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Alors que les 55.000 travailleurs de Postes Canada approchent de la fin de leur première semaine de grève, il est de plus en plus clair que leur lutte pour des augmentations de leur salaire réel, des protections d'emploi et des conditions de travail sûres les place dans une confrontation politique avec l'ensemble de la classe dirigeante. Les discussions de longue date au sein de l'élite économique sur la nécessité de supprimer des milliers d'emplois à temps plein, de mettre fin à la distribution quotidienne et de vendre les bureaux de poste soulignent que les postiers en grève ne se battent pas simplement pour une nouvelle convention collective. Ils sont plutôt engagés dans une lutte politique qui doit devenir le fer de lance d'une contre-offensive de la classe ouvrière contre l'austérité capitaliste et le «principe» du profit s'ils veulent l'emporter.
Les reportages des médias sur les négociations entre Postes Canada et le STTP ont été en grande partie prévisibles. Un nouveau médiateur fédéral a pris la direction des pourparlers lundi, ce qui a incité le STTP à déclarer, dans une mise à jour sur les négociations, que l'employeur avait manifestement « bougé » sur les « questions urgentes ». Quoi qu'il en soit de ces déclarations vagues, le fait est qu'il ne s'agit pas d'une véritable négociation, où le STTP défend les intérêts des travailleurs en s'opposant à l'employeur. Au contraire, tous conspirent pour déterminer la meilleure façon d'imposer un accord qui facilitera une restructuration sans précédent des activités de Postes Canada aux dépens de tous les travailleurs. Comme l'a candidement admis Jan Simpson, présidente du STTP, « nous reconnaissons les défis auxquels notre employeur est confronté, et notre objectif n'est pas simplement de formuler des demandes, mais de travailler ensemble à la recherche de solutions ».
Un article d'opinion paru en mai 2024 dans le Globe and Mail, le porte-parole de l'oligarchie financière de Bay Street, rédigé par Ian Lee, donne une idée du type de discussions qui se déroulent en coulisses. Lee a été directeur financier de la société d'État dans les années 1980 et coauteur d'un rapport publié en 2015 par l'Institut Macdonald-Laurier, qui préconise un assaut massif contre les travailleurs postaux. Déclarant que Postes Canada se trouve dans une «lutte existentielle», Lee a exigé que le gouvernement fédéral «légifère pour imposer des réformes structurelles urgentes». Ces changements comprennent la fin de la «décision insoutenable de poursuivre la livraison à domicile» du courrier et des colis, la vente de son infrastructure de 3000 bureaux de poste à des promoteurs immobiliers et l'adoption d'un modèle de «franchise» avec des entreprises privées, ainsi que l'imposition de ce qu'on appelle «l'acheminement dynamique des tournées [...] dans toutes les communautés du Canada». Dans le cadre de l’acheminement dynamique, les postiers ne sont plus propriétaires d'une route postale fixe, mais sont affectés chaque jour à une route différente par l'IA en fonction du volume de courrier et avec une charge de travail considérablement accrue.
Après avoir présenté les principaux changements législatifs que lui et ses collègues du monde des affaires et de la politique réclament, Lee est entré dans le vif du sujet en écrivant :
Il y a ensuite la réduction des coûts de main-d'œuvre. Alors que les volumes de courrier de Postes Canada ont diminué de 60 % depuis 2006, le nombre d'employés n'a diminué que de 5 % au cours de la même période. Les conventions collectives et la rémunération des cadres doivent utiliser le nombre de pièces livrées par heure de travail comme mesure clé pour déterminer la rémunération. À mesure que les volumes diminuent, Postes Canada doit réduire ses coûts de main-d'œuvre par l'attrition, les départs à la retraite et les retraites anticipées.
Si les prescriptions de Lee sont suivies, la réduction de 55 % de l'effectif à temps plein de Postes Canada, qui s'élève actuellement à un peu plus de 40.000 travailleurs, qu'il juge nécessaire pour s'aligner sur la réduction de 60 % des volumes de courrier, nécessiterait l'élimination de quelque 22.000 emplois à temps plein.
Postes Canada a l'intention d'atteindre ces objectifs en augmentant massivement le recours aux travailleurs temporaires et permanents à temps partiel. Le STTP a déjà collaboré à ce processus, la convention collective de 2018 – imposée après que la haute direction du syndicat a appliqué la législation briseuse de grève du gouvernement Trudeau – jetant les bases d'une augmentation disproportionnée des travailleurs temporaires, connus sous le nom d'«occasionnels». Comme l'a noté le Globe and Mail dans un article du 19 novembre, le nombre de travailleurs occasionnels est passé de 8605 en juin 2018 à 12.778 en juin 2022. Les «occasionnels», qui n'ont aucun droit à la retraite et aux avantages sociaux et dont on attend qu'ils prennent des quarts de travail au pied levé, représentent maintenant plus de 20 % de la main-d'œuvre de Postes Canada. Deux «occasionnels» ont déclaré au Globe qu'ils travaillaient souvent à temps plein, mais qu'après des années passées à Postes Canada, ils n'avaient pas eu la possibilité d'obtenir un emploi permanent.
L'une des principales revendications de la direction de Postes Canada dans le cadre des négociations en cours est la création de deux nouvelles classifications d'emploi : «permanent à temps partiel flexible» et «permanent à temps partiel flexible de fin de semaine». Ces postes donneraient théoriquement droit à des avantages sociaux, mais les soins de santé n'interviendraient qu'après 1000 heures de travail et les travailleurs seraient enrôlés dans un régime de retraite à cotisations définies de qualité inférieure, selon une proposition citée par le Globe. Postes Canada a l'intention d'utiliser ces nouvelles catégories de travailleurs mal payés, à la manière d'Amazon, pour livrer des colis sept jours sur sept, tout en réduisant considérablement les emplois à temps plein et les coûts.
Soulignant que la proposition présentée par Lee dans son commentaire de mai 2024 n'a rien d'exceptionnel, le porte-parole de Postes Canada, John Hamilton, a déclaré au Globe mardi que la société d'État souhaitait davantage de travailleurs à temps partiel afin de pouvoir réduire ses coûts et rivaliser avec des entreprises de livraison telles qu'Amazon. «De nombreux jeunes ne recherchent pas des emplois à temps plein, de 9 h à 17 h», a affirmé Hamilton. «Ils veulent de la flexibilité. Ils pourraient travailler à temps partiel pour Postes Canada et avoir d'autres emplois à temps partiel pendant la semaine.»
Le gouvernement libéral de Trudeau est très impliqué dans la recherche des meilleurs moyens d'imposer ce plan aux travailleurs. Des médiateurs nommés par le gouvernement participent aux négociations avec les deux parties depuis le mois d'août. En interdisant la grève des cheminots le même mois, en utilisant les pouvoirs antidémocratiques contenus dans le Code canadien du travail, le ministre du Travail Steven MacKinnon a clairement montré qu'il était plus que prêt à utiliser la coercition de l'État pour faire respecter les diktats des entreprises canadiennes. Au début du mois, MacKinnon a de nouveau eu recours à l'article 107 du Code du travail pour criminaliser la grève de près de 2000 travailleurs des ports de Montréal et de Vancouver et leur imposer un arbitrage contraignant.
La création de toujours plus de paliers d'emploi, associée à l'affaiblissement des droits des travailleurs, semblera familière aux travailleurs de tous les secteurs économiques. Cette pratique a été utilisée de manière dévastatrice dans l'industrie automobile pour augmenter les profits des entreprises et appauvrir les travailleurs de l'automobile aux États-Unis et au Canada à la suite de la crise économique de 2008. L'emploi à temps partiel s'est également développé dans des services publics clés, tels que l'éducation et les soins de santé, alors que les gouvernements réduisent les budgets pour réorienter les fonds publics vers la conduite de guerres dans le monde et l'enrichissement de l'oligarchie financière par le biais de réductions d'impôts et d'aides aux entreprises. Dans tous les cas, les bureaucraties syndicales concernées, qu'il s'agisse de l'UAW et d'Unifor dans l'industrie automobile ou de syndicats comme le SCFP, les TUAC, les Teamsters et les Métallos dans la fonction publique, la grande distribution et l'industrie manufacturière, ont été de connivence avec les employeurs et les gouvernements dans le cadre d'une alliance corporatiste tripartite afin de garantir que cette restructuration massive aux dépens de la classe ouvrière s'effectue sans résistance sérieuse.
Le STTP a fanfaronné sur son opposition à un système «à deux vitesses», mais ses protestations ne sont pas crédibles. L'appareil syndical a non seulement supervisé la création de deux niveaux avec l'expansion des employés occasionnels, mais il a longtemps toléré et même encouragé la division entre les facteurs ruraux et suburbains (CMRS) et les travailleurs postaux urbains.
Le STTP a déclaré, dans une mise à jour des négociations mercredi, que «le syndicat ne participera pas à une course vers le bas avec les plateformes de l'économie de l'abondance, dont le modèle d'entreprise dépend d'une main-d'œuvre bon marché sans droits».
C'est précisément ce que le STTP a fait au cours des dernières années. Il a non seulement permis l'expansion de l'emploi temporaire à Postes Canada, mais il a aussi cherché à renforcer les différences entre les travailleurs postaux et les livreurs du travail à la demande (gig economy) en tentant de syndiquer ce dernier groupe au sein d'une filiale distincte du STTP, connue sous le nom de Gig Workers United. Ce faisant, il a consciemment encouragé la division entre les livreurs d'entreprises comme Amazon, UPS et Fedex et leurs collègues de Postes Canada, dans des conditions où ils sont des alliés naturels dans une contre-offensive menée par les travailleurs pour mettre fin à la volonté des entreprises canadiennes d'augmenter leurs profits dans tout le secteur de la logistique.
Le développement d'un tel mouvement dépend avant tout de l'expansion de la grève de Postes Canada en une mobilisation industrielle et politique de masse de la classe ouvrière à la défense d'emplois sûrs et bien rémunérés et des services publics, et contre la priorité donnée au profit des entreprises, à l'austérité et à la guerre. Les travailleurs de Postes Canada trouveront du soutien pour cette lutte s'ils font appel directement à la logistique et aux autres travailleurs, puisque les questions pour lesquelles ils se battent sont les mêmes que celles auxquelles est confrontée la classe ouvrière dans son ensemble.
Le Comité de base des travailleurs des postes (CBTP) a été créé en juin 2024 par des travailleurs des postes prêts à prendre le contrôle de leur lutte contre l'appareil du STTP et à se tourner vers des couches plus larges de travailleurs pour obtenir leur soutien. Le comité a déclaré, dans une résolution adoptée lors de sa réunion publique du 10 novembre, la nécessité urgente de :
1. Obtenir les revendications des travailleurs des postes, y compris une augmentation de salaire de 30 % pour compenser les années de concessions et le contrôle des travailleurs sur le déploiement des nouvelles technologies.
2. Élargir notre lutte à d'autres sections de travailleurs à travers le Canada afin de défier une loi de retour au travail ou toute autre interdiction de grève antidémocratique imposée par l'État.
3. Lancer une lutte politique qui rejette le fait que Postes Canada soit gérée comme une entreprise à but lucratif, et faire de notre lutte contractuelle le fer de lance d'une contre-offensive menée par les travailleurs pour défendre les services publics entièrement financés et les droits des travailleurs, et contre l'austérité et la guerre.
Tous les grévistes de Postes Canada, les livreurs et les travailleurs de tout le Canada qui sont prêts à se battre sur cette base doivent contacter le CBTP à l'adresse canadapostworkersrfc@gmail.com.
(Article paru en anglais le 20 novembre 2024)