Les paroles ambiguës du gouvernement Starmer sur le mandat d'arrêt visant Netanyahou montrent clairement que Londres n’entreprendra rien contre lui

Le gouvernement travailliste de Sir Keir Starmer a réagi aux mandats d'arrêt visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l'ex-ministre de la Défense Yoav Gallant par des déclarations pour la forme qu’il respecterait les décisions de la Cour pénale internationale (CPI). Mais ces déclarations ont été formulées pour indiquer clairement qu’il n’avait pas l’intention de faire quoi que ce soit.

La CPI a émis des mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant pour «crime de guerre consistant à affamer les civils comme méthode de guerre» et pour «crimes contre l’humanité » (meurtres, persécutions et autres actes inhumains). La Cour a également émis un mandat d’arrêt contre le chef militaire du Hamas Mohammed Deif, qui aurait été tué par Israël.

Le gouvernement de Starmer, qui compte dans ses rangs d’anciens avocats, dont le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères David Lammy, a publié des formules de convenance reconnaissant l’autorité de la CPI. Un porte-parole du gouvernement a déclaré le 21 novembre: «Nous respectons l’indépendance de la CPI, qui est la principale institution chargée d’enquêter et de poursuivre les crimes les plus graves au regard du droit international.»

Sir Keir Starmer s'exprimant au Parlement, avec le ministre des Affaires étrangères David Lammy (assis à gauche), le 21 novembre 2024 [Photo by UK Parliament/Flickr / CC BY-NC-ND 2.0]

Interrogé sur la possibilité d'une arrestation de Netanyahou s'il se rendait en Grande-Bretagne, le porte-parole a toutefois répondu: «Nous n'allons pas entrer dans des hypothèses.»

La ministre de l'Intérieur Yvette Cooper a également refusé de dire que Netanyahou serait arrêté en Grande-Bretagne. «Nous avons évidemment toujours respecté l'indépendance de la Cour pénale internationale, mais les questions sur lesquelles elle enquête sont des affaires qui la concernent plutôt que le gouvernement», a-t-elle déclaré. «Nous avons toujours respecté l'importance du droit international, mais dans la majorité des cas qu'elle poursuit, elle ne fait pas partie du processus juridique britannique», a-t-elle commenté sur Sky News.

La déclaration du gouvernement constituait en fait une défense sans réserve du régime israélien, crimes de guerre compris. «Ce gouvernement a clairement indiqué qu'Israël a le droit de se défendre conformément au droit international», réitère-t-elle.

Ce que le gouvernement appelle «légitime défense» s’est traduit jusque là par un massacre de masse, le déplacement de plus de 90 pour cent de la population de Gaza et la destruction systématique des infrastructures. La plupart des maisons, des écoles, des hôpitaux et des universités ont été détruits ou endommagés, et les journalistes qui tentaient de rendre compte de ces attaques ont été assassinés par les Forces de défense israéliennes (FDI).

Cela faisait partie de l’accusation de la CPI, qui a déterminé qu’il y avait des «motifs raisonnables de croire» que Netanyahou et Gallant avaient «intentionnellement et sciemment privé la population civile de Gaza des choses indispensables à sa survie, notamment de nourriture, d’eau, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de carburant et d’électricité ».

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant s'expriment lors d'une conférence de presse à la base militaire de Kirya à Tel Aviv, en Israël, le samedi 28 octobre 2023. [AP Photo/Abir Sultan]

Le bilan officiel des morts palestiniennes s’élève à 44 000 ; celui des blessés à 104 000. La revue médicale britannique The Lancet n’a trouvé «aucune preuve d’une surestimation de la mortalité par le ministère de la Santé de Gaza». Dans son propre article de juillet, The Lancet a d’ailleurs suggéré, selon une estimation «prudente», que le bilan des morts pourrait s’élever à 186 000 ou plus.

Le porte-parole de Downing Street (le siège du Premier ministre britannique) a déclaré que le gouvernement restait «concentré sur la recherche d'un cessez-le-feu immédiat pour mettre fin à la violence dévastatrice à Gaza, ce qui est essentiel pour protéger les civils, assurer la libération des otages et accroître l'aide humanitaire à Gaza».

Sur cette base, le gouvernement a exprimé sa détermination à continuer de soutenir le régime sioniste de Netanyahou. Un porte-parole l’a confirmé: «Le Premier ministre continuera de discuter avec le Premier ministre israélien et avec tous les alliés afin de mener à bien la tâche essentielle consistant à parvenir à un cessez-le-feu au Moyen-Orient […] Il est évidemment important que nous ayons un dialogue avec Israël à tous les niveaux pour trouver une solution diplomatique à cette guerre ».

Toutes ces déclarations ne sont qu’un prétexte pour soutenir Israël sur toute la ligne. Le régime fasciste israélien a répondu à chaque annonce de cessez-le-feu par une nouvelle escalade de l’activité militaire dans toute la région. Et Downing Street a consciencieusement insisté pour dire qu’il n’y avait « pas d’équivalence morale entre Israël, une démocratie, et le Hamas et le Hezbollah libanais, qui sont des organisations terroristes».

D’autres chefs d’État ont réagi de manière moins équivoque. Le gouvernement néerlandais de Dick Schoof a déclaré qu’il arrêterait Netanyahou s’il entrait aux Pays-Bas, tandis que le Premier ministre irlandais Simon Harris a répondu à cette question: «Oui, absolument. Nous soutenons les tribunaux internationaux et nous appliquons leurs mandats.»

Ces déclarations reposent également sur la détermination de la Grande-Bretagne à empêcher que cette situation embarrassante ne survienne. La réponse de Starmer était en partie nécessaire parce que la Grande-Bretagne – contrairement à Israël et aux États-Unis, qui ont tous deux montré agressivement leur mépris pour les mandats d’arrêt – est membre de la CPI.

Cela n’a pas non plus empêché la France, pays fondateur de la CPI, de déclarer mercredi qu’elle ne romprait pas ses relations avec Israël et n’arrêterait pas Netanyahou. Déclarant qu’elle « respecterait ses obligations internationales », le gouvernement français a fait valoir que ses autres obligations en vertu du droit international l’obligeaient à respecter l’immunité de Netanyahou. Celle-ci, a-t-il déclaré, était garantie précisément parce qu’Israël n’avait pas rejoint la CPI et n’avait donc pas renoncé à cette immunité.

Les accusations de la CPI ne condamnent pas seulement Israël. Ceux qui financent, dirigent et autorisent un crime peuvent également être tenus légalement responsables de sa commission. Peu après qu’Israël ait lancé son attaque contre Gaza, Starmer a déclaré à Nick Ferrari, journaliste à la radio LBC: «Israël doit avoir le droit, a le droit, de se défendre.» Ferrari a demandé: «Un siège est-il approprié? Couper le courant? Couper l’eau?» Starmer a répondu : «Je pense qu’Israël a ce droit», tout en affirmant que «tout devrait être fait dans le respect du droit international.»

Depuis, Starmer et son ministre des Affaires étrangères David Lammy persistent et signent, au mépris du droit international des droits humains, en refusant de qualifier le massacre de masse à Gaza comme de génocide (article en anglais).

Des Palestiniens font la queue pour une distribution de nourriture à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza, le 17 octobre 2024. [AP Photo/Abdel Kareem Hana]

La position française sur l’immunité est largement défendue par des universitaires juristes de haut rang du think tank de droite Policy Exchange. La ministre des Affaires étrangères fantôme conservatrice Priti Patel a fait écho à la condamnation du gouvernement de toute suggestion d’«équivalence morale», appelant le Parti travailliste à condamner et contester explicitement» les mandats d’arrêt.

L’attitude du gouvernement Starmer à l’égard du «droit international» et du génocide, ainsi que son refus de se prononcer en faveur d’une arrestation de Netanyahou, trouvent leur expression la plus claire dans la récente nomination du vétéran blairiste Jonathan Powell au poste de conseiller à la sécurité nationale.

En 1998, le dictateur général chilien Augusto Pinochet a été arrêté à Londres en vue de son extradition vers l’Espagne, accusé d’avoir assassiné plus de 3 100 personnes lors du coup d’État militaire de 1973. Il fut fêté et protégé par la bourgeoisie britannique, qui l’a soumis à une «assignation à résidence» dans le luxe de la propriété de Wentworth, dans le Surrey ; et on l’a égayé avec de l’excellent whisky écossais que lui a offert son admiratrice, l’ancienne Première ministre conservatrice Margaret Thatcher.

Pinochet échappa finalement à l'extradition et aux tribunaux grâce à un accord entre le gouvernement travailliste de Tony Blair et le président chilien de l'époque, Eduardo Frei, négocié par Powell (article en anglais). Seul conseiller de haut rang à avoir été en poste auprès du Premier ministre pendant toute la durée des dix années de gouvernement du vieux criminel non inculpé, Powell a également joué un rôle central dans la décision de Blair de soutenir les États-Unis dans l'invasion illégale de l'Irak en 2003.

En tant que bras droit de Tony Blair, il a ensuite participé aux négociations de 2005 pour un contrat d'armement de 40 milliards de livres avec l'Arabie saoudite. Il y a travaillé aux côtés de son frère Lord Charles Powell, ancien conseiller de Thatcher, envoyé de Tony Blair en Syrie en 2001, puis consultant pour le fabricant d'armes BAE Systems.

Des personnalités proches du futur président américain Donald Trump ont menacé de réagir brutalement aux mandats d’arrêt de la CPI. Le think tank Heritage Foundation, créateur du Projet 2025 , a prévenu que cela allait « barder ferme pour tout dirigeant international qui croirait à ces conneries».

Starmer est en parfaite adéquation avec les intérêts de l’impérialisme britannique comme partenaire subalterne fiable de l’impérialisme américain. En tant que procureur public (2008-2013), il s’est rendu à quatre reprises à Washington pour assurer la coordination dans la persécution menée pendant 14 ans à Londres contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Il a joué un rôle clé pour assurer le maintien en détention d’Assange pendant cette période. Sa réponse aux mandats d’arrêts de la CPI montre qu’il reste un homme de confiance pour Washington au moment où Trump se prépare à prendre ses fonctions.

(Article paru en anglais le 29 novembre 2024)

Loading