Si la lutte du parti pour des élections générales entre 1975 et 1979 l’avait transformé en instrument involontaire de la politique des Tories, sa campagne pour les conseils communautaires à partir de 1981 en faisait un agent conscient des trahisons des sociaux-démocrates. Dorénavant, tout le travail de la direction du WRP allait se concentrer à échafauder une alliance avec des sections du Parti travailliste et de la bureaucratie syndicale contre la classe ouvrière. Cette nouvelle ligne politique fut inaugurée dans la pratique en janvier 1981, non sans quelques légers problèmes.
Confrontés à l’exigence des conservateurs d’opérer des restrictions de budget dans les services locaux, les conseillers municipaux travaillistes de Lambeth, sous la houlette de Ted Knight, devaient se décider entre la défense des services en question et donc une lutte contre le gouvernement et une dérobade à cette lutte, aux dépens de la classe ouvrière et au moyen d’une augmentation des impôts locaux.
Le WRP se prononça contre l’augmentation des impôts. Un éditorial du News Line du 7 janvier 1981, intitulé « Ne faites pas ce sale boulot », faisait la mise en garde suivante :
« Les municipalités qui augmentent les impôts pour essayer de contrer les coupures de budget des Tories jouent avec le feu. C’est non seulement économiquement absurde – l’augmentation des impôts ne peut tout simplement pas constituer une compensation – mais cela constitue un suicide politique.
« C’est dangereux pour d’autres raisons. Ces augmentations jettent le fardeau de la politique des Tories sur les familles de la classe ouvrière, qui subissent déjà les pires problèmes à cause du chômage et des prix exorbitants du gaz, de l’électricité, du chauffage et des transports publics.
« Ces mesures frappent aussi la classe moyenne et transforment des alliés anti-Tories potentiels en opposants acharnés des Travaillistes et des syndicats. C’est ce que les Tories veulent. »
Mais un jour plus tard, le 8 janvier 1981, le News Line rapportait que Lambeth avait été contraint d’augmenter les impôts. Dès le 9 janvier 1981, son éditorial soutenait l’augmentation : « Si le conseil n’avait pas décidé d’augmenter les impôts, le résultat aurait été une autre faillite financière majeure, les conseillers municipaux auraient été rendus responsables d’un déficit de 11,2 millions de livres sterling et menacés de voir la gestion prise en main par des huissiers gouvernementaux. Cela n’aurait fait qu’aider les Tories et avoir d’horribles conséquences pour l’avenir des circonscriptions. »
Sept ans auparavant, le WRP avait mis en avant une politique révolutionnaire de défense des programmes sociaux. Il déclarait alors : « Le logement, la santé, l’éducation sont des services publics auxquels les richesses du pays doivent avant tout être consacrées. La nationalisation du sol, des bâtiments et de l’industrie des matériaux de construction, des banques, des usines de produits pharmaceutiques est la seule base d’un développement de ces services.
« L’endettement de ces services, indispensables aux banques et autres usuriers, doit être immédiatement annulé. Les conseillers travaillistes doivent être forcés d’annuler ces dettes et de maintenir les services nécessaires. » (traduit de WRP Perspectives, adoptées le premier août 1974).
Cette politique fut jetée par-dessus bord pour permettre au parti de s’adapter aux réformistes de Lambeth. Healy s’arrangea pour que le News Line du 17 janvier 1981 publie une édition spéciale de 24 pages, contenant un supplément de huit pages faisant l’éloge des conseillers municipaux de Lambeth et de Ted Knight. Une déclaration de la rédaction appelait à une conférence de « la crise du gouvernement local » à Londres pour « donner un soutien total au conseil municipal de Lambeth contrôlé par les Travaillistes » qui, disait-il, « a pris une position correcte et résolue. »
Dénonçant les attaques faites par divers groupes révisionnistes contre la décision de Lambeth d’élever les impôts, les phraseurs du News Line écrivaient : « Les conseillers de Lambeth sont les premiers à admettre qu’ils ne peuvent pas continuer à subventionner les coupures de budget des Tories par des augmentations d’impôts. Le prix politique en serait désastreux et, économiquement, c’est infaisable.
« Mais là n’est pas le problème. La question à Lambeth se pose ainsi : ou bien déclarer faillite, se faire relever de ses fonctions par le gouvernement central et laisser entrer les huissiers des Tories ou bien rester et combattre la politique de récession de Thatcher-Heseltine…
« Nous ne croyons pas que le conseil de Lambeth ou tout autre conseil travailliste doive se suicider politiquement. Leur tâche consiste à rester en fonction et à faire campagne pour le développement d’un mouvement de masse contre les Tories et pour l’unité de tous les groupes de la communauté contre la politique de récession de Thatcher...
« Il serait ridicule et réactionnaire d’arrêter la lutte à Lambeth maintenant et avant que la vraie bataille n’ait commencé, ce que souhaiteraient les révisionnistes. »
Ce n’était rien d’autre que le langage du crétinisme parlementaire, selon lequel il faut faire dépendre le sort de la classe ouvrière de la défense de quelques postes de politiciens réformistes de troisième catégorie.
Healy ne s’embarrassait pas de cohérence dans sa ligne politique. Deux ans à peine auparavant, il avait insisté pour renverser le gouvernement travailliste, tout en admettant que dans les conditions de l’époque les Tories mèneraient des attaques féroces contre la classe ouvrière s’ils gagnaient les élections. Le même Healy disait à présent qu’ »il serait ridicule et réactionnaire » pour les Travaillistes de « commettre un suicide politique »... en défiant les Tories !
Dès le 19 janvier 1981, dans un éditorial d’une page, le News Line demandait aux travailleurs de : « soutenir fermement la municipalité de Lambeth ». On y trouvait une apologie des Travaillistes honteuse à tous points de vue et dénonçant tous ceux s’opposant à leur décision d’augmenter les impôts. La sournoiserie de Healy enlevait tout sens au terme « révisionniste ». La trahison des dirigeants du WRP redorait le blason des groupuscules petits-bourgeois.
« Les révisionnistes prennent la résolution ‘contre l’augmentation des impôts’ et la transforment en question morale. Samedi, ils s’en sont servis pour battre les conseillers de Lambeth sans considérer un instant la situation objective changée du tout au tout et la nécessité d’établir par-dessus tout un front anti-Tory à partir de bases déterminantes comme celles de Lambeth.
« Il n’y a pas de solution qui passe par des hausses d’impôts et le conseil de Lambeth n’a jamais dit qu’il y en avait une. Mais il était absolument correct de la part de la majorité du conseil municipal d’introduire un impôt supplémentaire, la semaine dernière, pour pouvoir tenir la position contre Thatcher et rester à leurs postes électoraux...
« Ceux qui abandonnent sans lutter les anciens acquis sont incapables de faire des gains nouveaux. Ceux qui prêchent une telle solution sont vraiment les ‘gens de Thatcher’, car ils parlent ‘son’ langage...
« En d’autres mots, derrière leurs faux propos ‘de gauche’, et derrière leurs discours sur une ‘position militante contre Thatcher’, ils s’acharnent, en fait, à chasser les Travaillistes de Lambeth et à y faire entrer les Tories. »
Ceci n’était rien d’autre que de la rhétorique stalinienne que le WRP utilisait pour masquer son opportunisme et dénoncer ceux qui s’opposaient aux sociaux-démocrates. Cette intervention démontrait que le WRP se transformait consciemment en un appendice de la social-démocratie. Il parachevait ainsi sa désertion du trotskysme et rejoignait le camp du centrisme. A partir de 1981, le WRP défendait explicitement l’Etat capitaliste contre la classe ouvrière, allant jusqu’à justifier des attaques contre le mouvement ouvrier en invoquant les problèmes fiscaux rencontrés par les représentants du gouvernement.
Le News Line du 20 janvier 1981, continuant sur sa lancée, dénonçait ceux qui attaquaient les augmentations d’impôts parce qu’ils ne reconnaissaient pas que « nous vivons dans le capitalisme et dans un capitalisme qui se trouve au stade d’une crise énorme où les droits de l’Etat providence sont écrasés par un gouvernement Tory ultra réactionnaire. »
Bien que développée par Healy, cette ligne politique de droite trouva des amateurs parmi une couche de professeurs sociaux-démocrates qui, depuis des années, ronflaient au sein du WRP – ne quittant leurs tanières universitaires qu’à chaque fois qu’on en avait besoin pour une alliance avec Healy dans une guerre fractionnelle contre ceux qui défendaient une position prolétarienne dans le parti. Parmi ceux qui, enthousiasmés, se portèrent volontaires pour défendre les réformistes de Lambeth il n’y avait personne d’autre que Tom Kemp, de l’université de Hull. Il compara les adversaires des hausses d’impôts aux staliniens allemands qui avaient fait campagne en 1931 aux côtés des fascistes pour renverser le gouvernement social-démocrate, avec le fameux « Référendum rouge ». Dommage que Kemp n’eût pas écrit son article deux ans plus tôt.
Kemp eut un éclair de génie dans son article tourmenté quant à la vraie signification du « tournant de Lambeth » :
« Le Workers Revolutionary Party a ainsi un moyen de devenir respectable dans certaines sections du mouvement ouvrier qui commencent tout juste à se détourner du réformisme. A cet égard, cela élargit et approfondit les rapports avec les courants centristes qui peuvent surmonter très rapidement ce qui fait d’eux un danger révisionniste potentiel. » (News Line, le 21 février 1981)