L'une des principales conclusions du dernier rapport de Statistique Canada sur le revenu des ménages est que l'écart de revenu entre les ménages à hauts revenus et les ménages à faibles revenus a atteint des niveaux records. À cela s'ajoute le rythme extraordinaire auquel les inégalités de richesse se creusent au Canada. En bref, les riches s'enrichissent, les personnes à revenu moyen s'appauvrissent et les personnes déjà pauvres restent pauvres.
Dans son rapport d'octobre 2024, Statistique Canada définit l'« écart de revenu » comme l'écart de la part du revenu disponible entre les deux quintiles supérieurs (40 % des ménages les plus aisés) et les deux quintiles inférieurs (40 % des ménages les plus modestes). Au deuxième trimestre 2024, cet écart s'élevait à 47 %, soit le niveau le plus élevé jamais enregistré.
Si les ménages à faibles revenus ont connu une croissance des salaires supérieure à la moyenne, celle-ci a été compensée par une augmentation des intérêts payés sur les prêts hypothécaires et les crédits à la consommation. Par conséquent, leur part de revenu disponible est restée pratiquement inchangée. Pour le quintile inférieur, cette part s'élevait à un maigre 6,2 %. Bien qu'il s'agisse d'une légère augmentation par rapport à 2023, cela signifie qu'une grande partie des ménages canadiens est à deux doigts de la crise.
Les ménages à revenu moyen (troisième quintile) sont les plus mal lotis. Leur part de revenu disponible est passée de 17,4 % au deuxième trimestre 2023 à 16,6 % en 2024.
Pour les ménages à revenu élevé (premier quintile), la charge supplémentaire de la dette due à la hausse des taux d'intérêt a été plus que compensée par les rendements plus élevés des comptes d'épargne et d'investissement. Ce groupe a vu sa part de revenu disponible passer de 41,6 % en 2023 à 42,4 % aujourd'hui.
Une caractéristique encore plus frappante du rapport est l'augmentation rapide de l'écart de richesse. Le rapport de Statistique Canada indique sans ambages ce qui suit : « La plupart des richesses sont détenues par un nombre relativement faible de ménages au Canada. » L'écart entre les plus riches et les moins riches a augmenté de 1,1 % au cours du premier trimestre 2023 par rapport à la même période de l'année précédente, ce qui représente la plus forte augmentation jamais enregistrée.
Les Canadiens les plus riches (c'est-à-dire les 20 % les plus riches) détenaient 67,7 % de la valeur nette totale. La valeur nette de ces ménages a augmenté de 2,3 % au deuxième trimestre de 2024 par rapport à l'année précédente, portant la valeur moyenne d'un ménage de ce groupe à 3,4 millions de dollars.
En revanche, la valeur nette des ménages les moins riches a diminué de 1,4 % au deuxième trimestre 2024 par rapport à l'année précédente. Ces ménages (c'est-à-dire les 40 % les moins riches) ne représentaient que 2,8 % de la valeur nette totale du Canada.
Le rapport note que les jeunes ménages (définis comme ceux âgés de moins de 35 ans) ont été le seul groupe à réduire continuellement leur dette hypothécaire. Il y a plusieurs explications à cela, mais pour les jeunes travailleurs à faible revenu, la raison probable est qu'ils sont progressivement écartés du marché du logement en raison de la combinaison des prix élevés du logement et des taux d'intérêt. Un sondage de la Banque Scotia a révélé que 29 % des personnes interrogées dans cette tranche d'âge vivent aujourd'hui chez leurs parents ou leur famille, soit une augmentation de neuf points par rapport à il y a trois ans.
Le produit intérieur brut (PIB) réel du Canada n'a augmenté que de 0,5 % au deuxième trimestre 2024, après avoir progressé de 0,4 % au premier trimestre. En d'autres termes, l'élargissement de l'écart de richesse se fait au détriment de la partie la moins aisée de la société.
L'impact de l'accroissement des inégalités peut être observé dans divers aspects de la vie quotidienne. Le nombre de sans-abri augmente et les campements de tentes sont de plus en plus fréquents dans les villes canadiennes. Près de 23 % de la population a déclaré souffrir d'une forme ou d'une autre d'insécurité alimentaire en 2022. Les Canadiens à faible revenu sont souvent contraints de faire appel aux banques alimentaires en raison des coûts prohibitifs du logement et des produits de première nécessité. Banques alimentaires Canada a publié un rapport indiquant qu'en mars 2024, plus de deux millions de personnes se sont rendues dans les banques alimentaires – un nouveau record. Avec une telle demande, le système des banques alimentaires lui-même est poussé au bord du gouffre. Les travailleurs à faible revenu occupent souvent des emplois précaires en faisant du travail « à la demande », et cumulent souvent plusieurs emplois pour payer leur loyer et leur nourriture.
Après la publication du rapport de Statistique Canada, des politiciens canadiens se sont engagés à s'attaquer au problème. Chrystia Freeland, ministre des Finances du gouvernement libéral Trudeau jusqu'à sa démission spectaculaire lundi, a fait une déclaration typique pour la forme : « Nous travaillons très, très dur pour nous opposer à cette tendance de l'économie mondiale à l'accroissement des inégalités. Nous nous y opposons par des politiques très spécifiques conçues pour soutenir les Canadiens de la classe moyenne et les personnes qui travaillent dur pour rejoindre la classe moyenne. »
Il s'agit d'un tissu de mensonges. La croissance rapide des inégalités de revenus et la concentration des richesses dans quelques mains au sommet de la société sont le produit de quatre décennies d'austérité impitoyable pour les dépenses publiques et d'attaques contre les droits des travailleurs, combinées à des subventions massives et à des allègements fiscaux pour les entreprises canadiennes, mises en œuvre à tous les niveaux par l'ensemble des partis de l'establishment.
Les neuf années de règne du Parti libéral sous Justin Trudeau, soutenu de manière indéfectible par les syndicats et les néo-démocrates, ont accéléré ce processus. Au début de la pandémie, le gouvernement Trudeau a distribué sans condition 650 milliards de dollars à l'élite des banques et des entreprises. Ces dernières années, le gouvernement a utilisé une combinaison de taux d'intérêt élevés et d'inflation galopante pour imposer des coûts salariaux réels à la classe ouvrière, tandis que les riches et les nantis en profitaient largement.
Ce bilan, ainsi que les efforts systématiques des syndicats libéraux et des alliés du NPD pour étouffer la lutte des classes en sabotant les grèves, ont permis au démagogue d'extrême droite Pierre Poilievre de se faire passer pour un ami des travailleurs. Le chef de l'opposition officielle du Parti conservateur du Canada, qui semble prêt à prendre la place de Premier ministre lors des prochaines élections, a tenté de se poser de manière grotesque en défenseur des travailleurs canadiens à la suite de la publication du rapport de Statistique Canada. Il a déclaré aux journalistes lors d'une conférence de presse : « Aujourd'hui, Statistique Canada a rapporté que l'écart entre les riches et les pauvres est à son plus haut niveau dans l'histoire, après que l'impression monétaire néo-démocrate-libérale ait gonflé les actifs des super-riches tout en gonflant le coût de la vie pour tous les autres. »
En réalité, le gouvernement Trudeau a repris ses politiques là où son prédécesseur conservateur, Stephen Harper, les avait laissées. Tous les principaux partis, y compris ceux de l'establishment québécois, ont imposé des attaques impitoyables contre le niveau de vie de la classe ouvrière depuis les années 1980. Dans les années 1990, le gouvernement libéral du Premier ministre Jean Chrétien a présidé aux plus importantes réductions des dépenses sociales de l'histoire du Canada, malgré des excédents budgétaires. En 1998-1999, sous la direction du ministre des Finances Paul Martin, les dépenses d'Ottawa en matière de programmes sociaux sont tombées à 12 % du PIB, le niveau le plus bas depuis près d'un demi-siècle.
Au début des années 2000, les libéraux se sont engagés dans une nouvelle campagne menée par la grande entreprise et axée sur la réduction de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Ces réductions ont été vendues à la population comme un coup de pouce aux Canadiens à revenus moyens. Mais, avec la réduction de l'impôt sur les gains de capital, elles ont eu pour effet de fausser la répartition des richesses en faveur des plus privilégiés.
Lors de la crise financière de 2008, les conservateurs de Harper ont renfloué les plus grandes banques canadiennes à hauteur de dizaines de milliards de dollars. Cette aide massive de l'État a été offerte sans condition. Pendant la période de renflouement de deux ans, les banques sont restées très rentables, récompensant généreusement les actionnaires et les principaux dirigeants.
Plus récemment, au plus fort de la crise de la pandémie de COVID-19, le gouvernement libéral du Canada a canalisé des centaines de milliards de dollars vers les plus grandes banques et les grandes entreprises. Alors que la richesse des plus riches du pays était protégée, la plupart des Canadiens de la classe ouvrière ont dû se contenter d'augmentations de salaire inférieures à l'inflation, ce qui a appauvri encore davantage de larges pans de la population. Les bureaucraties syndicales ont joué un rôle important en aidant le gouvernement et les entreprises à limiter les augmentations de salaires.
Bien que le gouvernement libéral impopulaire de Justin Trudeau vante les mérites de nouvelles mesures symboliques pour lutter contre la crise du coût de la vie, notamment une exonération de la TPS pendant deux mois sur certains articles, ce raccommodage ne résoudra en rien la crise du coût de la vie ni l'écart grandissant entre les riches et les pauvres. En outre, la position économique internationale du Canada se détériore. La crise mondiale du capitalisme accroît la pression sur tous les gouvernements du monde pour qu'ils s’en prennent à la classe ouvrière afin de rendre leurs économies plus compétitives pour le capital financier transnational et qu'ils subordonnent toutes les ressources de la société à la conduite d'une guerre mondiale. Les économies développées se tournent vers le protectionnisme et le nationalisme économique, une situation qui rappelle la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale.
En outre, la crise mondiale du capitalisme et la volonté des États-Unis, du Canada et de leurs autres alliés et mandataires impérialistes de « résoudre » cette crise en redivisant le monde par la guerre en Europe de l'Est, au Moyen-Orient et en Chine dans la région Asie-Pacifique, menacent aujourd'hui la population mondiale d'une catastrophe totale. Et pour financer ces guerres, les gouvernements impérialistes exigeront davantage de « sacrifices » de la part de la classe ouvrière.
La classe ouvrière doit répondre par la construction d'un mouvement anti-guerre international pour mettre fin au capitalisme, source d'inégalité et de guerre, et redistribuer les vastes ressources de la société pour répondre aux besoins sociaux de base de la grande majorité.
(Article paru en anglais le 21 décembre 2024)