Le Comité de base des travailleurs des postes (Canada) organise une réunion publique en ligne le dimanche 8 décembre à 13h, heure de l’Est : « La grève chez Postes Canada à un tournant ». Inscrivez-vous ici pour participer.
Vous êtes un travailleur des postes en grève? Dites-nous quels sont les enjeux pour lesquels vous vous battez et comment vous pensez pouvoir gagner votre lutte. Écrivez-nous au canadapostworkersrfc@gmail.com ou utilisez le formulaire au bas de l’article. Tous les commentaires seront gardés anonymes.
La grève des 55.000 postiers de Postes Canada en est maintenant à sa troisième semaine. Avec l’appui du gouvernement libéral de Trudeau, la direction de la société d’État continue d’exiger des concessions drastiques, tandis que les directions du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) et du Congrès du travail du Canada (CTC) font tout pour garder les grévistes isolés de leurs collègues du reste de l’industrie de la logistique et de l’ensemble de la classe ouvrière.
Le ministre du Travail, Steven MacKinnon, a annoncé la semaine dernière l’échec de la médiation, affirmant que les parties étaient trop éloignées l’une de l’autre pour qu’une entente puisse être conclue. Postes Canada a présenté dimanche au STTP un nouveau «cadre global» pour la reprise des négociations, qui, selon le STTP, a permis de réaliser «quelques progrès». Cependant, une mise à jour des négociations adressée lundi aux travailleurs des postes déclarait : «Cela étant dit, dans l'ensemble, le cadre est loin d'une entente que les membres peuvent ratifier. Postes Canada maintient avec intransigeance bon nombre de ses propositions draconiennes en matière de “flexibilité” – un plan que la Société entend réaliser aux dépens des travailleuses et travailleurs.»
Dans les faits, le STTP met en garde l’employeur qu’il y a une opposition explosive parmi les postiers de la base contre la restructuration des opérations chez Postes Canada, un enjeu qui fait l’objet de discussions entre la direction et ses «partenaires» syndicaux. L’équipe de négociation du STTP admet ainsi que, quand bien même elle accepterait les mesures visant à «amazonnifier» Postes Canada, elle doute de sa capacité à convaincre ses membres d’appuyer une telle entente advenant la tenue d’un vote de ratification, comme en fait foi la suite de la mise à jour: «Le Syndicat est prêt à retourner à la table de négociation, et nous attendons d'être rappelés par les médiateurs.»
La soumission totale du STTP au médiateur nommé par le gouvernement souligne sa complicité dans l’assaut préparé contre ses membres. Le gouvernement n’est pas intervenu dans les négociations, qui durent depuis plus d’un an, en tant qu’«intermédiaire honnête» pour essayer de parvenir à un «compromis». Son rôle consiste plutôt à renforcer les concessions sauvages exigées par la société d’État afin de faire des travailleurs des postes un exemple qui facilitera l’intensification de la destruction des services publics et des droits des travailleurs dans l’ensemble du pays.
L’objectif du gouvernement Trudeau, tel que le démontrent les politiques qu’il a poursuivies au cours des neuf dernières années, est de subordonner toutes les ressources de la société pour mener des guerres au profit de l’impérialisme canadien dans le monde et enrichir les riches aux dépens du reste de la société.
Quiconque doute de ce fait n’a qu’à regarder ce qui est arrivé à la grève des cheminots en août et avec les lock-out des travailleurs portuaires à Montréal et Vancouver au début de novembre pour constater que le gouvernement agit toujours pour imposer les exigences de la grande entreprise. Dans ces deux cas, MacKinnon a invoqué une nouvelle interprétation de l’Article 107 du Code canadien du travail pour s’arroger des pouvoirs élargis, pour ne pas dire dictatoriaux, et mettre en œuvre une interdiction draconienne de tout mouvement de grève. Cet article du Code permet en effet au ministre du Travail d’ordonner au Conseil canadien des relations industrielles – un organisme non élu – de prendre toute mesure jugée nécessaire pour mettre fin à un conflit du travail.
Grâce aux pouvoirs arbitraires accordés au Conseil canadien des relations industrielles, un organisme corporatiste où siègent des représentants syndicaux et patronaux, MacKinnon a créé les conditions qui ont permis à l’arbitrage de maintenir en place des régimes de travail dans les chemins de fer et les ports avec des surcharges de travail impitoyables, des horaires imprévisibles et des salaires qui ne suivent pas le rythme de l’inflation. Il est de plus en plus probable qu’il empruntera à nouveau cette voie avec les travailleurs des postes à l’approche du pic de courrier qu’est la période du temps des fêtes.
MacKinnon n’a pas encore eu recours à l’Article 107 dans ce conflit uniquement parce que d’importantes sections de la classe dirigeante sont satisfaites de laisser le conflit s’éterniser tant que le STTP maintient sa mainmise sur la lutte des postiers et que la grève reste isolée. De nombreuses entreprises réacheminent leurs colis via Purolator, une filiale de Postes Canada, un processus facilité par l’inaction de la bureaucratie du syndicat des Teamsters qui n’a pas appliqué sa déclaration creuse du 15 novembre selon laquelle les travailleurs de Purolator montreraient leur «solidarité» avec la grève de Postes Canada en ne s’occupant pas des colis supplémentaires. Le transfert d’une grande partie des services de courrier commercial et de livraison à des entreprises à bas salaires comme Purolator, qui procure des avantages sociaux, une sécurité d’emploi et des droits nettement inférieurs à ses employés, aura pour effet d’intensifier la pression sur les travailleurs de Postes Canada pour qu’ils acceptent des conditions semblables afin de rendre la société d’État «viable». Étant donné que le STTP a déclaré à maintes reprises son engagement à laisser Postes Canada être gérée comme une entreprise à but lucratif, il n’y a aucune raison de douter qu’il jouera un rôle clé dans ce processus.
L’empressement de l’élite dirigeante à laisser les «forces du marché» faire le sale boulot, avec l’aide de la bureaucratie syndicale, changerait rapidement si les postiers s’orientaient vers les travailleurs des autres services de livraison et élargissaient leur lutte à d’autres sections de la classe ouvrière. La situation sociale explosive au Canada, où les inégalités de revenus sont à leur plus haut niveau et où de vastes pans de la population luttent pour joindre les deux bouts, crée des conditions favorables pour qu’un tel mouvement se développe rapidement et prenne le caractère d’une lutte contre l’austérité. Mais la mobilisation politique de la classe ouvrière derrière les postiers – qui est la seule façon pour ces travailleurs de défier la menace d’une intervention gouvernementale qui leur imposerait les concessions demandées par leur employeur – nécessite une perspective politique claire rejetant toute domination de la vie sociale à la course au profit des entreprises, ainsi que la subordination des ressources de la société pour la conduite de guerres impérialistes ailleurs dans le monde. Autrement dit, il faut lancer la lutte pour le socialisme.
En juin dernier, des travailleurs de Postes Canada ont créé le Comité de base des travailleurs des postes (CBTP) pour prendre le contrôle de leur lutte contractuelle et le retirer d’entre les mains de la bureaucratie corporatiste du STTP et se battre pour combler les véritables besoins des travailleurs et non pas simplement ce que leur employeur juge abordable. Le CBTP a adopté des résolutions pour l’élargissement de la grève de Postes Canada aux autres travailleurs du secteur de la logistique et au-delà, et appeler à mener une lutte politique contre le gouvernement libéral qui est soutenu par les syndicats, afin de défier toute interdiction de grève imposée par le gouvernement, et quelle que soit la façon dont elle serait appliquée.
Interrogés par des reporters du World Socialist Web Site à propos du programme du CBTP, des travailleurs des postes en grève à Montréal ont mentionné leur ferme soutien pour l’idée d’élargir leur lutte. Jan, qui travaille depuis 20 ans à Postes Canada, déclare: «Il y a beaucoup de tension, beaucoup d’interrogations à propos du capitalisme. À un moment donné, oui un certain degré de latitude et ainsi de suite, ça va. Mais bon, lorsque vous avez une classe qui devient de plus en plus riche et que le reste de la population devient de plus en plus pauvre, les gens vont finir par en avoir assez là».
Jérôme exprimait des idées similaires: «C’est sûr que si l’employeur nous paye un dollar de l’heure de moins, c’est un dollar de plus dans leur poche, et ça affecte directement la rentabilité. Le moins ils nous offrent, le plus leur marge de profit est élevée. Tu ne veux pas niveler vers le bas: dans une société, quand les travailleurs se tiennent debout pour protéger leurs droits, protéger ce qu’ils ont, je pense que tout le monde gagne.»
Jan mentionne les conséquences désastreuses pour la population de la gestion de Postes Canada en tant qu’entreprise à but lucratif comme Purolator, UPS ou DHL:
Les mêmes problèmes apparaissent partout où les gouvernements envisagent de privatiser la poste ou de réduire leurs services. La seule raison pour laquelle Postes Canada perd de l’argent à l’heure actuelle, c’est parce que c’est un service conçu pour assurer la livraison du courrier et des colis partout au Canada. Que vous soyez dans la plus grande ville ou dans le plus petit village au pays, Postes Canada y assure la livraison.
J’ai parcouru tout le Canada et visité des bureaux de poste partout, et tout le monde peut faire livrer ses colis par Postes Canada. Peuvent-ils se les faire livrer par FedEx? Non. Peuvent-ils se les faire livrer par Purolator, UPS ou DHL? Non. Toutes ces entreprises de livraison dépendent de Postes Canada pour livrer leurs colis dans les petites villes. Elles nous envoient leurs colis pour compléter la livraison parce qu’elles n’offrent pas de service dans ces régions. Elles ne s’intéressent qu’aux profits et se concentrent donc sur les grandes villes comme Toronto, Vancouver et Montréal.
Partout ailleurs, c’est Postes Canada qui fournit le service – même si elle y perd de l’argent. Si vous voulez envoyer une lettre à Whitehorse, au Yukon, cela vous coûte 1,15 $ avec Postes Canada. Avec FedEx, la même lettre vous coûtera plus de 16 dollars.
Jérôme abonde dans le même sens:
Les compagnies comme UPS, elles, vont chercher leur rentabilité en desservant seulement les milieux urbains. Elles ne vont pas dans les régions. Postes Canada, c’est avant tout une compagnie qui offre un service à la population. C’est une compagnie de service.
Dans le passé, comme en 2006-2007, ils ont versé des dividendes au gouvernement de 250 millions par année, soit un demi-milliard en deux ans. [...] Moi je pense que c’est une compagnie qui est là pour offrir un service d’abord.»
Abordant l’une des principales préoccupations des travailleurs, Jan a ajouté:
À chaque fois qu’il y a des négociations et qu’une nouvelle convention est sur la table, c’est toujours la même histoire: la direction essaie de réduire les avantages sociaux. Là, ils réduisent les pensions. À l’heure actuelle, nous avons ce que l’on appelle un programme de retraite à prestations définies, dans le cadre duquel, si vous travaillez un certain nombre d’années, un certain pourcentage de votre salaire vous est garanti.
Par exemple, si vous travaillez à temps plein à Postes Canada pendant 35 ans et que vous cotisez à la pension pendant ces 35 ans, vous pouvez recevoir jusqu’à 70 % de votre salaire sous forme de pension lorsque vous prenez votre retraite.
Ce qu’ils veulent changer, c’est que les nouveaux travailleurs ne puissent bénéficier de pension garantie. Au lieu de cela, ils veulent passer à un régime à cotisations définies, dans lequel l’employeur verse un montant déterminé à votre régime. Mais si le marché boursier baisse et que la valeur du fonds diminue, alors c’est tant pis pour vous. Bref, les gens ne peuvent savoir s’ils auront assez d’argent pour prendre leur retraite ou non.
Nous encourageons tous les postiers en grève à s’impliquer dans le Comité de base des travailleurs des postes. Communiquez avec nous au: canadapostworkersrfc@gmail.com.
(Article paru en anglais le 3 décembre 2024)