Le gouvernement libéral intervient pour criminaliser la grève à Postes Canada

Le ministre du Travail, Steve MacKinnon, a annoncé vendredi matin qu'il ordonnait au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) de mettre fin à la grève de près d'un mois des 55.000 travailleurs postaux et de les forcer à reprendre le travail en vertu de leur convention collective expirée, s'il détermine que les négociations contractuelles entre la société d'État et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) sont dans une « impasse ».

Une telle conclusion n'a rien d'étonnant puisqu'un médiateur fédéral spécial s'est retiré des négociations contractuelles il y a plus d'une semaine, déclarant que les deux parties étaient trop éloignées l'une de l'autre pour justifier son aide, et que Postes Canada a réagi à la dernière proposition contractuelle du STTP en affirmant qu'elle entraînerait des milliards de dollars de coûts supplémentaires.

La décision de MacKinnon est une attaque non seulement contre les travailleurs des postes, mais aussi contre l'ensemble de la classe ouvrière. C'est la troisième fois depuis le mois d'août que le gouvernement libéral, sans même se référer à un vote parlementaire, prive arbitrairement les travailleurs de leur soi-disant droit de grève constitutionnel.

Des travailleurs de Postes Canada sur la ligne de piquetage à Niagara-on-the-Lake, Ontario, le vendredi 15 novembre

« Après des mois de conciliation et de médiation appuyées par le Service fédéral de médiation et de conciliation, des arrêts de travail et la nomination subséquente d'un médiateur spécial pour aider à la négociation de leurs nouvelles conventions collectives, Postes Canada et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes demeurent incapables de conclure une entente », a déclaré MacKinnon aux journalistes vendredi matin à Ottawa.

Contrairement à ce qu'affirme le ministre du Travail, l'ingérence répétée du gouvernement dans les négociations n'a jamais eu pour but d'aider à conclure une entente qui reconnaîtrait les intérêts des travailleurs. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau, les médias et les grandes entreprises canadiennes soutiennent tous la restructuration radicale de Postes Canada pour en faire une entreprise à bas salaires et à but lucratif qui rivaliserait avec Amazon dans sa brutalité à l'égard de ses travailleurs. L'annonce provocatrice de MacKinnon exige une réponse politique indépendante de la part des postiers en grève et de la classe ouvrière dans son ensemble, qui doit être mobilisée dans une lutte politique pour stopper la volonté de la classe dirigeante de détruire Postes Canada et tous les services publics, et pour défendre le droit de grève des travailleurs, c'est-à-dire de lutter collectivement pour leurs intérêts de classe.

Mme MacKinnon a présenté un plan qui permettra aux postiers de reprendre leur travail dès lundi, conformément aux dispositions de leurs conventions collectives expirées depuis longtemps, soit jusqu'au 22 mai 2025. Les conventions collectives des unités de l'exploitation postale urbaine (UPO) et des facteurs ruraux et suburbains (RSMC) ont expiré respectivement en janvier 2024 et en décembre 2023, après avoir été prolongées de deux ans en 2022. Les travailleurs devront donc attendre six mois de plus dans des conditions qui sont entrées en vigueur il y a plus de quatre ans.

La prolongation des conventions collectives s'accompagnera de la nomination d'une commission d'enquête industrielle sous la direction de William Kaplan, un arbitre et médiateur chevronné. MacKinnon a chargé la commission « d'examiner les questions structurelles qui empêchent la résolution du conflit de travail actuel ». Kaplan a supervisé la mise en œuvre d’ententes favorables aux employeurs par le biais de l'arbitrage à Air Canada, au Chemin de fer Canadien Pacifique et à WestJet, entre autres.

MacKinnon a ajouté : « L'enquête aura une large portée puisqu'elle examinera la structure entière de Postes Canada du point de vue des clients et du modèle d'entreprise, compte tenu de l'environnement commercial difficile auquel Postes Canada est actuellement confrontée ».

La commission Kaplan approuvera sans aucun doute l' « Amazonisation » des activités de Postes Canada voulue par la direction, y compris l'augmentation du nombre de travailleurs occasionnels faiblement rémunérés. Tout au long de la grève, les représentants des entreprises canadiennes ont ouvertement discuté de la nécessité de supprimer jusqu'à 20.000 emplois à temps plein à Postes Canada, d'abolir son monopole sur la livraison du courrier et de vendre quelque 3000 bureaux de poste à usage unique en faveur d'un modèle de franchise.

L'interdiction de grève du gouvernement libéral repose sur une réinterprétation de l'Article 107 du Code du travail canadien, qui confère au ministre du Travail le pouvoir de mettre fin aux grèves et d'imposer un arbitrage contraignant par décret. Alors que dans le passé, les gouvernements obtenaient une feuille de vigne juridique pour briser les grèves en adoptant une loi de retour au travail au parlement, les libéraux de Justin Trudeau s'appuient désormais sur l'Article 107 du Code du travail pour décréter arbitrairement de lourdes ordonnances anti-ouvrières au CCRI. Cet organisme tripartite, composé de fonctionnaires, de représentants des entreprises et de bureaucrates syndicaux, est un conseil non élu nommé par le gouverneur en conseil et fonctionnant sous les auspices du ministre du Travail.

Le ministre du Travail a invoqué l'Article 107 à trois reprises au cours des quatre derniers mois pour mettre fin à des grèves dans des secteurs clés, d'abord chez les cheminots du CPKC et du Canadien National, puis chez les débardeurs de la Colombie-Britannique et du Québec, et maintenant à la Société canadienne des postes.

La réaction de la bureaucratie du STTP à l'intervention de MacKinnon a été d'une complaisance totale. Alors que la possibilité d'une intervention gouvernementale plane sur la grève depuis son début le 15 novembre, le syndicat a travaillé sans relâche pour maintenir les travailleurs postaux isolés et n'a proposé aucune stratégie pour s'opposer à une interdiction de grève ordonnée par le gouvernement. Il n'a pas non plus cherché à étendre la grève à d'autres travailleurs de la logistique, y compris à la société de messagerie Purolator, propriété de Postes Canada.

Au lieu de cela, l'équipe de négociation du STTP a demandé à plusieurs reprises à Postes Canada de négocier « de bonne foi », et après que les pourparlers aient pratiquement échoué suite au retrait du médiateur spécial, de « revenir à la table ». Dans sa dernière offre à la société, le STTP a proposé un recul important sur les salaires, les heures supplémentaires et les conditions de travail.

Cela n'a fait qu'enhardir la direction de Postes Canada. Elle a réagi en dénonçant le syndicat pour avoir éloigné les parties. Jeudi encore, quelques heures avant l'annonce de MacKinnon, Peter Denley, directeur national du STTP pour la région centrale, envoyait des courriels aux membres en grève pour les inciter à faire appel à leurs députés afin qu'ils fassent pression sur le gouvernement pour qu'il intervienne dans les négociations et mette fin à la grève.

Vendredi après-midi, en réponse à l'annonce de MacKinnon, la présidente du STTP, Jan Simpson, a déclaré que le syndicat « envisagerait toutes les options possibles » une fois qu'un ordre de retour au travail serait donné et a demandé aux travailleurs de « rester vigilants pour obtenir plus d'informations dans les jours à venir ».

En revanche, les travailleurs de la base de Postes Canada, regroupés au sein du Comité de base des travailleurs des postes (CBTP), ont pris l'initiative, luttant pour retirer le contrôle des négociations contractuelles des mains de la bureaucratie syndicale et pour mobiliser le soutien des travailleurs à travers le pays et à l'échelle internationale. Le CBTP a publié vendredi une déclaration appelant à défier l’intervention briseuse de grève du gouvernement libéral :

Les conditions sont propices pour défier l'assaut de l'État contre notre droit de grève et mobiliser un large soutien au sein de la classe ouvrière, jusqu'à une grève générale. En effet, les questions pour lesquelles nous nous battons sont d'une importance capitale pour tous les travailleurs, du secteur public comme du secteur privé : la défense des services publics, le contrôle des travailleurs sur l'introduction des nouvelles technologies, la fin des concessions et des échelons salariaux, et la défense du droit de grève.

Nous ne lançons pas notre appel à la défiance à la légère.

Elle doit s'accompagner d'un changement fondamental de stratégie. Nous devons faire de notre grève le fer de lance d'une contre-offensive de la classe ouvrière contre le démantèlement des services publics, le sacrifice des besoins sociaux au programme de guerre de l'impérialisme canadien et la défense du droit de grève.

Une travailleuse des postes de l'Ontario a déclaré au World Socialist Web Site :

Aujourd'hui, Stephen MacKinnon a déclaré que l'accord actuel, qui a déjà expiré depuis un an, sera prolongé jusqu'en mai 2025. Pour moi, c'est insultant. Nous n'avons pas été en grève pendant quatre semaines, pour être ensuite mis de côté et forcés de reprendre le travail. C'est antidémocratique et c'est quelque chose que je ne tolérerai absolument pas.

L'employeur a toujours refusé de subvenir aux besoins de ses employés. Il vous récompensera avec des cartes Tim's et Subway, mais il ne tient pas compte de la situation dans son ensemble. Cela fait plus de six ans que nous n'avons pas eu d'augmentation de salaire.

Cette décision du ministre du Travail est atroce et constitue un dangereux précédent.

Elle a également évoqué les conséquences sociales plus larges pour les travailleurs si la grève était vaincue.

La nouvelle en elle-même n'est pas choquante. Elle me confirme que tout ce que j'ai dit est vrai, que Postes Canada est trompeuse, manipulatrice et carrément contraire à l'éthique dans ses soi-disant « pratiques de négociation ».

L'accession à la propriété est de plus en plus rare en raison de la crise du logement, les denrées alimentaires et les produits de première nécessité sont devenus hors de portée pour des millions de personnes. Les personnes handicapées et blessées doivent économiser et se passer de médicaments parce que les PDG prennent en otage leurs avantages et leurs pensions.

Un autre travailleur a fait référence à la négociation précédente du STTP d'une prolongation de la convention collective pour deux ans dans le dos des membres, et maintenant « un an de négociation... et toujours rien ». « Tout ce que nous obtenons sera cinq ans en retard. [...] Tous ceux qui disent que nous en demandons trop devraient s'interroger. »

La grève de Postes Canada a atteint un tournant critique pour la classe ouvrière dans son ensemble.

Ce que le ministre du Travail a décrit comme une « solution imaginative » au conflit contractuel en cours fait partie d'un assaut concerté contre les droits fondamentaux des travailleurs. Le système de négociation collective établi à la suite des luttes de masse des travailleurs dans les années 1930 et 1940 a effectivement été détruit, le gouvernement fédéral bafouant les droits démocratiques des travailleurs et s'arrogeant le pouvoir de criminaliser à leur guise les grèves menées par les travailleurs. La grande entreprise canadienne est encouragée à rester intransigeante dans ses demandes de concessions, sachant qu'une grève ou un lock-out de longue durée, ou une grève paralysant une industrie clé, provoquerait une intervention du gouvernement en sa faveur.

Cette attaque contre le droit de grève est menée par un gouvernement libéral minoritaire qui continue d'être soutenu par l'ensemble de la bureaucratie syndicale et maintenu au pouvoir par le Nouveau Parti démocratique. Elle reflète le glissement de l'ensemble de l'élite dirigeante canadienne, à l'instar de ses homologues internationaux, vers des formes autoritaires de gouvernement.

Aux États-Unis, Trump a déclaré son intention d'instaurer une dictature fasciste afin d'assurer la domination sans partage des milliardaires sur tous les aspects de la vie sociale et économique. En Europe, des décennies de protection de l'emploi et d'emplois relativement bien rémunérés sont saccagées par des gouvernements comme celui de l'Allemagne, qui applique de plus en plus les politiques de l'Alternative pour l'Allemagne fasciste, alors qu'elle se prépare à une guerre mondiale. Le lien entre la répression toujours plus draconienne de la lutte des classes et la guerre impérialiste est étroit, puisque la classe dirigeante ne peut se permettre ses guerres de pillage et de conquête que si elle transforme la classe ouvrière en indigents et décime les services publics. Le chef d'extrême droite des conservateurs canadiens, Pierre Poilievre, attend dans les coulisses de prendre la relève de Trudeau à Ottawa pour poursuivre cette voie de manière encore plus impitoyable. Comme Trump, il a pu lancer un appel social bidon, parce que les partis que les syndicats présentent comme étant « progressistes » – les démocrates aux États-Unis et les libéraux et le NPD au Canada – sont favorables à l'austérité et à la guerre et sont totalement indifférents à la détresse sociale grandissante des travailleurs.

Le sort de la grève de Postes Canada dépend de la mobilisation sociale et politique indépendante de l'ensemble de la classe ouvrière pour faire échec à l'interdiction de grève imposée par le gouvernement et défendre les services publics. Comme l'a expliqué le Parti de l'égalité socialiste (Canada) dans une déclaration du 5 décembre :

La défense de l'emploi, des droits des travailleurs et des services publics passe par une attaque frontale contre la mainmise de l'oligarchie financière sur la société. Elle exige une lutte pour affirmer le contrôle des travailleurs sur les vastes richesses et les forces productives de la société – y compris les nouvelles technologies comme l'IA qui ont le potentiel d'augmenter considérablement la productivité du travail – afin qu'elles puissent être déployées pour répondre aux besoins sociaux, et non au profit privé.

Une telle transformation révolutionnaire ne sera réalisée que par la mobilisation industrielle et politique de la classe ouvrière pour s'emparer du pouvoir politique de la classe dirigeante et commencer à transformer la société selon les principes du socialisme.

(Article paru en anglais le 14 décembre 2024)

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