Mercredi 4 décembre, Amnesty International a publié un rapport exhaustif de 296 pages concluant qu'Israël commet un génocide. « Seule une intention de détruire les Palestiniens à Gaza », a conclu l'organisation internationale de défense des droits de l'homme, peut « expliquer l'ampleur et la gravité » du meurtre de masse, du déplacement forcé et de la famine délibérée des Palestiniens à Gaza par Israël.
Depuis octobre 2023, Israël a tué au moins 44.580 personnes à Gaza, selon les statistiques officielles, et le nombre de morts ayant été estimé à 186.000 ou plus dans une étude publiée début juillet par The Lancet. Plus de 1,9 million de personnes, soit 90 % de la population de Gaza, ont été déplacées à l'intérieur du pays. Dans un rapport publié le mois dernier, le bureau des droits de l'homme de l'ONU a affirmé que 70 % des décès vérifiés à Gaza concernaient des femmes et des enfants.
Dans son rapport, Amnesty International établit de manière concluante que les massacres ont été perpétrés avec une intention génocidaire consciente. Avec la publication de ce rapport, Amnesty International est devenue la première grande organisation internationale de défense des droits de l'homme à accuser officiellement Israël de génocide.
S'il a fallu tant de temps aux grandes organisations de défense des droits de l'homme pour faire cette affirmation, c'est en raison des vastes implications de cette constatation. Quoi que puisse dire ou écrire Amnesty International, accuser Israël d'agir sur la base d'une intention génocidaire, c'est accuser les dirigeants des « démocraties » du monde – le président américain Joe Biden, le chancelier allemand Olaf Scholz, le Premier ministre britannique Keir Starmer et le président français Emmanuel Macron – de complicité consciente dans l'un des crimes internationaux les plus graves.
Le 27 novembre, la Cour pénale internationale (CPI) a lancé des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, accusant les deux hommes de « crime de guerre de famine en tant que méthode de guerre, et de crimes contre l'humanité de meurtre, persécution et autres actes inhumains ». Cela a suivi la déclaration du 19 juillet de la Cour internationale de justice (CIJ) selon laquelle l'occupation israélienne de la Palestine était illégale et ordonnait à tous les pays de cesser leur coopération avec l'occupation.
Le 9 décembre 1948, 39 pays ont signé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, un traité qui faisait officiellement du génocide un crime et obligeait les participants à en appliquer l'interdiction. Depuis, la Convention a été ratifiée par la grande majorité des États du monde.
Le traité était une réponse à l'Holocauste, l'effort délibéré et systématique des dirigeants de l'Allemagne nazie pour exterminer les Juifs d'Europe, qui a conduit au massacre de 6 millions de Juifs européens. La convention a systématisé les écrits de Raphael Lemkin, qui a inventé le terme « génocide » pour décrire à la fois l'Holocauste et le génocide antérieur des Arméniens par l'Empire ottoman.
Lemkin a travaillé en étroite collaboration avec l'équipe juridique de Robert H. Jackson, procureur en chef des États-Unis au tribunal de Nuremberg, qui a révélé et poursuivi en justice le complot des dirigeants de l'Allemagne nazie visant à lancer une guerre d'agression pour conquérir l'Europe.
Selon le droit international, le crime de génocide ne nécessite pas seulement le meurtre physique des membres d'un groupe national, racial ou ethnique particulier. Pour que de tels actes constituent un génocide, ils doivent être commis par les auteurs avec l'intention de détruire le groupe ciblé et faire partie d'un plan manifeste de conduite similaire dirigée contre ce groupe. Le rapport d'Amnesty International établit que ces deux éléments sont présents à Gaza.
Le gouvernement américain, principal soutien financier, militaire et politique d'Israël, nie que le gouvernement Netanyahou perpètre un génocide à Gaza. En décembre 2023, le président Joe Biden a allégué qu'Israël menait des « bombardements indiscriminés » – une déclaration que la Maison-Blanche a immédiatement tenté de retirer. Mais au cours des 14 mois depuis qu'Israël a commencé son offensive sur Gaza, le gouvernement américain a affirmé des centaines de fois que, bien qu'Israël puisse faire preuve de négligence en frappant Gaza, il n'a pas l'intention de tuer des civils palestiniens.
Le rapport d'Amnesty International dénonce cet argument comme un mensonge délibéré et absurde. Il rassemble des dizaines de déclarations faites à tous les niveaux de l'État israélien, du président aux principaux chefs de cabinet, en passant par les responsables locaux, jusqu'aux déclarations, écrits et témoignages de soldats israéliens.
Amnesty International explique que son rapport :
a analysé 102 déclarations faites par des représentants du gouvernement israélien, des militaires hauts-gradés et des membres de la Knesset entre le 7 octobre 2023 et le 30 juin 2024, dans lesquelles ils déshumanisaient les Palestiniens et Palestiniennes, ou bien appelaient à des actes génocidaires ou d’autres crimes de droit international contre les Palestiniens et Palestiniennes, ou bien les justifiaient. Parmi ces déclarations, Amnesty International en a identifié 22 faites spécifiquement par des membres des cabinets ministériels israéliens de sécurité et de guerre, notamment le Premier ministre Benjamin Netanyahou, le ministre de la Défense de l’époque Yoav Gallant et d’autres ministres du gouvernement, ainsi que par des militaires hauts-gradés et le président d’Israël, entre le 7 octobre 2023 et le 30 juin 2024. Ces déclarations semblaient appeler à des actes génocidaires ou les justifier.
Ces déclarations sont entièrement confirmées par les actions des soldats qui mènent la destruction de Gaza et l'extermination de son peuple.
Afin d'étudier plus avant l'influence possible de ces déclarations sur le comportement de l'armée, Amnesty International a analysé 62 vidéos, enregistrements audio et photographies mis en ligne montrant des militaires israéliens appelant à la destruction de Gaza ou à la privation de certains services essentiels pour la population de Gaza, ou célébrant la destruction de biens palestiniens, et a examiné dans quelle mesure ils faisaient écho à des déclarations faites par de hauts responsables du gouvernement et de l'armée.
Sur la base de ces déclarations,
Amnesty International estime que l'intention génocidaire est la seule conclusion raisonnable. Il existe suffisamment de preuves pour conclure que le but et l'objectif d'Israël à Gaza sont la destruction des Palestiniens de Gaza, et qu'il n'y a pas d'autre explication raisonnable. Parce qu'Israël agit dans le contexte d'un conflit armé, il a évidemment aussi des objectifs militaires, qui peuvent aller de pair avec l'intention génocidaire ou que la destruction des Palestiniens sert. Mais ces objectifs militaires ne suffisent pas à expliquer l'ampleur et la portée des actions illégales menées actuellement par Israël. Seule l'intention de détruire les Palestiniens de Gaza peut le faire.
À ce stade, il est nécessaire de poursuivre là où le rapport d'Amnesty International s'arrête. Que se passe-t-il lorsque les déclarations des dirigeants américains sont soumises aux mêmes tests juridiques que ceux auxquels Amnesty International soumet les déclarations des dirigeants israéliens ?
Amnesty International a accordé une grande importance aux références bibliques faites par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à « Amalek », une tribu mythique dont les textes bibliques affirment qu'elle a été exterminée par le roi mythique David.
En octobre, l'ancien président Bill Clinton a justifié le meurtre de civils palestiniens par Israël en déclarant : « le Hamas fait en sorte qu’il ait des civils comme boucliers. Ils vous forcent à tuer des civils si vous voulez vous défendre. »
Il a ensuite justifié les actions israéliennes en faisant référence au mythe du roi David, en déclarant : « Eh bien, j'ai des nouvelles pour eux. Les [Israéliens] étaient là avant même que leur foi [l'Islam] n'existe. Ils étaient là à l'époque du roi David, les tribus les plus méridionales avaient la Judée et la Samarie. »
Les mêmes textes bibliques qui affirment l'existence du roi David déclarent que dans sa campagne contre les Amalécites, « David ravageait la contrée; il ne laissait en vie ni homme ni femme ». David agissait selon le commandement biblique de Yahvé : « Va maintenant, frappe Amalek […] tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons. »
En décembre 2023, le sénateur Lindsay Graham a évoqué la possibilité qu'Israël utilise des armes nucléaires à Gaza et a ouvertement préconisé le meurtre de civils. « Il s'agit d'une population radicalisée », a déclaré Graham. « Je ne veux pas tuer des innocents, mais Israël combat non seulement le Hamas, mais aussi l’infrastructure qui l’entoure. »
Le fait indéniable est que ces déclarations ne sont pas seulement une défense de crimes de guerre, mais des déclarations d'intention génocidaire.
La seule conclusion logique du rapport d'Amnesty International est que Biden, Macron, Starmer, Scholz et les autres chefs de gouvernement complices d'Israël doivent être immédiatement arrêtés.
D'où vient cette incitation au meurtre de masse ? Dans le livre de 2008, Empire, Colony, Genocide : Keywords and the Philosophy of History (Empire, colonie, génocide : mots-clés et philosophie de l'histoire), le spécialiste du génocide A. Dirk Moses explique que loin d'avoir été inventés uniquement en réponse à l'Holocauste, « les cas coloniaux extra-européens figuraient également en bonne place dans [l']histoire mondiale projetée du génocide par [Lemkin] ». Cela comprenait le « génocide contre les Amérindiens », ainsi que contre les Incas et les Aztèques, et au « Congo belge ».
En d'autres termes, l'Holocauste était l'expression, à une échelle massive, concentrée et industrielle, de toutes les traditions meurtrières du capitalisme, qui, pour reprendre les mots de Karl Marx, vient au monde « suant le sang et la boue par tous les pores ».
Les puissances impérialistes ont proclamé, selon les termes du président Joe Biden, un « nouvel ordre mondial», auquel il ajoute « et nous allons le diriger ». Ce nouvel ordre mondial est un retour à la domination coloniale nue, imposée par une violence sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Le génocide de Gaza n'est pas un accident ou une aberration, mais plutôt l'expression délibérée et concentrée de cette lutte pour réorganiser le monde par les puissances impérialistes.
L'acceptation ouverte du génocide par les États « démocratiques » marque un tournant. L'ère où les puissances impérialistes pouvaient se parer d'une toge démocratique, pour prétendre défendre des traditions constitutionnelles, légales et démocratiques, est terminée. Elles ont montré au monde ce qu'elles sont : une bande de meurtriers et d'assassins sanguinaires.
L'histoire enseigne que les changements de circonstances objectives mettent du temps à se refléter dans la politique. Mais lorsqu'ils le font, les conséquences sont terribles. Le rôle des puissances impérialistes dans la perpétration du génocide de Gaza sera un puissant stimulant pour la construction d'un mouvement de la classe ouvrière visant à mettre fin au système capitaliste.
(Article paru en anglais le 7 décembre 2023)