La réaction des dirigeants du WRP à la victoire des Tories fut d’entreprendre une marche politique forcée et de longue haleine vers la droite culminant dans une vile adaptation aux réformistes du Parti travailliste. Ce virage se manifesta pour la première fois clairement dans le soutien que le WRP ne se cacha pas d’accorder à la bureaucratie de l’ISTC (le syndicat des ouvriers de la sidérurgie) et à son dirigeant de droite, Bill Sirs, au moment où celui-ci trahissait une grève de trois mois menée par les sidérurgistes.
La grève avait commencé en janvier 1980 et au début, le WRP tenta de mobiliser les syndicats en faisant campagne pour une grève générale contre la destruction d’emplois mise en œuvre par les Tories. Au début, le parti avait pris une attitude critique face à la direction de Sirs. Dans une déclaration parue en première page du News Line, il déclarait le 18 janvier 1980 que « Sirs et ses collègues bureaucrates du TUC ont fait tout leur possible pour éviter les conséquences politiques de cette confrontation et pour limiter la grève à des questions purement syndicales et salariales.
« Les dirigeants syndicaux sont terrifiés par la confrontation qui s’annonce avec les Tories et l’Etat capitaliste, car ils savent qu’une grève générale soulèvera immédiatement la question du pouvoir d’Etat.
« Voilà la question centrale posée par la grève de l’acier, qu’aucun compromis réformiste et qu’aucune manœuvre bureaucratique ne peuvent résoudre. Durant la grève, Sirs a fait tout ce qu’il a pu pour empêcher qu’elle ne s’étende et pour maintenir l’attention de ses membres concentrée sur les revendications salariales. »
Dix jours plus tard, le News Line publiait une déclaration de l’All Trades Unions Alliance (l’aile syndicale du WRP) dénonçant de façon acerbe le dirigeant de l’ISTC : « Depuis, Sirs s’est vanté à la presse conservatrice d’avoir ‘empêché’ avec Chapple un mouvement vers une grève générale... » (le 28 janvier 1980)
Le 29 janvier 1980, le News Line liait une critique de Sirs à la dénonciation d’un autre dirigeant syndical très connu : « Ou bien considérons la politique d’Arthur Scargill, le A. J. Cooke des années 1980, qui s’efforce de faire de la grève de l’acier une lutte pour les salaires contre les Tories, comme il le fit déjà en 1974. Scargill ne pose que des revendications très modérées aux dirigeants du TUC, dont la responsabilité consiste à mobiliser le mouvement syndical pour défendre les emplois, les salaires et les droits fondamentaux, mais qui ont consciemment trahi la grève des pompiers en 1977-1978. »
Après cette déclaration, il se produisit un mystérieux changement dans le ton politique du News Line. Pendant le mois suivant, aucune critique ne fut formulée contre Sirs bien qu’il continua à s’opposer à la mobilisation de la classe ouvrière pour soutenir les sidérurgistes en lutte contre le gouvernement conservateur. Dans le News Line, l’accent fut placé sur le danger de la violence des Tories. Dans une longue déclaration du Comité politique, publiée le 25 février 1980 et intitulée « Unissons-nous contre la violence des Tories », aucune des critiques formulées envers Sirs durant les premières semaines de la grève, ne fut reprise. Une longue déclaration de la rédaction, parue le premier mars 1980, ne critiquait pas non plus la direction de l’ISTC. On ne mentionnait même pas le nom de Sirs.
Et pour finir, le News Line du 6 mars 1980 rapportait sur un ton vaguement critique qu’il y avait danger que les dirigeants syndicaux ne battent en retraite. Le jour suivant il y eut quelques critiques très modérées concernant la séparation entre la question des salaires et celle de l’emploi.
Le numéro du 8 mars 1980 publiait une annonce pleine page, payée par l’ISTC, qui félicitait le News Line de « son information détaillée et honnête ».
La grève se poursuivit pendant tout le mois de mars et le soutien aux sidérurgistes continua de croître dans la classe ouvrière, tout particulièrement parmi les dockers de Liverpool. Mais le News Line persista à ne plus critiquer la direction de l’ISTC, lui faisant tout au plus la leçon à l’occasion, tel ce commentaire dans le numéro du 14 mars 1980 qui notait en une seule phrase : « Sirs ne demanderait pas publiquement aux dirigeants du TUC d’agir. »
Le 31 mars 1980 la direction Sirs trahissait la grève de façon décisive, concluant un lamentable accord salarial et s’associant aux propositions des conservateurs, qui garantissaient la destruction de dizaines de milliers d’emplois dans l’industrie sidérurgique. La bureaucratie de l’ISTC acceptait de collaborer avec la British Steel Corporation pour introduire des mesures d’accélération du travail et de réduction des frais de production, mesures qui allaient avoir des conséquences désastreuses pour toute l’industrie. Les termes de l’accord furent presque immédiatement et largement connus.
Sirs accepta la clause 4(3) par laquelle on s’entendait pour « réduire le surplus de personnel interne par une restructuration de l’emploi » et la clause 4(4) qui promettait d’examiner les « champs d’activité qui étaient en excédent des besoins ». La clause 4(6) ouvrait grand la porte à l’abolition de la semaine de travail garantie et la clause 5(4)b stipulait qu’il fallait faire entrer en ligne de compte des facteurs externes comme une chute persistante de la demande en acier.
Dans un premier temps, la direction du WRP sembla avoir eu le souffle coupé par une trahison aussi délibérée. On tenta de sauver la face devant les sidérurgistes qui dénonçaient publiquement l’accord. Le News Line du 2 avril 1980 qualifiait l’accord entre l’ISTC et British Steel de trahison et dans le numéro du lendemain, un éditorial signé par Alex Mitchell et intitulé « Colère face à la reprise du travail dans la sidérurgie » notait que l’accord salarial ne compensait même pas l’inflation.
Cependant, Healy fut extrêmement offusqué de cette attaque contre la bureaucratie de l’ISTC qui quelques semaines auparavant, avait exprimé l’estime qu’elle nourrissait pour le reportage non critique que le News Line avait donné de son rôle dans la préparation de cette trahison. Tout comme les autres journaux nationaux, le News Line ne parut pas le 4 avril 1980. Healy profita de ce jour férié pour introduire dans la politique du WRP un changement décisif. Quand le journal reparut le samedi 5 avril 1980, une déclaration du Comité politique annonçait en première page un tournant décisif dans l’évaluation de la grève. La brève incursion de Mitchell dans le militantisme syndical fut stoppée net. Le News Line allait désormais et de façon écœurante, défendre la trahison de Sirs :
« Après trois mois d’une grève exténuante, les sidérurgistes avaient conduit cette lutte purement salariale aussi loin qu’ils le pouvaient et il n’y avait pas un sou de plus à obtenir.
« S’ils ont repris le travail, c’est pour affronter le prochain tour des attaques conservatrices qui menacent 50 000 emplois...
« Ce sont les dirigeants du TUC dans le conseil général qui ont trahi la grève des sidérurgistes et non les dirigeants de l’ISTC. Bill Sirs ne prétend pas être un révolutionnaire ou quoi que ce soit de la sorte.
« Les révisionnistes, rassemblés derrière les bavards et les phraseurs du soi-disant ‘Socialist Workers Party’, font paraître leur journal cette semaine, ayant en gros titre ‘Trahison’. (Socialist Worker, 5 avril 1980)
« Ceux qui essaient d’attaquer Bill Sirs obscurcissent délibérément la question. Qu’ils le veuillent ou non, ils couvrent ceux qui ont véritablement trahi la grève de l’acier – les dirigeants du TUC. »
Ce type de sophismes minables avait été jusque-là le monopole exclusif des journaux staliniens, spécialisés dans la recherche d’excuses pour ceux qui trahissent la classe ouvrière et dans la dénonciation de ceux qui critiquent les traîtres. Healy faisait à présent entrer cette ligne contre-révolutionnaire en contrebande dans le News Line.