Agissant à la demande du gouvernement libéral Trudeau, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a annoncé dimanche en fin de journée qu'il rendait illégale la grève de plus de quatre semaines que 55.000 travailleurs postaux ont menée contre la Société canadienne des postes, propriété du gouvernement fédéral.
Dans ce qui constitue une attaque majeure contre les droits de l'ensemble de la classe ouvrière, le CCRI a ordonné aux postiers de reprendre le travail mardi sans qu'aucune de leurs revendications n'ait été satisfaite.
Les travailleurs des postes doivent défier ce diktat antidémocratique, mais cela nécessite la mobilisation des plus larges sections de la classe ouvrière – des secteurs public et privé – à travers le Canada et à l'échelle internationale. Une épreuve de force politique se prépare entre les entreprises canadiennes et leurs représentants au Parlement – qui sont tous déterminés à écraser la lutte des postiers pour préparer le terrain au saccage de tous les services publics et des droits des travailleurs – et la classe ouvrière, dont les intérêts sociaux ne peuvent être défendus que par une mobilisation sociale et politique contre l'austérité capitaliste et la guerre.
Vendredi dernier, le ministre du Travail Steven MacKinnon a invoqué la nouvelle « réinterprétation » par le gouvernement de l'Article 107 du Code du travail canadien pour ordonner au CCRI de criminaliser la grève des travailleurs postaux. C'est la troisième fois en quatre mois que MacKinnon utilise l'Article 107 et le CCRI non élu pour abroger le droit de grève prétendument protégé par la Constitution.
Contrairement aux deux occasions précédentes, où MacKinnon a explicitement ordonné au CCRI de mettre fin aux grèves/lock-out des cheminots dans tout le pays et des travailleurs portuaires en Colombie-Britannique et au Québec, dans le cas des travailleurs postaux, il a ordonné au CCRI d'interdire la grève et de prolonger les conventions collectives expirées des travailleurs postaux jusqu'à la fin du mois de mai, s'il déterminait que les négociations contractuelles étaient dans une « impasse » – ce qui était décidé d'avance.
L'opposition à l'intervention draconienne du gouvernement bouillonnait sur les piquets de grève dans tout le pays. Même les médias bourgeois ont été contraints de constater qu'il y avait un large soutien pour défier l'ordre du CCRI. S'adressant au World Socialist Web Site, un postier en grève a résumé le sentiment de sa section locale au Québec : « Nous n'avons pas de droits, nous n'avons pas le droit de faire la grève. Ce que nous voulions, c'était débrayer en même temps que les débardeurs et les cheminots. »
L'appareil du STTP s'efforce d'étouffer cette opposition afin qu'aucune répudiation organisée de l'ordre du CCRI n'ait lieu. Un communiqué pathétique du STTP a déploré lundi la décision du CCRI, la qualifiant de « désolante ». Il a vanté les mérites d'une augmentation salariale provisoire de 5 %, convenue dans le cadre des délibérations du CCRI, qui est rétroactive à la date d'expiration des conventions collectives des opérations postales urbaines et des facteurs ruraux et suburbains, il y a un an. Cette augmentation n'est rien d'autre qu'un pot-de-vin destiné à faire taire les travailleurs, tandis que la bureaucratie syndicale se concentre sur la mise en œuvre de l'ordre du CCRI selon lequel tous les employés de Postes Canada doivent reprendre le travail à 8 h, heure locale, mardi. Pour souligner ce point, le STTP s'est vanté du fait que Postes Canada paierait la misérable somme de 1000 $ de cette augmentation de salaire rétroactive d'ici le 24 décembre, profitant de l'approche des fêtes de fin d'année pour forcer les travailleurs à coopérer.
En outre, tout ce que les bureaucrates du STTP ont pu rassembler, c'est une promesse de « contester » la décision du CCRI lors des audiences prévues pour les 13 et 14 janvier. Il n'y a eu aucun appel à la défiance, aucun appel au soutien d'autres travailleurs, et aucune perspective pour faire avancer la lutte des travailleurs postaux. Selon le STTP, les postiers doivent simplement accepter que leur droit de grève leur soit arraché à un moment où ils se trouvent dans une position incroyablement forte en raison de l'augmentation des volumes de courrier pendant la période des fêtes de fin d'année.
En réalité, les conditions objectives ne pourraient pas être plus propices pour que les postiers défient l'interdiction de grève et rallient le soutien de la classe ouvrière. Les questions au centre de la lutte des postiers sont d'une importance brûlante pour tous les travailleurs : la défense des services publics, le contrôle des travailleurs sur l'introduction des nouvelles technologies, la fin des concessions et des échelons salariaux, et la défense du droit de grève.
Le gouvernement Trudeau est profondément discrédité, ses prétentions « progressistes » se sont révélées être une fraude totale ; il est largement détesté pour son indifférence à l'égard de la détresse socio-économique de la classe ouvrière ; il est déchiré par les divisions à mesure que la guerre des classes s'intensifie.
Quelques heures seulement après la publication de la décision du CCRI, la ministre des Finances et vice-première ministre Chrystia Freeland a annoncé sa démission du gouvernement, le jour même où elle devait présenter le bilan financier de l'automne. Sous les applaudissements des grandes entreprises, elle a attaqué Trudeau sur sa droite, affirmant que le gouvernement devrait se concentrer sur l'austérité et non sur des « astuces politiques », c'est-à-dire des mesures symboliques visant à atténuer la crise du coût de la vie.
La classe dirigeante cherche à « Amazonifier » le service postal
MacKinnon et les médias bourgeois ont universellement présenté l'interdiction de grève de cinq mois comme un « temps mort ». Il n'en est rien. Pendant que les travailleurs sont empêchés d'utiliser leur méthode de lutte la plus fondamentale, la grève, les représentants de la direction de Postes Canada, travaillant en tandem avec leurs complices de la bureaucratie du STTP et les représentants du gouvernement, continueront à travailler à l'élaboration d'une restructuration radicale des opérations de Postes Canada aux dépens des travailleurs.
C'est ce que signifie la création par MacKinnon d'une « commission d'enquête industrielle » chargée d'examiner l'avenir du service postal, que l'élite dirigeante veut organiser sur le modèle d'entreprises à bas salaires comme Amazon et d'autres services privés de livraison de colis. Les grandes entreprises, le gouvernement libéral et tous les partis de l'establishment capitaliste considèrent qu'il s'agit là d'un précédent pour des attaques radicales de nature similaire dans tous les services publics.
Les consultants et les conseillers des entreprises ont ouvertement discuté de la suppression de plus de 20.000 emplois à temps plein au sein de la société d'État, qui compte actuellement un peu plus de 40.000 employés à temps plein. Ils veulent les remplacer par des travailleurs précaires, permanents à temps partiel ou temporaires, qui n'ont aucun droit et gagnent des salaires de misère.
Les postiers ont été choisis comme cible de cette restructuration fondamentale parce que l'élite dirigeante les considère comme l'une des sections les plus militantes de la classe ouvrière, qui a joué un rôle important dans l'obtention de certains droits sociaux que la classe dirigeante n'est plus disposée à accepter. Comme l'expliquait sans détour le mois dernier un article du Financial Post, journal de droite, citant une étude pro-patronale sur la réorganisation des services postaux, « au cours des 26 années » entre 1965 et 1991, « les postiers ont fait grève 12 fois. Au fur et à mesure que les syndicats se consolidaient, ils acquéraient de nouveaux pouvoirs pour résister aux tentatives de Postes Canada d'améliorer ses opérations. Parmi les gains obtenus par les syndicats « aux dépens de Postes Canada et des consommateurs canadiens », le plus important est que « tous les employés syndiqués bénéficient de la sécurité de l'emploi : ils ne peuvent pas être licenciés ».
L'article portait comme titre la question inquiétante suivante : « Est-ce la dernière grève ? »
Le rôle des syndicats dans la restructuration des rapports de classe
Alors que l'impérialisme canadien s'engage dans une politique de guerre mondiale, en étroite alliance avec son partenaire géostratégique de longue date, l'impérialisme américain, pour s'assurer des ressources clés, le contrôle des chaînes de production et des territoires stratégiques, il n'est plus disposé à investir des fonds dans des emplois à temps plein assortis d'avantages sociaux pour les travailleurs des postes ou, d'ailleurs, pour les travailleurs de n'importe quel secteur. Ses représentants politiques et patronaux veulent subordonner toutes les vastes ressources de la société au réarmement de l'armée, à la guerre contre la Russie et la Chine et à l'expansion des richesses déjà considérables des super-riches. Ils ont déjà considérablement progressé dans la mise en œuvre de ce programme de guerre de classe, les chiffres de Statistique Canada montrant que l'inégalité des revenus à la fin de l'année 2023 était à son niveau le plus élevé jamais enregistré. Mais s'ils parviennent à vaincre les postiers, on peut être sûr que les discussions sur le « problème » de la sécurité de l'emploi et d'autres droits et avantages « excessifs » parmi les enseignants, les travailleurs de l'automobile, le personnel de la santé, les travailleurs des transports et d'autres encore envahiront bientôt les pages de la presse bourgeoise.
L'ampleur de la restructuration des relations sociales que la classe dirigeante veut imposer est incompatible avec les formes démocratiques de gouvernement. Le recours du gouvernement Trudeau au décret exécutif pour interdire les grèves n'est qu'une expression du virage autoritaire de la classe dirigeante canadienne. Parmi les autres expressions, citons l'invocation par Trudeau de la loi draconienne sur les situations d'urgence et le recours accru de son gouvernement à des « décrets » secrets pour adopter de nouvelles lois, la normalisation de la « clause dérogatoire » pour abroger des droits protégés par la Constitution et l'adoption de l'agitation anti-immigrés de l’extrême droite.
L'ensemble de la bureaucratie syndicale a participé au spectaculaire virage à droite de la politique canadienne. Le Congrès du travail du Canada et le NPD parrainé par les syndicats ont soutenu le gouvernement minoritaire de Trudeau au cours des cinq dernières années.
Leur réponse au recours par Trudeau à de nouveaux pouvoirs briseurs de grève a été d'appliquer les ordres manifestement illégaux du gouvernement et du CCRI. Il a fallu au CTC trois jours entiers pour publier un communiqué de presse sur l'assaut de l'État contre les travailleurs postaux, et sa réponse a été de plaider en faveur d'une collaboration plus étroite avec le gouvernement Trudeau pour étouffer la lutte des classes. La bureaucratie syndicale a exhorté Trudeau à « consulter les syndicats et les travailleurs au sujet de l'utilisation abusive de l'article 107 » et a cherché à justifier son soutien méprisant à un gouvernement qui piétine les droits des travailleurs, impose l'austérité et intègre de plus en plus le Canada dans la guerre mondiale de Washington en invoquant la menace d'un gouvernement conservateur d'extrême droite dirigé par Pierre Poilievre.
En fait, c'est la répression systématique de la lutte des classes par les syndicats et le NPD – illustrée par leur soutien au gouvernement Trudeau – qui ouvre la voie à la classe dirigeante pour le remplacer par un gouvernement encore plus rapace et hostile à la classe ouvrière, dirigé par Poilievre, qui a été catapulté à la tête des conservateurs après s'être révélé être le plus fervent partisan du « Convoi de la liberté », organisé par des fascistes. Comme le dictateur fasciste en puissance Trump, Poilievre est capable de faire un appel démagogique à la détresse de la classe ouvrière parce que les syndicats et les soi-disant partis « de gauche » sont identifiés à l'austérité et à la guerre.
Dans son communiqué de presse tardif sur la répression de la grève des postiers, le CTC se lamente : « Saper la négociation collective, c'est saper la démocratie elle-même. »
Quelle foutaise ! Le système canadien de « négociation collective », conçu par l'État et favorable aux employeurs, est une escroquerie. C'est un mécanisme de régulation et de répression de la lutte des classes. Au cours des quatre dernières décennies, les gouvernements de tous bords ont régulièrement criminalisé les grèves, tandis que les syndicats ont développé une alliance corporatiste avec les grandes entreprises et l'État, qui a servi de mécanisme pour imposer les reculs et des suppressions d'emplois dans toutes les sphères de l'économie.
Les postiers doivent défier l'ordre de retour au travail du CCRI s'ils veulent réaliser leurs demandes justifiées d'augmentations salariales réelles, de sécurité de l'emploi et d'avantages sociaux décents. Mais cette position ne sera couronnée de succès que si les postiers font appel à l'ensemble de la classe ouvrière pour obtenir son soutien. Une rupture politique avec l'emprise étouffante de l'alliance entre les syndicats, le NPD et les libéraux est nécessaire. Pendant des décennies, cette alliance a été déployée pour maintenir les travailleurs enfermés dans le système de la « négociation collective » afin que chaque lutte puisse être plus facilement trahie et qu'aucune contestation de la part de la classe ouvrière ne soit organisée contre le programme d'austérité plus large de la classe dirigeante.
Pour poursuivre cette lutte, de nouvelles formes d'organisation, des comités de base contrôlés par les travailleurs sur le terrain, comme le Comité de base des travailleurs des postes, doivent être mis en place. Ces organisations fournissent le mécanisme permettant aux travailleurs d'affirmer leur volonté contre celle des bureaucrates syndicaux, qui veulent toujours maintenir la « légalité » de la société canadienne et de son État. Ces comités doivent développer une lutte politique impliquant les travailleurs des secteurs du transport, de la logistique et de tous les autres secteurs économiques afin de lutter pour la chute du gouvernement Trudeau et le transfert du pouvoir politique à la classe ouvrière.
Cette lutte doit être couplée à une lutte soutenue pour le développement d'une avant-garde socialiste dans la classe ouvrière, dirigée par le Parti de l'égalité socialiste, qui sera le fer de lance de la lutte pour un gouvernement ouvrier visant à placer les vastes ressources de la société sous le contrôle de la classe ouvrière, de sorte que le service postal et tous les services publics soient prioritaires par rapport à l'accumulation de profits privés et à la guerre.
(Article paru en anglais le 17 décembre 2024)