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Lundi est la dixième journée de grève des quelque 55.000 travailleurs de Postes Canada répartis dans tout le pays, et toute la bureaucratie syndicale fait des pieds et des mains pour isoler et en fin de compte étrangler la grève, afin d’empêcher qu’elle ne devienne le catalyseur d’un défi plus vaste de la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste, la criminalisation des luttes ouvrières et la guerre.
Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) laisse les grévistes isolés sur les lignes de piquetage, tandis que le Congrès du travail du Canada (CTC) reste totalement silencieux sur la grève et les attaques contre les droits démocratiques et sociaux des travailleurs des postes que préparent le gouvernement libéral et la direction de Postes Canada.
Les travailleurs ont commencé leur grève en demandant des augmentations de salaire réelles, l’arrêt de la destruction de leurs emplois et conditions de travail par l’automatisation, la fin des brimades de la part de la direction, et la sécurisation de leur emploi face à un assaut majeur mené par la société d’État contre le statut à temps plein. Les discussions qui se déroulent en coulisses au sein des cercles dirigeants montrent clairement que la direction de Postes Canada aimerait supprimer des dizaines de milliers d’emplois à temps plein pour les remplacer par des postes à temps partiel ou par des travailleurs à statut précaire. Elle a également l’intention de mettre en place l’acheminement dynamique, un processus fondé sur l’IA qui mettrait fin à la propriété des itinéraires pour les travailleurs des postes et entraînerait une augmentation massive de leur charge de travail au fur et à mesure que les itinéraires seraient révisés jour après jour.
Décrivant la dépendance accrue de la société d’État à l’égard des travailleurs temporaires sans droits, dont l’embauche a été facilitée par la convention de 2018 acceptée par le STTP après que le gouvernement Trudeau ait décrété illégale sa campagne de grèves tournantes, un gréviste à Montréal a confié au World Socialist Web Site :
Cela fait neuf ans que je suis ici, et j’ai commencé à un salaire bien plus bas que celui des gens avant moi et qui avaient commencé eux aussi à statut temporaire tout comme moi.
Tout le monde commence comme temporaire. Mais vous savez, après la dernière grève [en 2018], les salaires ont littéralement baissé de sept dollars.
Il faut peut-être quatre ou cinq ans avant d’obtenir sa première augmentation, puis, à chaque année, une petite augmentation suit. Mais le fait est que cela prend sept ans avant de rattraper les autres. En ce qui me concerne, il m’a fallu de quatre à cinq ans avant d’obtenir ma première augmentation et il me faudra encore sept ans avant d’atteindre le maximum de mon salaire.
Postes Canada dit ne pas avoir d’argent, invoquant des pertes de l’ordre de 3 milliards de dollars depuis 2018. Mais c’est là une goutte d’eau dans l’océan en comparaison des sommes colossales dépensées par le gouvernement libéral Trudeau pour enrichir l’élite des entreprises par l’entremise de ses réductions d’impôts et l’octroi de subventions pour les entreprises, ainsi que par rapport aux dizaines de milliards de dollars qui sont investis pour réarmer les Forces armées et mener des guerres dans le monde entier.
Comme a dit une factrice de Montréal au WSWS:
Même s’ils mettent l’accent sur l’ampleur des déficits à Postes Canada, les hauts dirigeants continuent de se donner de gros bonus, plus de 100.000$ annuellement. Je ne fais même pas ça comme salaire.
J’ai deux emplois actuellement et je travaille à Postes Canada à temps plein. Ce n’est pas suffisant. Avec le coût de la vie, le loyer, un enfant… j’ai besoin d’un deuxième emploi. J’ai aussi entendu que les travailleurs à Vancouver vivent une situation semblable : leur travail à Postes Canada est leur deuxième emploi.
Les problèmes auxquels sont confrontés les postiers sont communs aux travailleurs de tous les secteurs économiques. Par ailleurs, à l’instar des grandes luttes menées ces deux dernières années par les travailleurs dans le secteur de l’éducation, les travailleurs portuaires et les cheminots, le gouvernement s’immisce dans les négociations qui trainent pendant des mois et la menace d’une interdiction de grève imposée par décret gouvernemental plane.
Le CTC n’a publié aucune déclaration depuis le début de la grève. La principale fédération syndicale du Canada, qui se vante souvent de représenter plus de 3 millions de travailleurs dans plus de 50 syndicats, n’a rien à dire aux postiers en grève qui se battent non seulement pour leurs propres emplois et conditions de travail, mais aussi pour défendre l’idée même de services publics bien financés. Ce silence s’explique par le fait que le CTC et les bureaucraties syndicales qui le composent sont les partenaires de l’élite dirigeante, qui met en œuvre son programme de guerre de classe, de guerre impérialiste à l’étranger et d’attaques sauvages contre les droits démocratiques et sociaux de la classe ouvrière à l’intérieur de ses frontières.
Le CTC reste l’un des principaux soutiens du gouvernement libéral depuis les neuf dernières années et se vante souvent du rôle qu’il a joué dans la négociation de l’alliance gouvernementale qui a permis au NPD, parrainé par les syndicats, de soutenir le gouvernement libéral minoritaire pendant deux ans et demi, jusqu’à la fin du mois de septembre. La présidente du CTC, Bea Bruske, continue de présenter le Premier ministre Justin Trudeau et son cabinet comme un gouvernement «favorable aux travailleurs» alors qu’ils dépensent des milliards de dollars pour mener la guerre en Ukraine contre la Russie, soutiennent le génocide des Palestiniens mené par Israël et imposent une austérité généralisée dans les dépenses publiques. Son prédécesseur, Hassan Youssuff, était en si bons termes avec Trudeau que le Premier ministre l’a nommé au Sénat, la chambre haute du Parlement canadien, après son départ à la retraite du CTC.
La dernière déclaration du CTC ayant trait à la lutte des travailleurs des postes remonte au 12 novembre, lorsqu’il a réussi à se ressaisir pour émettre une critique pour la forme suite à la décision du ministre libéral du Travail Steven MacKinnon de mettre fin aux lock-out dans les ports de Montréal, Vancouver et Québec en imposant l’arbitrage obligatoire. Le CTC a qualifié la mesure draconienne de MacKinnon de «mesure troublante», comme si cette décision n’était pas dans ses habitudes, déclarant: «L’imposition de l’arbitrage obligatoire ou d’une loi de retour au travail sape les droits des travailleurs à la négociation collective, ce qui affaiblit leur capacité à lutter pour des salaires équitables et des lieux de travail sûrs. L’ingérence politique fait pencher la balance du côté des employeurs et crée un dangereux précédent. Les syndicats canadiens estiment que les solutions durables sont le fruit de négociations équitables, et non d’accords imposés par le gouvernement. Le gouvernement doit laisser la négociation collective suivre son cours pour protéger les droits de tous les travailleurs.»
Le cynisme contenu dans ces quelques lignes est à couper le souffle. Le retour au travail forcé des travailleurs portuaires est loin de créer un nouveau «précédent». Il marque plutôt l’intensification de l'assaut incessant du gouvernement libéral contre les droits des travailleurs – ce même gouvernement libéral que le CTC et les divers syndicats le constituant défendent depuis 2015. À preuve de cela, mentionnons la mise hors la loi de la grève des 50.000 travailleurs des postes en 2018, de la grève des quel que 1.150 travailleurs au port de Montréal en 2021, de la grève des 7.000 débardeurs et plus de la Côte ouest en 2023, et enfin de la grève des 9.300 cheminots du CN et de CPKC cette année. Dans ces deux derniers cas de brisage de grève par le gouvernement, le ministre du Travail a utilisé le même article antidémocratique du Code canadien du travail, à savoir l’Article 107, qui vient d’être utilisé contre les travailleurs portuaires ce mois-ci.
Qui plus est, l’idée de laisser la «négociation collective suivre son cours» n’a fait qu’apporter toute une succession de reculs dans l'ensemble de l'économie au cours des 40 dernières années. Le processus de la «négociation collective» place de nombreux obstacles sur le chemin des travailleurs qui veulent vraiment se batte contre les demandes incessantes de concessions et d'accélération des cadences provenant des patrons et de l'establishment politique.
La lutte actuelle des travailleurs des postes illustre bien ce fait. Le STTP a participé à plus de 100 séances de négociation échelonnées sur une année entière avant qu'une grève puisse être déclenchée, laissant du coup les travailleurs travailler pendant de nombreux mois dans le cadre d’une convention expirée.
Entretemps, la direction de Postes Canada et ses conseillers d’entreprise affichent ouvertement leur intention de porter atteinte aux droits des travailleurs en préparant l’«amazonisation» du service postal. Depuis le mois d’août, ils agissent avec le soutien d’un médiateur nommé par le gouvernement fédéral, et MacKinnon en personne a participé à des réunions. Maintenant, alors que la grève est enfin lancée, c’est la tendre miséricorde du processus de «négociation collective» qui empêche les travailleurs d’autres secteurs d’activités industrielles de lancer des grèves de solidarité, même si les questions de la défense du droit de grève des travailleurs contre l’intervention du gouvernement, de la protection des services publics et de l’assurance d’emplois sûrs et bien rémunérés sont des préoccupations immédiates pour tous les travailleurs.
Dès le premier jour de la grève, le syndicat des Teamsters, qui représente les livreurs de la filiale de Postes Canada Purolator, a publié un communiqué affirmant que les travailleurs de Purolator ne traiteraient pas les colis de Postes Canada pendant la grève. Mais ce geste n’empêchera en rien les grands clients commerciaux d’utiliser Purolator, tout comme les autres services de livraison privés comme solution de rechange au fur et à mesure que la grève se poursuivra, minant du coup la position financière de Postes Canada et fournissant à la Société une justification supplémentaire – du point de vue du profit capitaliste – pour imposer les énormes concessions qu’elle tente d’extorquer aux travailleurs des postes.
Depuis la publication de cette déclaration symbolique, tant la présidente du STTP, Jan Simpson, que la direction du syndicat des Teamsters n’ont dit quoi que ce soit sur la façon dont les livreurs peuvent soutenir la grève et contribuer à sa victoire, et encore moins sur la stratégie à adopter pour défier les mesures de brisage de grève du gouvernement.
Conscients qu’ils doivent prendre les choses en main en retirant à la bureaucratie du STTP le contrôle de leur lutte contractuelle, des travailleurs des postes en grève se sont rassemblés pour créer et bâtir le Comité de la base des travailleurs des postes (CBTP). Le CBTP appelle les travailleurs des postes à étendre leur lutte à d’autres sections de travailleurs afin de construire un mouvement industriel et politique dirigé par les travailleurs contre l’austérité et les concessions imposées par le gouvernement, et contre la guerre impérialiste qui draine les ressources de la société devant aller aux services publics.
Tel que déclaré par le CBTP dans une résolution adoptée lors de sa réunion publique du 10 novembre, qui anticipait le déroulement de la grève :
Nous appelons les travailleurs des postes et tous les travailleurs des secteurs de la livraison et de la logistique à se joindre au Comité de base des travailleurs des postes et à lutter pour son expansion. Nous luttons pour:
1. Obtenir les revendications des travailleurs des postes, y compris une augmentation de salaire de 30% pour compenser les années de concessions et pour que les travailleurs aient le contrôle sur le déploiement des nouvelles technologies.
2. Élargir notre lutte à d’autres sections de travailleurs à travers le Canada afin de défier une loi de retour au travail ou toute autre interdiction de grève antidémocratique imposée par l’État.
3. Lancer une lutte politique qui rejette le fait que Postes Canada soit gérée comme une entreprise à but lucratif, et faire de notre lutte le fer de lance d’une contre-offensive menée par les travailleurs pour défendre les services publics entièrement financés et les droits des travailleurs, et contre l’austérité et la guerre.
(Article paru en anglais le 24 novembre 2024)