Wolfgang Weber, dirigeant de longue date de la section allemande du Comité international de la Quatrième Internationale, est décédé aux petites heures du matin le16 novembre, à l'âge de 75 ans, après cinq années d'une grave maladie.
Wolfgang avait consacré plus de 50 ans de sa vie à la construction du parti trotskyste et lutté sans relâche, politiquement et théoriquement, pour l’indépendance de la classe ouvrière.
Une appréciation politique de la vie de Wolfgang conduit à une évaluation des questions et des tâches historiques fondamentales auxquelles toute sa génération était confrontée. C’était avant tout la lutte pour la continuité du marxisme révolutionnaire. Celui-ci avait été attaqué par le stalinisme, le fascisme et le pablisme à un tel point qu'il ne tenait, historiquement, qu'à un fil. Il ne fut défendu et développé, dans les années où Wolfgang devint politiquement conscient, que par le Comité international de la Quatrième Internationale dont la section dirigeante était à l'époque la Socialist Labour League britannique, dirigée par Gerry Healy.
La vie de Wolfgang est inextricablement liée à la construction du CIQI et de sa section allemande, qui avait été détruite par le pablisme. Enfant de l'après-guerre, il avait tiré la conclusion de l’expérience du régime nazi que la classe ouvrière devait être libérée de l'influence paralysante des bureaucraties staliniennes et sociales-démocrates afin d'éviter une nouvelle catastrophe. Il a consacré sa vie – et ses immenses capacités intellectuelles – à cette tâche.
Une jeunesse dans l'Allemagne d'après-guerre
Wolfgang est né le 6 juin 1949 à Schliersee, au sud de Munich. Ses parents, ses grands-parents et ses deux frères aînés vivaient ensemble dans une petite maison de vacances après avoir fui Munich suite aux bombardements. Deux ans après sa naissance, la famille déménagea à Munich, puis quatre ans plus tard à Würzburg, où Wolfgang fit toute sa scolarité. La famille, qui compte bientôt six membres, ne vivait que chichement avec le salaire de son père, simple employé d'assurances et plus tard directeur de succursale.
Ses années d'école furent marquées par l’insupportable puanteur de l'après-guerre. D'anciens professeurs nazis qui voulaient préparer les élèves à une nouvelle guerre de revanche, une église dans laquelle rien n'avait changé depuis la fin de la guerre et un anticommunisme omniprésent dans les couches petites-bourgeoises marquèrent son enfance et sa jeunesse. Wolfgang recherchait le contraste dans la littérature classique, lisant notamment Friedrich Schiller et Theodor Storm et prenant plaisir à écouter des programmes consacrés à ces auteurs à la radio de l'Allemagne de l'Est (RDA), où il avait également des liens familiaux.
Il était attiré par l’humanisme classique et, à mesure que les conflits sociaux s’intensifiaient et que Mai 1968 approchait, Schiller et Storm furent de plus en plus complétés par Bertolt Brecht et Franz Kafka. Wolfgang se détourna de l’Église et devint un athée conscient. Comme tant de gens de sa génération, il était de plus en plus préoccupé par la question de savoir comment, au pays des poètes et des penseurs, la catastrophe du fascisme fut possible, pour ensuite être passés sous silence par les élites au pouvoir.
Le documentaire français Nuit et brouillard, qui réunissait des images originales de plusieurs camps de concentration, fit une forte impression sur Wolfgang. L’une de ses premières expériences politiques fut de suivre à la radio, à l’âge de 12 ans, le procès d’Eichmann en Israël, puis celui d’Auschwitz en Allemagne. Mais, à l’école et dans les bibliothèques politiquement épurées, il ne trouva aucune réponse à ses questions. Les innombrables modèles explicatifs misanthropiques ou socio-psychologiques qui prévalaient lui semblaient totalement inadéquats.
Wolfgang a terminé ses études secondaires avec le titre de meilleur bachelier de Bavière. Il a ainsi reçu la bourse très appréciée du Maximilianeum et plus tard également une ‘bourse du talent’ de la Studienstiftung des deuschen Volkes. Il a étudié le droit à Munich, où il a de nouveau été confronté à de nombreux anciens nazis en tant que professeurs. Après les examens de mi-études, il s'est orienté vers les sciences économiques.
Développement en tant que trotskyste
Là, il commença à lire Marx et suivit de près les luttes croissantes de la classe ouvrière dans toute l'Europe. Mais Wolfgang ne trouva de réponse satisfaisante à la question de comment le national-socialisme avait été possible qu'en rencontrant la Socialist Labour League (SLL), la section britannique du CIQI, lors de se son séjour d’études en Grande-Bretagne, en octobre 1971.
L’un des premiers ouvrages qu’il acheta à un stand de littérature politique de la SLL furent les écrits de Léon Trotsky sur l’Allemagne, également publiés pour la première fois en allemand la même année. Trotsky expliquait le fascisme comme la réaction de la classe dirigeante à l’intensification extrême de la lutte des classes. Le fascisme est la mobilisation de la petite bourgeoisie ruinée pour écraser complètement les organisations de la classe ouvrière. Dans cette optique, la question de la direction de la classe ouvrière dans cette lutte à mort, pour laquelle Trotsky s’était battu avec véhémence, occupait une place centrale.
«Hitler n’est pas arrivé au pouvoir parce que la majorité du peuple allemand était animée d’un désir irrépressible de tuer les Juifs. Il devait son ascension à la politique stupide et perfide du SPD et du KPD, qui avaient paralysé politiquement le mouvement ouvrier et de plus en plus sapé sa résistance idéologique au poison du racisme et de l’antisémitisme», a déclaré Wolfgang lui-même, 28 ans après sa première lecture des écrits de Trotsky sur l’Allemagne, dans la préface d’une nouvelle édition .
Au cours de la période suivante, Wolfgang consacra une grande partie de ses grandes capacités intellectuelles à la trahison de la Révolution d'octobre par le stalinisme et à ses innombrables autres crimes. Pendant son séjour en Grande-Bretagne, Wolfgang fit également l'expérience de l'énorme force de la classe ouvrière, qui menait des grèves de masse contre le gouvernement conservateur de Heath et paralysa temporairement le pays. Il comprit que cette force ne pourrait atteindre son but que si la question du stalinisme était clarifiée.
En novembre 1971, lors d’une réunion de l’All Trades Union Alliance [l’organisation syndicale de la SLL], Wolfgang entendit pour la première fois Gerry Healy prendre la parole. Healy avait dirigé la SLL et défendu les principes trotskystes contre le révisionnisme pabliste au cours des vingt années précédentes. Wolfgang fut profondément impressionné par la manière dont Healy s’adressait aux ouvriers et inscrivait la construction du parti révolutionnaire dans la continuité historique du bolchevisme et du mouvement trotskyste. Par la suite, il dévora les textes de la SLL sur la réunification du Socialist Workers Party américain avec les pablistes, sur la trahison du LSSP à Ceylan et sur la révolution hongroise.
Pour Wolfgang, la décision de clarifier les questions politiques était une décision de prendre parti pour la classe ouvrière. «J’avais beaucoup d’amis étudiants très intelligents, mais en fin de compte, tout dépend de ce que l’on fait de ces connaissances. Il faut prendre une décision de classe», a-t-il déclaré un jour. Sur cette base, il a déclaré la guerre aux différentes théories petites-bourgeoises qui, comme l’École de Francfort, rejetaient la classe ouvrière comme force révolutionnaire ou, comme le postmodernisme, niaient le développement historique en général.
Wolfgang avait un immense respect et une grande estime pour l'histoire de la classe ouvrière et se considérait en ce sens comme un élève de la classe ouvrière. Il savait écouter comme peu d'autres, était toujours curieux et ouvert aux expériences et aux pensées des ouvriers ; il prenait grand soin d'analyser en profondeur les conceptions des ouvriers pour ensuite les affronter et les changer. Il reconnaissait dans la classe ouvrière, dans tous les problèmes de son développement historique, la force sociale qui réaliserait les idéaux des Lumières, du socialisme et de l'humanisme, qui avaient tant façonné sa jeunesse, dans la lutte pour la révolution mondiale. Cette attitude définissait également ses relations personnelles avec ses camarades.
Ligue des travailleurs socialistes (Bund sozialistischer Arbeiter, BSA)
En 1973, Wolfgang rentre en Allemagne plein d’enthousiasme, d’énergie et de dynamisme politique. Il adhère immédiatement à la Ligue des travailleurs socialistes (BSA), fondée deux ans plus tôt, à l’automne 1971, comme nouvelle section allemande du CIQI.
Comme d’autres pays européens, l’Allemagne était alors le théâtre de luttes de classes acharnées. Depuis les années 1960, la crise économique du capitalisme mondial s’était aggravée. L’Europe et le Japon étaient devenus les rivaux économiques des États-Unis. Le dollar était soumis à une pression croissante. En 1966, une récession secoua l’économie mondiale. En 1971, le gouvernement américain abandonna la convertibilité du dollar en or, supprimant ainsi les fondements du système monétaire de Bretton Woods, qui avait constitué la base du boom économique d’après-guerre. En 1973, l’économie mondiale plongea à nouveau dans une profonde récession. La classe ouvrière répondit par une offensive internationale aux proportions révolutionnaires.
Wolfgang reprit ses études d'économie à l'université de Munich et vécut à la résidence du Maximilianeum. Mais son activité principale fut désormais la création de groupes locaux du BSA à Munich et plus tard également à Nuremberg.
Lorsque la direction du BSA lui demanda en 1977 s'il était prêt à travailler à plein temps pour le parti, Wolfgang interrompit sans hésiter ses études et consacra toute son énergie à la construction du parti. Il fut élu au comité national et dirigea pendant de nombreuses années la rédaction de Neue Arbeiterpresse (Nouvelle presse ouvrière), l'organe central du BSA à l'époque.
A la même époque, il se lia d'amitié avec Annie, qui devint la compagne de sa vie et s’engagea elle-même passionnément dans la lutte politique. Lorsque deux enfants naîtront plus tard, ils s'efforceront tous deux de leur assurer une éducation optimale malgré un travail intense au sein du parti.
Dans les années 1970, la question du SPD occupe une place centrale dans les discussions avec les ouvriers et les jeunes. Après la grève générale de mai-juin 1968 en France et les grèves de septembre (1969) des sidérurgistes en Allemagne, qui luttent pour des revendications salariales conséquentes en opposition à la bureaucratie syndicale, Willy Brandt, qui se décrit comme un «socialiste démocrate», se voit confier le gouvernement.
Brandt avait été membre dirigeant du Parti socialiste ouvrier (SAP), un parti centriste dans les années 1930, et avait joué un rôle clé depuis son exil norvégien dans le fait d’isoler les trotskystes dans l'organisation de jeunesse du SAP et d’empêcher le SAP de rejoindre la Quatrième Internationale.
Beaucoup de travailleurs avaient des illusions sur Brandt. Wolfgang participa activement aux discussions sur la meilleure façon de lutter, dans ces conditions, pour un programme socialiste dans la classe ouvrière. La revendication du BSA à l'époque, «Jetez le FDP [le Parti libéral bourgeois démocrate] hors du gouvernement et luttez pour un gouvernement du SPD seul et s’engageant à faire politique socialiste!», était basée sur la tactique de Trotsky dans le Programme de transition et était toujours associée au fait de démasquer le véritable caractère du SPD.
Wolfgang a écrit plusieurs articles qui se concentraient sur la compréhension historique du rôle du SPD. Dans la série d'articles «La lutte dans la Ruhr 1928 – Son histoire et ses leçons», parue dans la Neue Arbeiterpresse et plus tard également dans Marxistische Rundschau ( Revue marxiste), l'organe théorique du BSA, il écrit :
Le rôle joué par la direction du SPD lors du lock-out de 1928 a trouvé sa suite logique dans les années suivantes, du soutien au régime de Brüning et à ses décrets d'urgence jusqu'à l'appel des dirigeants syndicaux à marcher avec les fascistes sous la croix gammée pour exprimer l'attitude positive des syndicats envers l'État nazi.
À seulement une demi-heure de route de Munich se trouve Dachau, avec son mémorial du premier camp de concentration, construit avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir et qui servit de modèle à tous les camps suivants. Le BSA et son organisation de jeunesse, la Ligue de la jeunesse socialiste (Sozialistischer Jugendbund, SJB), visitaient régulièrement le mémorial avec des groupes de jeunes et de travailleurs. À cette époque, on pouvait encore parler aux survivants et Wolfgang utilisait ses connaissances pour démontrer qu'on ne pouvait pas comprendre le fascisme sans comprendre le stalinisme.
Mais le travail du jeune parti devint de plus en plus difficile dû à la dégénérescence croissante du Workers Revolutionary Party, comme s'appelait désormais la section britannique. Le WRP, qui s'adaptait de plus en plus à l'aile gauche de la bureaucratie travailliste et syndicale ainsi qu'aux régimes nationalistes du Moyen-Orient, fit pression sur la section allemande pour qu'elle fasse de même. Il sabota systématiquement le travail politique et théorique du BSA et poussa les camarades à des campagnes opportunistes de grande envergure. La Marxistische Rundschau fut abandonnée après seulement quatre numéros sous la pression du WRP.
La rupture d’avec le WRP
Lorsque Wolfgang prit connaissance de la critique marxiste de la ligne du WRP présentée par David North et la Workers League aux États-Unis en 1985, il réagit avec enthousiasme. Des années plus tard, il écrivit dans une lettre, en faisant référence à Peter Schwarz, un autre dirigeant du BSA: «Lorsque Peter m’a remis les documents de la lutte de David North contre l’opportunisme national de la direction du WRP à la fin de septembre 1985 et m’a communiqué l’expulsion de Healy, cela a été pour moi une formidable motivation pour participer à la lutte contre les renégats.»
Et c’est exactement ce qu’il fit. Il écrivit une série d’articles sous le titre «Léon Trotsky et la Révolution d’Octobre». Il profita d’un discours prononcé par Healy à Londres en août 1987 pour expliquer la grande importance de Trotsky dans la préparation, la direction et la défense de la Révolution d’octobre de 1917. Healy avait fait l’éloge de Gorbatchev dans son discours, répétant certains des vils mensonges staliniens contre Trotsky. Wolfgang ne se contenta pas de réfuter les mensonges de Healy et d’expliquer le rôle réactionnaire de la perestroïka, il élabora surtout l’importance des leçons politiques de la révolution d’Octobre pour aujourd’hui.
A la même époque, dans une autre série d'articles, Wolfgang développait la lutte contre le pablisme et sa branche allemande, le GIM (Groupe marxistes internationaux). Le GIM s'était allié au KPD maoïste pour former le «Parti socialiste unifié» (VSP). Soulignant l'importance de la lutte contre le pablisme dans la construction du parti dans la classe ouvrière, Wolfgang s'appuyait sur les leçons de la scission d’avec le WRP et sur la résolution du CIQI de 1988 sur les perspectives internationales, La crise capitaliste mondiale et les tâches de la Quatrième Internationale.
Il écrivait :
La leçon décisive pour les luttes de classe à venir, que l’on peut tirer des expériences stratégiques du prolétariat durant l’après-guerre, en particulier durant les années 1968-1975, est celle-ci: l’unification du prolétariat international à travers la construction du CIQI comme Parti mondial de la révolution socialiste, qui seul peut assurer sa victoire, exige une lutte sans compromis et intransigeante contre l’opportunisme et toutes les formes de nationalisme.
La scission d’avec le WRP et la réévaluation consciente de l’histoire de la Quatrième Internationale – résumées dans The Heritage We Defend (L’Héritage que nous défendons) de David North – ont jeté les bases d’un énorme développement politique du parti et ont constitué la préparation décisive pour l’effondrement ultérieur des régimes staliniens.
Dans son ouvrage Solidarité en Pologne 1980-1981 et la perspective de la révolution politique (disponible en anglais et allemand) Wolfgang a non seulement examiné le développement de l'explosion de la lutte des classes en Pologne, mais a également mis en lumière la trahison de la direction politique et le rôle des pablistes et des renégats du WRP pour la dissimuler. Le livre est une polémique pour la révolution politique contre le stalinisme et pour la révolution socialiste mondiale :
En relation avec la crise du régime stalinien, une grande variété de courants d'opposition peuvent surgir des couches petites-bourgeoises et aussi de cercles de la classe ouvrière, caractérisés par leur courage et leurs revendications radicales contre le régime au pouvoir. Tant qu'ils n'adopteront pas les perspectives et les principes du trotskysme pour la stratégie de la révolution mondiale et la révolution politique en tant que partie de celle-ci, ils capituleront inévitablement comme Kuron et Modzelewski sous la pression combinée de la bureaucratie stalinienne et de l'impérialisme et constitueront, comme ils l'ont finalement fait avec leurs perspectives limitées, un obstacle à la lutte de la classe ouvrière.
La fin de la RDA
En 1989, Wolfgang réagit avec enthousiasme aux manifestations de masse qui eurent lieu en Europe de l’Est et en RDA. Son article «Les origines de la fuite massive hors de la RDA – signe avant-coureur de soulèvements ouvriers» paru en août 1989 marqua le début d’une intervention intensive en RDA. Un peu plus tard, le BSA écrivait sa déclaration «À bas la bureaucratie du SED! Construisons des conseils ouvriers!»
À mesure que le soulèvement s’intensifiait en automne 1989, Wolfgang participa activement aux interventions dans la classe ouvrière de la RDA. Fin octobre, le BSA installa un centre d'opérations politiques dans l'appartement d'un camarade à Berlin-Ouest. Le mur de Berlin était toujours intact et tous ceux qui franchissaient la frontière étaient étroitement surveillés. Le BSA parvint néanmoins à faire passer clandestinement une douzaine de camarades et des milliers d'exemplaires d'un appel à la révolution politique de l'autre côté de la frontière et à les distribuer à la manifestation de masse du 4 novembre à Berlin, à laquelle participèrent plus d'un million de personnes.
Wolfgang était enthousiasmé. Pour la première fois, il était possible d'entrer en contact avec la classe ouvrière est-allemande et de faire connaître et de discuter la perspective de révolution politique de Trotsky contre la bureaucratie stalinienne. Lorsqu’Oskar Hippe essaya de créer une organisation trotskyste dans la zone d'occupation soviétique (SBZ), qui deviendra plus tard la RDA, après la Seconde Guerre mondiale, il fut immédiatement arrêté et resta enfermé dans la prison de la Stasi de Bautzen pendant huit ans.
Wolfgang a rencontré personnellement Oskar Hippe et sa femme Gertrud au printemps 1989. Il a rendu visite aux vétérans trotskystes avec Bill et Jean Brust, qui tous deux avaient joué un rôle clé dans la lutte pour le trotskysme aux États-Unis pendant des décennies, et avec d'autres membres du BSA.
Oskar Hippe avait beaucoup à dire. Il avait rencontré Trotsky et discuté avec lui à plusieurs reprises. Il soutint la lutte du BSA en RDA mais mit en garde contre une trop grande euphorie. Il souligna que les dommages causés par le stalinisme à la conscience de la classe ouvrière ne pourraient pas être surmontés du jour au lendemain.
Wolfgang a écrit de nombreux articles, reportages et rapports dans le cadre de la lutte contre le démantèlement de l'industrie dans l'ex-RDA et la réintroduction de l'exploitation capitaliste. Trois ans plus tard, il a apporté une contribution importante à la compréhension de l'histoire de la RDA avec son livre RDA – 40 ans de stalinisme (en allemand). Son avant-propos commençait ainsi:
Trois ans après la fin de la RDA, la jubilation suscitée par la «victoire de l’Ouest» et le « triomphe du capitalisme» a cédé la place à un sentiment de sourde désillusion. A l’est de l’Allemagne, un désert industriel a remplacé les promesses de «paysages florissants». La moitié des salariés de l’ex-RDA ont perdu leur emploi.[…] Il est temps qu’après les émotions changeantes, après l’euphorie aveugle, le choc et l’engourdissement provoqués par la précipitation des événements depuis 1989, la raison et la réflexion sérieuse prennent le dessus.
Il a ensuite analysé en neuf chapitres les origines et l'histoire de la RDA. Il y réfute le grand mensonge que stalinisme et socialisme seraient une et même chose ; mensonge qui exploite les crimes du stalinisme pour attiser les sentiments anticommunistes. Il concluait par ces mots:
Le bilan de l’histoire de la RDA représente un jugement historique dévastateur qui doit être gravé de manière indélébile dans la conscience de la classe ouvrière internationale: le stalinisme ne mène pas au socialisme, mais au capitalisme! Le stalinisme n’est pas une « tentative ratée», ni un «faux modèle» de socialisme, mais son fossoyeur.
Dans les années ultérieures, Wolfgang est toujours revenu sur cette question. Il était fermement convaincu qu’une compréhension claire du stalinisme, en particulier en Allemagne, où les régimes stalinien et capitaliste avaient coexisté, était essentielle pour que la classe ouvrière puisse renouer avec ses grandes traditions socialistes.
La défense de la vérité historique
Lorsque, après la fin de la RDA et de l’Union soviétique, il devenait de plus en plus évident que la faillite du stalinisme avait inauguré une nouvelle ère de guerres impérialistes et de farouches conflits de classes, comme le prévoyait le CIQI, commença une nouvelle vague d’attaques contre le trotskysme. En Grande-Bretagne, pas moins de trois biographies de Trotsky – écrites par Ian Thatcher, Geoffrey Swain et Robert Service – fondées sur des mensonges et des falsifications visant à calomnier le trotskysme, parurent en cinq ans. David North les réfuta minutieusement dans son livre In Defense of Leon Trotsky.
Wolfgang a joué un rôle important dans la lutte du CIQI pour la défense de la vérité historique. Alors que la biographie calomnieuse de Trotsky par Robert Service devait être publiée en allemand, il prit l’initiative. Il contacta le professeur Hermann Weber, historien déjà très âgé à l'époque. Son interview avec le professeur Weber, «Robert Service a écrit une diatribe, pas une polémique scientifique!», impressionne encore aujourd'hui.
Wolfgang a persuadé 12 historiens renommés de prendre position contre la diatribe de Service, et la maison d’édition Suhrkamp Verlag a été contrainte de procéder à des corrections importantes et de reporter la publication de plus d'un an.
Lorsque l'historien d'extrême droite Jörg Baberowski a invité Service à l'université Humboldt pour sauver sa réputation, Wolfgang a participé à la réfutation de ses falsifications historiques et de ses stéréotypes antisémites. Lors d'un événement auquel ont participé une centaine d'étudiants, il s'est prononcé contre le pamphlet de Service.
Lorsque Baberowski employa la force pour exclure la présence du public critique de la réunion avec Service, Wolfgang a adressé une lettre ouverte au président de l’université de l’époque, Jan-Hendrik Olbertz. Il a démontré que la défense de Service par Baberowski était liée à la falsification de l’histoire par ce dernier. Au moment même de la réunion avec Service, Der Spiegel avait cité Baberowski disant: «Hitler n’était pas un psychopathe, il n’était pas cruel. Il ne voulait pas qu’on parle de l’extermination des Juifs à sa table.»
Une politique spécifique nécessite des moyens spécifiques…
L’attaque par Baberowski des droits démocratiques fondamentaux et de la liberté universitaire servent les intérêts de ceux qui voudraient transformer l'Université Humboldt en centre de propagande militariste et d'extrême droite. Il est bien connu que Baberowski entretient des liens étroits avec la Hoover Institution de l'Université de Stanford, qui est un centre d’enseignement de la politique d'extrême droite aux États-Unis.
Même lorsqu'il a appris il y a cinq ans qu'il était atteint d'un cancer en phase terminale et que les médecins ne lui accordaient que peu d'espoir, Wolfgang a continué son travail politique. La lutte contre la maladie était dure, mais Wolfgang ne s’y est pas dérobé. Il aimait se battre parce qu'il comprenait que la lutte était le moteur de la vie et du progrès social.
Ces dernières années, il s'est particulièrement concentré sur la formation des jeunes camarades aux questions historiques et a lutté sans relâche pour l'héritage historique du trotskysme. Il s'est toujours considéré comme faisant partie d'une équipe collective et internationale qui se développe dans l'élaboration et la mise en œuvre de l'héritage historique du mouvement trotskyste.
En novembre 2023, lors d’un événement du Parti de l’égalité socialiste contre le massacre de Gaza, il a répondu aux questions des jeunes Palestiniens qui voulaient savoir pourquoi il était nécessaire de créer un parti. La réponse de Wolfgang résume assez bien sa vie politique :
En Russie, la classe ouvrière a conquis le pouvoir. Mais pas en Allemagne. Pourquoi? Parce qu’il lui manquait un parti comme celui qui a été construit en Russie, qui a éclairé les travailleurs pendant des années, qui a construit des années un cadre qui soit préparé lorsque la crise objective éclate, crise qui recommence à nouveau aujourd’hui. La classe ouvrière doit savoir qu’elle ne doit pas tomber dans le piège des ruses et des manœuvres et qu’elle ne doit soutenir aucune partie ou aile de la bourgeoisie qui prend des poses progressistes, comme l’ont fait les Verts pendant un certain temps, mais qu’elle doit construire un parti indépendant qui lutte pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.
Wolfgang a défendu la Quatrième Internationale et sa perspective marxiste de révolution socialiste mondiale à une époque où la social-démocratie dominait le mouvement ouvrier et où les théories antimarxistes prévalaient dans les milieux de «gauche». Il l’a défendue après l’effondrement de la RDA et de l’Union soviétique, lorsque «l’échec du socialisme» était proclamé partout.
Dans les dernières années de sa vie, il a pu constater l'importance et la portée de son travail. Le capitalisme traverse dans le monde entier une crise terminale qui n'engendre que guerres, inégalités sociales, déclin culturel et fascisme. Et la classe ouvrière internationale est plus nombreuse et plus étroitement connectée que jamais. Une énorme tempête se prépare où elle trouvera dans le trotskysme l'arme décisive pour la victoire de la révolution socialiste mondiale.
Wolfgang nous manquera et sa disparition est une lourde perte pour le Comité international de la Quatrième Internationale en Allemagne et dans le monde entier. Mais sa lutte inlassable pour l’indépendance de la classe ouvrière et pour la révolution socialiste mondiale perdure dans le parti qu’il a contribué à construire. La confiance qu’il a gardée jusqu’à son dernier souffle est pour nous source d’inspiration.
(Article paru en anglais le 22 novembre 2024)