Au cours des mois précédant le début des hostilités en septembre 1980, le WRP intensifia sa campagne de glorification du régime baassiste. Le 28 juillet 1980, le Comité politique vota un projet de résolution qui déclarait : « Le WRP salue le gouvernement irakien dirigé par le président Saddam Hussein et s’engage à fournir un maximum d’assistance à sa politique radicale et dynamique. En distribuant la terre aux paysans, en donnant l’autonomie aux Kurdes, en éliminant l’analphabétisme, en augmentant le revenu par tête d’habitant, en mettant un terme à la domination des monopoles pétroliers étrangers, le Parti socialiste arabe Baath a fait avancer la révolution arabe et a créé des bases pour une coopération avec un futur régime socialiste révolutionnaire [!] en Grande-Bretagne. »
Sur la base de cette résolution, Healy passa commande d’une série de six articles publiés en août, qui décrivaient en détail, selon l’introduction qu’en faisait le News Line « le développement économique et social, la vie culturelle – de l’art à l’archéologie – le nouveau rôle de la jeunesse et la lutte politique du Parti socialiste arabe Baath et du président irakien Saddam Hussein pour utiliser toutes les richesses naturelles du pays afin d’améliorer tous les aspects de la vie du peuple irakien. » (9 août 1980)
Six semaines plus tard, Hussein et les Baassistes ont utilisé les richesses nationales pour plonger le peuple irakien dans une guerre sanglante contre l’Iran.
La toile de fond historique de la guerre Iran-Irak est une rivalité territoriale qui date depuis plusieurs siècles et qui a été exacerbée par la domination impérialiste qui a succédé à l’éclatement de l’ancien empire ottoman. Depuis les années 1930, des conflits frontaliers ont éclaté à plusieurs reprises. Ceux-ci se sont toujours soldés par des arrangements imposés par les impérialistes, ce qui ne faisait que préparer les germes de nouveaux conflits. Au cœur de ce long conflit frontalier il y a la question de la souveraineté sur le Chatt al-Arab, la voie fluviale formée par la convergence du Tigre, de l’Euphrate et du Karun, là où ces fleuves se jettent dans le golfe Persique. Les gouvernements irakiens ont toujours insisté sur le fait que l’Irak devrait bénéficier d’une souveraineté sur le Chatt al-Arab – en contradiction avec le principe de « Thalweg », selon lequel la frontière est fixée au point médian de la voie fluviale – du fait que cette voie est le seul débouché maritime de l’Irak vers la mer.
En 1975, le régime du chah d’Iran – avec le soutien des Etats-Unis – arracha d’importantes concessions, dont la reconnaissance du principe de « Thalweg », après avoir frôlé la guerre ouverte avec l’Irak. Lorsque Saddam Hussein annonça, le 17 septembre 1980, qu’il allait abroger le traité d’Alger signé cinq ans plus tôt, il pouvait argumenter, avec un certain degré de justification historique, que le traité de 1975 avait été imposé à l’Irak par l’impérialisme. Mais en cela, il se faisait seulement l’écho des plaintes du gouvernement de Téhéran au sujet de tous les autres traités supposés « résoudre » le conflit frontalier entre l’Irak et l’Iran.
En tout état de cause, quelle que soit la légitimité des prétentions irakiennes à la souveraineté sur le Chatt al-Arab, il s’agissait manifestement d’un écran de fumée destiné à cacher une tentative de faire main basse sur une portion du territoire iranien. Quelques heures seulement après le début du conflit, les troupes irakiennes avaient déjà pénétré profondément dans le territoire iranien, bien au-delà de toutes les régions revendiquées traditionnellement par l’Irak.
Le choix par l’Irak du moment de l’invasion est d’une grande importance pour en démontrer le caractère de classe. En attaquant l’Iran en pleine « crise des otages », le régime baassiste était manifestement à la recherche du soutien de l’impérialisme américain et des régimes réactionnaires de l’Arabie Saoudite et des autres pays du Golfe, qui depuis le renversement des Pahlavi, se trouvaient tous paralysés par la peur. Hussein vendait au plus offrant la puissance militaire irakienne, qui avait été construite pour contrer l’agression israélienne.
La guerre représentait la continuité – ou plus exactement le sommet – d’une orientation vers la droite, de la part des Baassistes, systématiquement masquée par Healy. A partir de 1975, les rapports entre le régime du chah et la famille royale saoudienne s’amélioraient régulièrement, le commerce avec les Etats-Unis augmenta considérablement, le PC irakien fit l’objet, avec l’approbation du WRP, d’une sévère répression et en mars 1980, les Baassistes annoncèrent qu’ils constituaient un front uni de groupes opposés au gouvernement national bourgeois pro-soviétique du Yemen du Sud.
Suite aux accords de Camp David signés en 1978, les Baassistes irakiens ont affirmé que la direction de la révolution arabe était désormais entre leurs mains. Mais, malgré toutes leurs déclarations tonitruantes sur la « révolution » assidûment publiées par le News Line, lorsqu’ils se sont trouvés face à un véritable soulèvement populaire des masses en Iran, les Baassistes furent pris de panique et ont gravement sous-estimé la puissance de ce soulèvement. A la grande déception de Saddam Hussein qui avait orchestré le pacte avec le régime « omnipotent » du chah en 1975, l’Iran après la révolution anti-impérialiste n’était pas « prêt à être cueilli ».
Le WRP a répondu à l’invasion irakienne de l’Iran, en septembre 1980, par une faible tentative de mettre ses comptes à jour en dénonçant la guerre et en appelant à un cessez-le-feu immédiat. Mais il n’est pas possible d’ouvrir et de fermer l’analyse marxiste comme s’il s’agissait d’un robinet de cuisine et la déclaration du Comité politique, datée du 24 septembre 1980 était criblée de contradictions qui reflétaient la ligne traître que le WRP avait poursuivie jusqu’à la veille de la déclaration de la guerre.
L’analyse faite par le WRP de la guerre et des conclusions politiques qui en découlaient étaient dictées par sa foi dans le rôle historique progressiste du nationalisme baassiste et dans sa capacité à diriger la lutte anti-impérialiste. C’est pourquoi, le WRP a traité la guerre comme si celle-ci était une aberration, une diversion temporaire de la logique progressiste du nationalisme baassiste, plutôt qu’une expression inévitable du caractère réactionnaire du nationalisme bourgeois irakien, de son sinistre chauvinisme anti-persan, de sa dépendance, en dernière analyse, de l’impérialisme et de son incapacité à formuler un programme valable pour l’unité des masses du Moyen-Orient et de l’Asie-Mineure.
Tandis que les Baassistes menaient une politique qui servait directement les intérêts de l’impérialisme américain, de la bureaucratie stalinienne et du sionisme, le Comité politique du WRP déclarait que « le Parti socialiste arabe Baath est, en dernière analyse, ce qui menace véritablement leurs intrigues et leurs intérêts au Moyen-Orient. Il a démontré à plusieurs reprises qu’il n’est pas soumis à ces forces réactionnaires. » (traduit de Documents of the Fifth Annual Congress, p. 20)
La référence faite aux Baassistes comme étant une véritable menace de l’impérialisme « à long terme », démontre que la classe ouvrière du Moyen-Orient et, pour ainsi dire, de tous les pays arriérés et semi-coloniaux, ne rentrait plus dans les calculs politiques de la direction du Workers Revolutionary Party. Cet aveuglement en ce qui concerne l’existence même du prolétariat – sans même parler de son rôle révolutionnaire – a débouché sur une capitulation honteuse devant les régimes bourgeois et sur une perspective absolument sans espoir à l’égard des luttes de libération nationale. Ainsi, plutôt que de faire appel à la classe ouvrière pour qu’elle renverse les Baassistes irakiens et prenne sa véritable place dans la lutte anti-impérialiste, Healy et Banda ont rampé devant les Baassistes, en priant Saddam Hussein d’arrêter la guerre, de crainte que l’OLP ne soit privée d’un régime bourgeois pour parrainer la lutte contre le sionisme.
La faillite de cette dépendance vis-à-vis du régime bourgeois s’exprima ainsi : « Tandis que la guerre Iran-Irak se déroule, la vraie menace pèse sur la révolution palestinienne au Sud-Liban. L’OLP est soudain dangereusement assiégée. Elle a non seulement perdu le soutien immédiat de l’Irak et de l’Iran, mais elle ne peut plus ni compter sur le régime en crise d’Assad en Syrie, ni sur l’hypocrite roi Hussein de Jordanie. La révolution palestinienne et ses alliés dans le Mouvement national libanais sont menacés au nord par la CIA et les phalangistes de P. Gemayel soutenus par les Israéliens et au sud par les fascistes du major Saad Haddad, et l’armée israélienne. » (Idem., p. 21)
Plutôt que de déclarer ouvertement que l’OLP avait été trahie par la bourgeoisie arabe, le WRP se lamentait sur la perte de ce patronage et suggérait aux Palestiniens qu’il n’existait aucune alternative à cette dépendance politique. Loin d’insinuer seulement que les Baassistes avaient joué un rôle traître, le Comité politique mit la responsabilité de la crise qui menaçait l’OLP « carrément sur le dos de l’impérialisme et des basses manœuvres de la bureaucratie soviétique » - comme s’il était possible d’attendre autre chose de la part de l’impérialisme et du stalinisme. Dans le même style, la déclaration faisait référence au CIQI comme simple « opposant à ces forces contre-révolutionnaires. » (Idem.)
Cette auto-dégradation politique s’exprimait aussi dans cette autre formulation : « Nous avons des divergences avec les mouvements révolutionnaires nationaux ou de libération nationale sur la question décisive du parti révolutionnaire et de la construction du Parti mondial de la Révolution socialiste. » (Idem.)
Le sens de cette déclaration, c’était que la construction du parti révolutionnaire et la lutte pour la révolution mondiale sont des questions tactiques dont les trotskystes peuvent débattre avec les nationalistes bourgeois. La manière même dont était présentée cette question niait les bases matérialistes historiques de la politique du parti du prolétariat. Le WRP reniait clairement l’appréciation marxiste – basée sur la réalité objective – que les Baassistes sont les représentants de l’ennemi de classe du prolétariat. Au contraire, dans une formulation des plus pablistes, on suggérait l’éventualité d’une convergence politique entre les trotskystes et une des diverses tendances du nationalisme bourgeois et, sur cette base, de la construction hybride d’un « Parti mondial de la Révolution socialiste ». (Idem.)
Cela faisait référence à deux catégories politiques - libération nationale et mouvements révolutionnaires nationaux - afin d’établir une égalité approximative entre le caractère politique de l’OLP et celui du Parti socialiste arabe Baath.
Le Comité politique concluait ainsi : « L’étalon politique contre lequel toutes les forces au Moyen-Orient se mesurent est la lutte contre l’impérialisme sioniste. Le WRP peut proclamer fièrement que sur ce plan, il a toujours agi en restant fidèle aux principes, avec détermination et sans commettre d’erreurs. » (Idem., p. 22) Ce paragraphe alliait une erreur théorique de première grandeur à un mensonge éhonté. La première phrase falsifie la théorie de la Révolution permanente ; la deuxième dépasse les limites de la crédibilité humaine.
Trotsky a explicitement rejeté le faux « étalon » politique utilisé par le WRP lorsqu’il écrivait : « Ce qu’il faut considérer, ce n’est pas l’attitude de chaque bourgeoisie indigène envers l’impérialisme en général mais sa position face aux tâches historiques révolutionnaires qui sont à l’ordre du jour dans son pays. » (Léon Trotsky, L’Internationale Communiste après Lénine, tome 2, PUF, p. 296)
Cinq jours après la publication de la déclaration du Comité politique, une déclaration supplémentaire, datée du 27 septembre 1980, fut publiée par le Comité central. Celle-ci n’était pas moins traître et contradictoire que la précédente. A cette occasion, le WRP est allé jusqu’à appeler les masses irakiennes à « se mobiliser contre la guerre en arrêtant la main ensanglantée des instigateurs de guerre et en cherchant l’unité avec les masses iraniennes dans la lutte contre l’ennemi impérialiste commun. » (Documents, p. 24)
Mais l’hypocrisie de cet appel était révélée par le fait que le Comité central évita astucieusement de mentionner les noms des « instigateurs de guerre ». La « main ensanglantée » ne se rattachait à aucun corps ! Pourtant, Healy et Banda (les auteurs de ces déclarations) n’ont pas manqué de proférer de bons conseils à l’adresse de Saddam Hussein : « Le Parti socialiste arabe Baath a lutté sans cesse contre toute tentative de le subordonner à l’impérialisme et au stalinisme. Ce faisant, il a gagné l’appui de toutes les forces révolutionnaires, y compris le Workers Revolutionary Party. Le Parti Baath doit comprendre que son offensive militaire et ses plans de guerre actuels représentent une rupture avec cette politique, qu’on ne peut pas les soutenir et que s’ils continuent, ils aboutiront à une catastrophe pour le Parti socialiste arabe Baath lui-même. » (Idem., p. 25)
La déclaration ne se terminait pas sur un appel à l’action révolutionnaire de la classe ouvrière contre l’impérialisme et ses agents bourgeois nationaux, mais avec un appel minable à une « conférence de paix entre l’Irak, l’Iran, l’OLP et tous ceux qui luttent contre les impérialistes et l’ennemi sioniste ! » (Idem., p. 27) Cette conférence aurait vraisemblablement inclus une délégation du WRP où Healy et Banda auraient agi en tant qu’avocats de Saddam Hussein, dans le but d’aider à la rédaction d’un traité de paix. Le contenu réactionnaire de cette déclaration consiste en ce que les questions historiques et politiques qui ont donné naissance à la guerre devaient être résolues avec l’aide du WRP, derrière le dos de la classe ouvrière et sans l’intervention des masses luttant sous leur propre drapeau.
A aucun moment le WRP n’a consulté le Comité international lorsqu’il commença, dans une aimable concurrence avec le ministère britannique des Affaires étrangères, à formuler sa propre politique étrangère.
Alors que la guerre se prolongeait en 1981 faisant des milliers de morts et de blessés, Healy persistait toujours dans sa tentative de s’accrocher aux basques des Baassistes. Ainsi, au Cinquième congrès du Workers Revolutionary Party, en février de la même année, un manifeste voté à l’unanimité, déclarait : « Notre opposition à la guerre ne diminue en rien notre soutien au Parti socialiste arabe Baath en Irak dans la mesure où celui-ci poursuit sa lutte contre l’impérialisme et le sionisme et continue à soutenir la révolution palestinienne. » (News Line, le 7 février, 1981)
Healy n’était pas disposé à ce que les cadavres de milliers d’ouvriers et de paysans en Iran et en Irak puissent le séparer du Parti socialiste arabe Baath. Allant jusqu’à abandonner la position du WRP du mois de septembre précédent, Healy ne considérait plus que la prolongation de la guerre fût incompatible avec la défense de la lutte des Palestiniens contre le sionisme.
De telles formulations erronées ne peuvent être mises sur le compte de simples erreurs théoriques. C’est là l’œuvre d’un homme qui s’est directement vendu, lui et son parti, aux agences d’Etats bourgeois et qui travaille consciemment et directement pour leur compte. Il est impossible de tirer une autre conclusion de ce bilan.
Dans les déclarations officielles publiées par le Comité politique, le Comité central et le Cinquième congrès national, le WRP avait tenté de se maintenir en équilibre entre deux camps opposés et avait omis de reconnaître au régime iranien le droit de repousser l’agression irakienne. Une orientation marxiste principielle aurait déclaré explicitement que l’Iran menait une guerre défensive contre une attaque opportuniste lancée par le régime baassiste en collaboration avec l’impérialisme américain. Elle aurait appelé les ouvriers iraniens à prendre les armes contre les forces irakiennes tout en gardant une attitude critique vigilante vis-à-vis des dirigeants bourgeois islamistes, à se méfier de leurs ambitions et de leurs plans d’agression vis-à-vis du territoire irakien et à défendre rigoureusement leur indépendance politique. En même temps, une telle position aurait demandé que l’Iran renonce à toutes les revendications exclusives concernant le Chatt al-Arab et que les droits de toutes les minorités en Iran soient respectés. De plus, elle aurait expliqué que les racines politiques des interminables conflits entre les Irakiens et les Iraniens résidaient dans les révolutions démocratiques inachevées des deux pays, la division en Etats distincts qui empêche le développement économique et fait obstacle à la volonté instinctive des masses en Irak et Iran de réaliser leur unité. De plus, elle aurait expliqué que le seul moyen de mettre fin à des conflits fratricides et d’assurer l’indépendance nationale vis-à-vis de l’impérialisme passe par l’unité du prolétariat irakien et iranien, par le renversement du capitalisme dans les deux pays et par la lutte commune pour la construction des Etats-Unis socialistes du Moyen-Orient. En somme, des marxistes auraient expliqué que la seule alternative à la guerre fratricide, la dépendance économique et la domination impérialiste est la révolution socialiste.
Dès le début de 1982, il était évident que la position militaire de l’Irak devenait de plus en plus précaire. En mai, les Iraniens remportèrent d’importantes victoires qui culminèrent dans la reprise de Khoramshahr. De façon typiquement opportuniste et sans aucune explication théorique, cet événement fut commenté dans l’éditorial du News Line du 25 mai 1982 comme « un triomphe pour la révolution iranienne et ses masses en lutte. » Avec le même degré de myopie, le News Line a exprimé sa pleine confiance à l’égard des intentions de la bourgeoisie iranienne : « Nous ne croyons nullement aux déclarations occidentales qui prétendent que l’Iran a maintenant l’intention d’envahir l’Irak. Si ceci s’avérait vrai, nous nous y opposerions aussi violemment que nous nous sommes opposés à l’invasion irakienne de l’Iran. »
Ces illusions stupides exprimaient l’absence totale de toute analyse marxiste de la nature de classe des forces en conflit. Complètement aveugle vis-à-vis des nouveaux dangers que contenait la situation politique, le News Line persista dans cette voie et déclara que les succès militaires iraniens avaient « renforcé par là même la révolution.
« C’est un signe du développement politique des masses révolutionnaires, pas uniquement en Iran mais partout dans le monde, et la classe ouvrière britannique doit en prendre note. »
La République islamique ne prit pas note des éditoriaux du News Line et alla de l’avant dans son attaque contre l’Irak. En exigeant d’intolérables sacrifices politiques et économiques du peuple iranien, le régime de Khomeyni démontra que le fondamentalisme islamique n’était ni plus ni moins que le déguisement messianique des desseins expansionnistes traditionnels d’un empire capitaliste persan, jouant le rôle de gendarme dans la région du golfe Persique. A ce point, le conflit cessa d’être une guerre défensive de la part du régime de Khomeyni et il aurait exigé par là un brusque changement de politique de la part des marxistes dont le devoir aurait été d’adopter une position défaitiste vis-à-vis de la guerre.
Cependant, le News Line soucieux de ne pas offenser la puissance montante du Golfe et de plus en plus sceptique quant à l’utilité de ses liens avec l’Irak, publia seulement une légère admonestation, utilisant, comme d’habitude, les Palestiniens pour détourner l’attention de la nature sournoise de la politique de Healy : « L’invasion iranienne de l’Irak nuit à la cause des combattants palestiniens et libanais assiégés à Beyrouth et à la révolution iranienne elle-même et doit, par conséquent, être dénoncée. » (16 juillet 1982)
Les ressources financières de l’Irak étant ruinées à cause de la guerre, Healy décida que son alliance avec Saddam Hussein n’avait plus d’intérêt. Il était temps de passer dans un camp bourgeois plus prometteur. Mais il y avait deux obstacles majeurs sur le chemin choisi par Healy : son opposition précédente à l’invasion iranienne et l’analyse du Comité international faite trois ans plus tôt du caractère de classe et des perspectives de la révolution iranienne. Dans une déclaration du 12 février 1979, le CIQI avait exposé la nature de classe de la direction de Khomeyni et avait averti qu’aucune confiance ne devrait être accordée aux dirigeants religieux islamiques.
Tout en reconnaissant le rôle primordial joué par Khomeyni dans les événements qui précédaient la chute du chah, le CIQI refusa toute concession à son idéologie religieuse et à son programme politique :
« La vérité est que les masses se mettent en mouvement sur la base des questions de classe et non de questions religieuses.
« Cependant, en l’absence d’une direction révolutionnaire organisée et du fait de la lâche politique de collaboration de classes du stalinisme iranien, dans le Parti Tudeh, l’ayatollah Khomeyni et les autres dirigeants religieux de la secte chiite ont pu s’arroger le quasi-monopole de toutes les forces d’opposition.
« Des millions d’Iraniens suivent aujourd’hui Khomeyni non pas en raison de leur volonté d’établir l’utopie réactionnaire de l’’ Etat islamique ‘, mais parce que l’ayatollah symbolise l’opposition sans compromis à la dynastie des Pahlavi et à son régime autocratique.
« La doctrine politique de Khomeyni lui-même est vague, contradictoire et ambiguë.
« Elle mélange des aspects progressifs et des aspects réactionnaires. La loi de Sharia et l’Assemblée constituante, l’oppression des femmes et la liberté personnelle.
« La politique de Khomeyni reflète la nature contradictoire et équivoque des marchands de bazar et d’autres éléments de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie iraniennes.
« Ces sections de la société iranienne se tiennent en équilibre précaire entre l’impérialisme, les monopoles pétroliers et les banques d’une part, et les masses iraniennes de l’autre.
« Leur position de pays semi-colonial les oblige à s’opposer à l’impérialisme américain et britannique.
« Mais ils ne peuvent, ni ne veulent remettre en question le pouvoir de l’Etat capitaliste en Iran...
« A l’heure actuelle, ce sont les questions fondamentales de la révolution socialiste qui prédominent.
« Seules la maîtrise consciente de ces questions et la pratique révolutionnaire, qui découlent d’une compréhension scientifique de la situation objective, peuvent résoudre ces questions.
« Quels sont ces principes de base, établis au cours de plus d’un siècle d’expérience révolutionnaire ?
« La classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire dans la société moderne. La révolution contre l’impérialisme est une révolution mondiale, à laquelle est subordonnée la révolution dans chaque pays...
« L’Etat capitaliste ne peut être repris et adapté à des buts socialistes : ses corps d’hommes armés doivent être détruits et dispersés.
« Il faut armer le peuple et le mobiliser derrière un parti révolutionnaire marxiste. » (News Line, le 17 février 1979, pp. 7-10)
Cette déclaration s’est conclue par l’élaboration d’un programme socialiste révolutionnaire et un appel à la construction d’une section iranienne du CIQI.