L’Association des employeurs maritimes (AEM) a mis en lock-out les quelque 1.200 débardeurs du port de Montréal dimanche, après que ceux-ci aient rejeté à 99,7% leur «offre finale» de jeudi dernier. C’est la troisième fois que les travailleurs rejettent une proposition de contrat soumise au vote par leur syndicat, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).
Le geste de l’AEM a entraîné la fermeture des opérations de fret dans le deuxième plus grand port du Canada – à l’exception de ses expéditions vers Terre-Neuve et les îles de la Madeleine – une fermeture qui fait suite au lock-out des quelque 700 contremaîtres portuaires imposé lundi 4 novembre, par l’Association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique (British Columbia Maritime Employers Association). La BCMEA a ainsi interrompu les opérations au port de Vancouver, le plus grand du pays, ainsi qu’à Prince Rupert. Pour ce qui est du Port de Québec, où les opérations portuaires sont de moindre envergure, 81 débardeurs – également représentés par le SCFP – ont aussi été mis en lock-out par leurs employeurs depuis plus de deux ans maintenant, et sont remplacés par des briseurs de grève.
Les employeurs des deux côtes paralysent les plus grandes opérations portuaires du Canada dans le but de contraindre le gouvernement libéral Trudeau à intervenir pour imposer des conventions favorables aux entreprises par le biais d’un arbitrage contraignant et autres moyens antidémocratiques. Compte tenu du rôle central joué par les ports dans la vie économique de l’Amérique du Nord, leur calcul est que le gouvernement Trudeau se rangera de leur côté et maintiendra les conditions de travail dangereuses et hautement exploitantes qui prévalent dans les ports, afin de prouver à la grande entreprise et aux investisseurs mondiaux que le Canada est un «partenaire fiable» doté d’une infrastructure de transport «compétitive».
Plus d’une fois, le gouvernement libéral, soutenu par les syndicats, est intervenu pour briser les grèves des travailleurs des secteurs du transport et de la logistique, notamment en décrétant illégale la grève des travailleurs du port de Montréal en 2021 et en recourant au Conseil canadien des relations industrielles pour court-circuiter la grève des débardeurs de la Colombie-Britannique de juillet 2023.
«L’Association des employeurs maritimes déplore le résultat négatif du vote tenu par le Syndicat des débardeurs de Montréal sur l’offre finale et globale déposée jeudi et n’a d’autres choix que de décréter le lockout dès ce soir, 21 h», a déclaré avec arrogance l’AEM dans un communiqué dimanche, témoignant de son mépris total pour les droits démocratiques des travailleurs. «Dans ce contexte, l'AEM réitère sa demande au ministre du Travail, Steven MacKinnon, d'intervenir pour dénouer l'impasse le plus rapidement possible».
S’exprimant à la manière d’un chef de la mafia lors d’un racket, la PDG du port de Montréal, Julie Gascon, a annoncé lors d’une conférence de presse lundi qu’un lock-out prolongé serait «catastrophique» pour l’économie canadienne. «Chaque conteneur qui n’est pas transporté ici à Montréal est une pièce manquante dans l’économie canadienne, a déclaré Gascon. Aujourd’hui, le conflit affecte la chaîne logistique, mais demain, il va affecter les usines, les détaillants et toute l'économie de l’est du Canada».
Les travailleurs du port de Montréal réclament la parité avec l’augmentation salariale de 20% sur quatre ans accordée aux débardeurs de Vancouver et de Halifax. Tout aussi important, les travailleurs veulent en finir avec les horaires imprévisibles et les charges de travail exténuantes qui ne leur permettent pas de concilier vie professionnelle et vie privée. Ces revendications ont été rejetées par l’AEM, qui a proposé 19% sur six ans, soit 3% par année pendant quatre ans, suivis de deux années d’augmentation salariale de 3,5%.
Adoptant un ton militant, le porte-parole du SCFP, Michel Murray, a déclaré en conférence de presse lundi que «les débardeurs ne mettront pas le genou à terre», tout en réitérant que le syndicat avait tenté d’amener l’AEM à reprendre les négociations au cours des trois dernières semaines, sans succès.
Face à l’intransigeance de l’AEM, la bureaucratie syndicale des débardeurs laisse toutefois l’initiative aux employeurs. Malgré un mandat de grève écrasant, ils ont commencé par limiter leur action à trois jours de grève en septembre, puis demandé aux membres de cesser de faire des heures supplémentaires, avant de finalement enclencher une grève illimitée, mais dans deux terminaux seulement, impliquant du coup environ un quart de la main-d’œuvre seulement – un arrêt de travail qui n’a débuté qu’il y a deux semaines. La majorité des débardeurs de Montréal étaient donc au travail tandis que leurs employeurs se préparaient à leur imposer un lock-out.
Sur la côte Ouest, on apprenait dimanche que les négociations visant à mettre fin au lock-out qui dure depuis une semaine étaient interrompues. Des représentants de la BCMEA et de la section locale 514 de l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU) ont rencontré séparément le Service fédéral de médiation et de conciliation, sans résultat. «Sur cette base, le Service fédéral de médiation et de conciliation a mis fin à la médiation et aucune autre réunion n’est prévue», a annoncé la BCMEA dans un communiqué de presse.
Un communiqué de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) publié le 7 novembre exige que le gouvernement fédéral prenne des mesures immédiates pour «régler définitivement» le conflit dans les ports, à l’instar de la décision d’imposer l’arbitrage par MacKinnon à 9.300 ingénieurs, chefs de train, agents de triage et contrôleurs ferroviaires du Canadien Pacifique Kansas City et du Canadien National en août dernier, après un bref lock-out.
«Les conflits de travail aux ports de Montréal et de la Colombie-Britannique représentent une véritable tempête parfaite. Nos chaînes d’approvisionnement, déjà fragilisées ces dernières années, ont été particulièrement mises à mal ces derniers mois. Malgré l’intervention du gouvernement fédéral dans les conflits ferroviaires l’été dernier, la situation actuelle s’apparente de plus en plus à une catastrophe économique, nécessitant une action similaire du gouvernement, déplorait Alexandre Gagnon, vice-président Travail et Capital humain à la FCCQ. La FCCQ s’inquiète que l’ensemble de notre économie canadienne soit mis en péril par ces nombreux conflits de travail».
Face à une vague croissante de grèves qui reflète la détermination des travailleurs de partout au Canada de faire face à l’augmentation du coût de la vie, et devant les rejets répétés des ententes de capitulation proposées par les bureaucraties syndicales, le lock-out est devenu le moyen privilégié par lequel la grande entreprise cherche à provoquer l’intervention directe du gouvernement à ses côtés afin de faire respecter ses demandes de concessions. Sa capacité à agir de la sorte résulte de la suppression systématique de la lutte des classes par les syndicats, notamment avec leurs efforts pour isoler les travailleurs qui parviennent à aller en grève et par leur alliance étroite avec le gouvernement libéral qui sert la grande entreprise. Plusieurs bureaucraties syndicales ont retardé à maintes reprises le déclenchement de grèves totales en dépit de l’autorisation massive d’aller de l’avant provenant de la base. Chez Postes Canada, par exemple, 55.000 postiers sont maintenus au travail par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) plus d’une semaine après la date limite pour un déclenchement de la grève, et ce en dépit d’un vote de grève de plus de 95%.
Il est de plus en plus évident pour les travailleurs que chaque lutte contractuelle est une lutte à mener non seulement contre leurs employeurs exploiteurs, mais aussi contre le gouvernement libéral. Fort en cela du soutien de tous les partis au Parlement et de la bureaucratie syndicale qui constitue un pilier essentiel de son pouvoir, le gouvernement libéral viole le droit de grève, brandissant d’une main le Conseil canadien des relations industrielles et de l’autre ses lois de retour au travail.
La probabilité d’une intervention gouvernementale contre les débardeurs à Montréal et en Colombie-Britannique est élevée en raison de l’importance stratégique que représentent ces ports dans les chaînes d’approvisionnement nord-américaines, car ils sont essentiels pour les impérialismes américain et canadien afin de projeter leur pouvoir et affirmer leurs intérêts matériels partout dans le monde. Le bon fonctionnement de ces ports est d’autant plus critique que l’administration Biden intensifie sa guerre contre la Russie en Ukraine et ses expéditions de matériel pour venir en aide à Israël dans son génocide à Gaza et accroitre l’ampleur de sa guerre au Moyen-Orient.
Malgré la menace imminente d’une intervention gouvernementale, les débardeurs de Montréal et de la Colombie-Britannique ont de puissants alliés, ailleurs dans les autres ports du Canada et des États-Unis, ainsi que dans l’ensemble de la classe ouvrière, s’ils veulent repousser l’assaut de la classe dirigeante et lutter pour leurs justes revendications. Tant au nord qu’au sud de la frontière, les débardeurs sont en effet confrontés aux mêmes entreprises transnationales présentes sur tous les continents et partagent le même type de conditions de travail misérables. Les millions de travailleurs du secteur de la logistique en Amérique du Nord, qu’ils transportent des marchandises par mer, sur terre ou par voies aériennes, sont également directement concernés par cette lutte. Les débardeurs des ports de la côte Est et du golfe du Mexique, dont la grève a été interrompue par leur syndicat de l’International Longshoremen’s Association en octobre, après moins de trois jours à la suite d’un accord conclu en coulisses par la Maison-Blanche, seront à nouveau en position de faire grève dès janvier.
Les débardeurs de la Colombie-Britannique et du Québec doivent résolument rejeter les nationalismes canadien et québécois et unir leurs luttes en tendant la main à leurs frères et sœurs de classe, tant aux États-Unis qu’ailleurs dans le monde, en mettant sur pied des comités réunissant les travailleurs de la base en mesure de retirer le contrôle de leur lutte des mains des bureaucrates syndicaux. S’ils prennent leur combat en main, les débardeurs pourront appeler les travailleurs à mener une lutte unifiée, attirant ainsi des couches plus vastes de la classe ouvrière qui se battront non pas pour ce que les employeurs et le gouvernement disent être abordable, mais pour les besoins de tous les travailleurs.
(Article paru en anglais le 12 novembre 2024)