoir échoué à imposer son point de vue dans la direction de la CSU, il démissionna de son poste de vice-président de la fraction parlementaire de la CSU.

Le congrès de la CSU décida encore d'autres attaques contre les droits des salariés. C'est ainsi que la protection contre le licenciement doit être largement amputée et être entièrement abolie pour les salariés des entreprises employant moins de 20 personnes. Grâce à des « pactes d'entreprise pour l'emploi » on prévoit de rendre le droit tarifaire inopérant et d'imposer des bas salaires.

L'Eglise et l'Etat

Depuis que le « mastic sociale » qui donne à la société sa cohésion, se délite de plus en plus, on essaie de le remplacer par un « mastic idéologique ». Stoiber souligna plusieurs fois, lors de ce congrès et dans des interviews, que George W. Bush avait gagné les élections américaines grâce à une profession de foi en faveur de valeurs conservatrices comme le patriotisme, la religion et la famille. Il fallait donc en tirer des leçons.

Les « racines chrétiennes de l'Allemagne » devaient être défendues avec plus d'aplomb et d'énergie, « comme par exemple lors de discussions sur la présence de crucifix dans les bâtiments publics ou la prière à l'école ». Il fallait inculquer à la jeunesse « la disposition à payer de sa personne, la discipline, la conscience du devoir et la politesse ». C'est à cela que servait le retour aux valeurs religieuses qui devaient être défendues. « Notre pays est depuis 1500 ans marqué par le Christianisme et non par l'Islam » lança-t-il au congrès.

Ce qui frappait dans le discours de Stoiber, c'était l'incurie avec laquelle il mélangeait les compétences de l'Etat et celles de la religion. Tout en fulminant contre le fondamentalisme islamique, il appelait à la défense du « caractère chrétien de notre pays » reprenant les paroles des chrétiens intégristes. Que la « défense des valeurs occidentales » ait quelque chose à voir avec la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ne lui vint pas à l'idée.

La liberté de religion est une des libertés les plus anciennes et doit sa forme moderne à une réaction contre les guerres de religion des 16e et 17e siècles et à la Révolution française. Elle est inscrite en tant que droit actif et positif dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme des Nations unies et garantit le droit au libre choix de « la pensée, de la conscience et de la religion. »

La « liberté de religion négative », c'est-à-dire la neutralité de l'Etat vis-à-vis de toutes les religions, fut inscrite tout d'abord dans la constitution de la première assemblée nationale allemande de 1848. C'est le « décret d'agenouillement » bavarois de 1838, qui obligeait les soldats de toutes confessions à fréquenter l'église catholique et à s'y agenouiller qui constituait l'arrière-plan historique de cette décision.

Tandis que la séparation de l'Eglise et de l'Etat ne fut jamais complète en Allemagne, le Tribunal constitutionnel fédéral décida en 1975, dans une décision relative à l'Ecole interconfessionelle chrétienne, que « les manifestation positives ainsi que négatives » de la liberté de religion n'étaient garanties que lorsque l'Etat ne favorisait ni ne désavantageait aucune confession. L'Etat ne pouvait être le « foyer de tous les citoyens » que s'il restait « neutre en matière de conception du monde et de religion » et s'abstenait par là de « privilégier certaines confessions ».

Même cette séparation limitée de l'Eglise et de l'Etat doit à présent être annulée. Encouragés par la victoire des républicains aux Etats-Unis, la CDU et la CSU s'efforcent de faire passer une campagne démagogique et réactionnaire du même genre.

Les sociaux-démocrates et les Verts n'ont rien à y opposer ­ bien au contraire. Le chef des Verts, Reinhard Bütikofer, fut l'un des premiers à souligner que « la gauche devrait étudier soigneusement comment, aux Etats-Unis, l'hégémonie des conservateurs fut renforcée grâce à l'agitation culturelle populiste », et proposa de s'orienter vers les symboles nationalistes.

Le chancelier Gerhard Schröder (SPD) somma les musulmans d'Allemagne de s'intégrer et se joignit en cela au choeur, mensonger de part en part, de tous ceux qui affirment que les musulmans ou les étrangers se retiraient volontairement dans des getthos, combattaient la culture allemande et pillaient l'Etat providence. La vérité et tout autre : les restrictions budgétaires, les lois restraignant l'asile politique et les chicanes bureaucratiques exercent une pression sur les étrangers et rendent une intégration sociale pratiquement impossible. La loi d'immigration qui entre en vigueur au mois de janvier prochain renforce encore cette évolution.

L'intégration sous forme de cours de langue, d'institutions culturelles, de programme d'insertion et de projets de voisinage coûte de l'argent, et c'est précisément dans ce domaine que des restrictions draconiennes avaient été opérées l'an dernier. Au lieu de reprocher aux étrangers de former des ghettos, il est nécessaire de mettre à la fois à leur disposition un habitat adéquat et abordable et des emplois aux salaires décents. C'est justement ce que refuse de faire la coalition Rouge-verte et, en cela, elle apporte de l'eau au moulin des démagogues de droite et des intégristes chrétiens.




 

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