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La classe ouvrière et les élections américainesTroisième partie : la crise du système politiqueDéclaration du Parti de l'Egalité Socialiste
des Etats-Unis La polarisation profonde de la société américaine entre une élite richissime et la masse de la population est au centre de la dégénérescence du système politique. Le caractère décrépit des deux partis établis et du processus électoral qu'ils contrôlent est presque partout reconnu. Des rites anciens et ayant de moins en moins de contenu les campagnes primaires, les conventions, les débats constituent en grande partie une façade démocratique pour une société qui répond plutôt à la définition classique d'une oligarchie. Dans le troisième livre de Politique, Aristote écrit : « La tyrannie est l'exercice du pouvoir par un homme pour son propre avantage ; l'oligarchie pour l'avantage des riches ; la démocracie pour l'avantage des pauvres ». Pour le philosophe grec, ce n'était pas une question de formes externes, l'existence du vote par exemple. « La vraie différence », écrit-il, « entre la démocracie et l'oligarchie est entre la pauvreté et la richesse ». Selon ces critères, les Etats-Unis ne sont une démocracie que dans un sens formel. La classe dirigeante contrôle les deux partis, et elle dicte une politique qui l'enrichit directement et immédiatement. D'où le spectacle d'une vaste majorité du congès votant avec enthousiasme l'abolition des taxes sur l'héritage, payées aux Etats-Unis par à peine quelques milliers de multi-millionaires, tout en refusant de hausser le salaire minimum, mesure qui viendrait en aide à 20 millions de travailleurs. Le fossé qui sépare les structures politiques officielles des grandes masses du peuple américain n'est pas un phénomène ponctuel, mais le résultat d'une longue période de dégénérescence. Pendant le dernier quart de siècle, les deux partis du patronat ont viré à droite, abandonnant toute prétention de sympathie pour les ouvriers et se prosternant d'une manière inouïe devant Wall Street et la grande entreprise. Le parti républicain, autrefois le parti de l'establishment financier de l'est du pays, est aujourd'hui largement contrôlé par les racistes du sud, les fondamentalistes chrétiens, et des idéologues extrémistes du libre marché, éléments auparavant considérés comme une frange lunatique de la droite américaine. Le parti démocrate a abandonné la politique réformiste identifiée au New Deal de Roosevelt en faveur d'un programme qui était auparavant mis de l'avant par leurs opposants républicains, à savoir : la prudence fiscale, la démagogie dirigée contre le crime, et la piété moraliste. La profondeur de cette aliénation s'aperçoit dans un simple fait : pas plus de 40% des électeurs iront voter le 7 novembre. Le président des Etats-Unis et la majorité de la Chambre et du Sénat seront choisis par une petite fraction de la population. Ceux qui voteront seront en grande partie les plus aisés. La participation des jeunes, des pauvres, et des désavantagés est si peu importante qu'elle est généralement négligée par les maisons de sondage et ceux qui sont impliqués dans les campagnes électorales démocrates et républicaines. Pendant que la plupart de la population ne fait pas attention ou refuse de participer à l'élection, les dirigeants y dépensent de plus en plus. La campagne de 1996 était la première à coûter plus de $2 milliards. Selon les projections, celle de l'an 2000 va coûter $3 milliards, le tout couronné par une offensive télévisée pendant laquelle les deux partis inonderont les ondes de mensonges, de démagogie et d' insultes. Des campagnes difficiles pour la Chambre nécessitent maintenant plus de $1 million. Les campagnes pour le sénat dans des états importants, telle que la campagne de Hillary Clinton à New York, nécessite des dépenses de plus de $20 millions de la part de chaque parti. Quant à la campagne présidentielle, les deux partis dépenseront chacun plus de $500 millions pour leurs candidats. Mais plus des sommes faramineuses sont dépensées dans la course électorale, moins celle-ci semble évoquer d'enthousiasme ou même d'intérêt populaire. Le résultat est un vide politique énorme sur la gauche, qui défigure toute la vie politique américaine. Il y a 50 ans les persécuteurs gonflés autour de McCarthy ont essayé de criminaliser le socialisme en Amérique. Même le réformisme (appellé « libéralisme » aux Etats-Unis) est aujourd'hui considéré comme tabou, et la politique américaine s'étend du conservatisme « modéré » de Clinton-Gore à la politique fascisante de Newt Gingrich, Jesse Helms, et Tom DeLay. Le système des deux partis ne permet aucune issue progressiste à l'antagonisme fondamental qui existe entre la masse des travailleurs et la classe privilégiée. Ceci ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas de conflits à l'intérieur du système politique. Vu l'absence de toute discussion sérieuse des questions sociales d'importance pour l'ensemble du peuple, le système politique est dominé par une lutte féroce entre des factions rivales de l'élite. Ce conflit a pris une tournure de plus en plus hystérique et déchaînée dans la mesure où les cercles dirigeants se sentent à l'abri de tout contrôle populaire. Ainsi les éléments d'extrême-droite choqués par l'élection de Clinton en 1992, et enragés par ses timides propositions réformistes sur la santé et les impôts, ont lancé une campagne de sabotage politique et cherché à bloquer le fonctionnement de l'administration par l'enquête autour de Whitewater. Cette campagne a atteint son sommet avec le scandale Monica Lewinsky, qui était une tentative de renverser un président élu suite à une conspiration impliquant des éléments d'extrême-droite, des juges conservateurs, des républicains influents du Congrès et le bureau de l'investigateur indépendant, Kenneth Starr. La procédure de destitution a échoué, non pas à cause d'une résistance sérieuse de la part des démocrates, mais à cause de l'opposition populaire à l'utilisation d'un scandale sexuel pour défaire le résultat de deux élections. Les deux partis ont été surpris du résultat de l'élection au congrès de 1998, où les républicains ont perdu des sièges après avoir mené la campagne de destitution. A présent en pleine course électorale, les deux partis essaient d'éviter toute mention de cette campagne de destitution. Encore moins sont-ils prêts à discuter publiquement de la signification de ce coup d'état manqué. A part les slogans de campagne et la démagogie, quelles sont les vraies différences entre les partis républicain et démocrate ? Le but du parti républicain et de la campagne de Bush est d'éliminer toute entrave à l'accumulation de la richesse personnelle. Bush est le porte-parole des sections les plus égoïstes, avares et bornées de l'élite dirigeante. Fait remarquable, tant la campagne de Bush que la direction républicaine au Congrès ont cherché à obtenir un soutien populaire pour l'élimination de la taxe sur l'héritage, qui ne touche que quelques milliers des familles les plus riches. Cette taxe, de même que l'impôt à taux croissants sur le revenu, ont été adoptés pendant « l'Ère Progressiste » au début du 20ème siècle. Ces mesures étaient motivées par des craintes qu'une concentration excessive de la richesse pourrait nuire à la démocratie. A présent, les derniers obstacles à la consolidation d'une aristocracie financière sont remis en question. Le parti démocrate et la campagne de Gore représentent des sections de la classe dirigeante qui sont moins obsédées par l'accumulation immédiate des richesses et un peu plus perspicaces dans leur défense du système du profit. Elles veulent jouir du pouvoir et des richesses non seulement aujourd'hui, mais aussi demain, et insistent par conséquent sur le maintien de certaines ressources à la disposition du gouvernement pour que ce dernier soit en mesure d'atténuer les tensions sociales. La démagogie de Gore il se dit représentant du « peuple, non pas des puissants » est une admission tacite que le capitalisme ne peut survivre sans un certain degré de soutien populaire, bien que celui-ci soit en grande partie basé sur des illusions et de faux espoirs. Son populisme est strictement limité et calculé : seules quelques industries sont visées par ses critiques, et il défend la structure globale de la domination de la grande entreprise. Fait significatif, Gore, tout comme Clinton en 1992 et 1996, jouit d'un soutien considérable parmi les plus riches capitalistes de Wall Street. Le dilemme de la classe dirigeante est qu'aucun des partis n'offre une solution aux contradictions grandissantes du capitalisme américain. Si la politique mise de l'avant par Bush est une forme de démence sénile d'une classe dirigeante qui s'étouffe dans ses propres richesses, celle de Gore s'apparente à une politique de l'autruche. Même si l'on admettait que Gore est sincère lorsqu'il affiche sa sympathie pour l'Américain moyen (ce que nous ne pensons pas), toute tentative par une administration Gore-Lieberman de mettre en action ses modestes mesures réformistes se buterait immédiatement à une résistance féroce des élites politiques et industrielles. On n'a qu'à se souvenir de la rage causée au sein de l'élite dirigeante par la hausse des taux d'impôts sur les millionaires dans le budget de Clinton en 1993, que le congrès a passé sans une seule voix républicaine. Cette mesure a provoqué une réaction hystérique de la page éditoriale du Wall Street Journal, et a préparé les provocations politiques qui ont abouti à la crise de destitution. En plus, même les mesures limitées proposées par Gore contiennent de graves dangers pour la classe dirigeante, car elles réveillent des espoirs qui ne peuvent être satisfaits sous les système actuel, et encouragent une résistance à l'exercice d'un pouvoir total par la grande entreprise. C'est une loi historique qu'un mauvais régime est le plus en danger lorsqu'il essaie de se réformer. Fondamentalement, la position mondiale du capitalisme américain empêche toute administration bourgeoise de poursuivre une politique de réforme sociale. Les Etats-Unis ne jouissent plus de l'indépendance relative envers le marché mondial dont ils bénéficiaient au début du vingtième siècle, ni de l'hégémonie vis-à-vis leurs rivaux qui les a aidés à conserver leur puissance pendant la plupart de l'après-guerre. Le boum financier des années 90 a dépendu en grande partie de la capacité des Etats-Unis à attirer des capitaux de l'étranger, capacité largement basée sur le plus grand succès obtenu par la grande entreprise américaine, comparativement à ses rivales européennes et asiatiques, dans l'élimination des emplois, la mise au rancart de toute réglementation sur ses activités et la destruction de l'état-providence. L'économie américaine est de moins en moins stable, non seulement à cause des craintes d'un krach boursier, mais aussi à cause de la balance des paiements déficitaire de plus de $400 milliards par an. Parmi toutes les invocations du surplus budgétaire du gouvernement, il n'y a eu presque aucune discussion de la balance des paiements, qui deviendrait un fardeau insupportable si les investisseurs étrangers commencaient à quitter les marchés américains. Même au sommet de la domination économique américaine, aucune démocracie capitaliste n'a opposé une résistance aussi féroce aux réformes sociales et au progrès social que les Etats-Unis. Il a fallu 60 ans de luttes féroces et sanglantes de la part des ouvriers pour gagner des droits syndicaux, lutte menée à bien par une lutte presque insurrectionnelle qui a vu des millions d'ouvriers saisir les usines et occuper les lieux de travail. La lutte pour les droits démocratiques élémentaires des noirs a pris un siècle, de la fin de la guerre civile à l'adoption d'une législation sérieuse sur les droits civiques. Elle a été combattue au moyen de lynchages, de répression de masse et d'assassinats, et n'a pu aboutir que dans l'environnement politique créé par les soulèvements urbains. Le système de sécurité sociale finalement établi sur la base des luttes syndicales et des luttes pour les droits civiques était le plus rudimentaire de tous les grands pays industriels. Suggérer qu'une administration républicaine ou démocrate pourrait mener aujourd'hui une politique réformiste , alors que tout l'édifice du boum boursier est basé sur la destruction des programmes sociaux et l'appauvrissement de couches de plus en plus larges de la classe ouvrière, est une grossière tromperie. La seule base possible d'une nouvelle ère de progrès social est une lutte politique indépendante par la classe ouvrière. Les conditions se développent rapidement pour l'émergence d'un mouvement indépendant des travailleurs. Les deux partis établis n'ont plus de vrai soutien populaire. Il y a de profonds clivages sociaux : la classe dirigeante est insensible et en général indifférente au sort des masses ; les masses populaires quant à elles peuvent à peine s'imaginer la véritable taille du gouffre social qui existe. En ce qui a trait à leurs aspirations politiques et sociales, les deux classes principales ne parlent plus le même langage ; ce qui explique pourquoi les médias et les supposés experts politiques se trompent constamment dans leurs évaluations de l'opinion publique, d'abord lors de la crise de destitution, ensuite lors des élections présidentielles actuelles. La masse du peuple américain est aliénée, non seulement du système politique, mais de toute la structure de pouvoir de la grande entreprise en Amérique. Comme le magazine Business Week a récemment noté dans un article sur le sentiment anti-patronal, la grande majorité des Américains ressentent une antipathie profonde envers la puissance de la grande entreprise. Les représentants les plus prévoyants du système capitaliste ont commencé à s'inquiéter de cette tendance. Le directeur de la Réserve Fédérale, Alan Greenspan, a remarqué un « malaise sur la façon dont les marchés distribuent la richesse » dans un discours récent à une conférence de banquiers internationaux à Jackson Hole, Wyoming. « Toute performance économique qui ne répondrait pas aux normes établies lors des années récentes », selon Greenspan, « risquerait de raviver les sentiments contre les systèmes orientés vers les marchés ». La campagne de 2000 a commencé par une célébration par les deux partis du boum boursier comme s'il avait apporté une prospérité universelle, non pas un enrichissement rapide d'une minorité privilégiée. A travers toute l'histoire du capitalisme, toutes les périodes de boum spéculatif ont engendré des illusions que l'on avait dépassé le cycle commercial de boum et de crise, et que l'on entrait en une époque où les marchés ne faisaient que monter. De telles illusions, qui ne sont que des tentatives de justifier l'avarice personnelle, sont très répandues. Mais au cours des derniers mois cette attitude complaisante a commencé à se dissiper, et l'avance de Bush dans les sondages s'est dissipée avec elle. Une campagne qui a déjà eu tant de revirements nous réserve peut-être encore quelques suprises. Mais quel que soit le résultat des élections, la question centrale est la suivante : aucun des candidats ou partis bourgeois n'a une solution à la crise sociale grandissante. La seule conclusion réaliste est que la période post-électorale verra des chocs sociaux grandissants, qui peuvent rapidement atteindre des dimensions massives lorsque la situation économique se détériore. La politique, comme la nature, ne tolère pas le vide.
Les travailleurs d'Amérique, la vaste majorité
de la population, n'ont aucun vrai défenseur de leurs
intérêts sociaux ou de leurs droits démocratiques
dans le système politique actuel. Quand ils vont entrer
en lutte politique et sociale et ils vont inévitablement
le faire dans la période à venir ils se retrouveront
sur un trajectoire politique qui mène à une répudiation
des anciens partis et à la construction d'un nouveau parti
politique de la classe ouvrière. Voir aussi:
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