La virulente campagne anti-immigrants de la classe dirigeante québécoise et canadienne vient de prendre un autre dangereux tournant.
En visite en France, le Premier ministre québécois François Legault, de la Coalition avenir Québec (CAQ), a demandé au gouvernement fédéral de s’inspirer des brutales politiques anti-immigration de l’Europe pour réduire de moitié le nombre de demandeurs d’asile qui se trouvent au Québec.
L’expulsion forcée de milliers de migrants vers d’autres provinces, telle qu’exigée par le Premier ministre du Québec, est une forme de déportation de masse qui nécessiterait la mise en place sur le sol canadien d’un appareil étatique sans précédent de contrôle et de surveillance.
Reprenant le mensonge qui est devenu la devise de la classe dirigeante québécoise, Legault a reproché aux 160.000 demandeurs d’asile présents au Québec – sur une population de plus de 9 millions de personnes – d’être responsables de tous les problèmes sociaux et de représenter une menace pour la nation québécoise: «On a des problèmes de logement, il nous manque d’enseignants, d’infirmières. Et plus que le tiers, je pense que 40% des demandeurs d’asile ne parlent pas français et s’installent à Montréal».
Il a ensuite demandé que le gouvernement fédéral-libéral de Justin Trudeau, qui est responsable de traiter les demandes d’asiles en vertu de la Constitution canadienne, s’inspire «entre autres de la France» et les «déménage» dans des «zones d’attente».
Présentes en France, mais aussi ailleurs en Europe, les «zones d’attente» sont des centres de détention créés proches des aéroports, des ports et des gares pour emprisonner dès leur arrivée et sans procès les demandeurs d’asile avant même que ne débute leur processus de demande d’asile. En France, les migrants peuvent être détenus de la sorte jusqu’à 26 jours, en contravention du droit international et de leurs droits fondamentaux.
Appelé à clarifier ses propos par des journalistes stupéfiés, Legault a confirmé qu’il demandait au gouvernement Trudeau d’adopter les politiques anti-immigration des pays d’Europe et de déporter contre leur volonté des demandeurs d’asile qui se trouvent au Québec: «Nous, ce qu’on veut, c’est qu’il y ait la moitié des demandeurs d’asile qui sont actuellement au Québec qui soient transférés dans d’autres provinces».
À la question de savoir si une telle mesure serait en violation de la Charte canadienne des droits et libertés, Legault l’a simplement balayée d’un revers de main en déclarant: «C’est au gouvernement fédéral de regarder ce qui se fait ailleurs et de trouver des solutions».
Comme Legault le sait très bien, «ce qui se fait ailleurs» est une véritable guerre aux immigrants impliquant des formes de violence organisée par l’État et des politiques réactionnaires qui n’ont pas été vues depuis le règne de régimes autoritaires et fascistes sur l’Europe dans les années 30.
L’objectif visé par les classes dirigeantes – non seulement en Europe, mais également aux États-Unis et au Canada – est de transformer les immigrants en boucs émissaires de la profonde crise sociale causée par le capitalisme en faillite et de justifier une vaste expansion de l’appareil répressif de l’État.
L’Union européenne et les pays membres ont créé la «Forteresse Europe», un réseau d’infrastructures militarisées, de camps de détention sordides et de frontières terrestres et maritimes patrouillées par des milices violentes qui terrorisent, brutalisent et, bien souvent, tuent les migrants en quête d’un refuge.
On estime que plus de 20.000 réfugiés sont morts noyés dans la mer Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe dans la dernière décennie, pendant que les garde-côtes européens attaquent les navires des ONG qui tentent de secourir les migrants. Des dizaines se sont noyés dans la Manche en raison des politiques de la France et de l’Angleterre alors que la police des frontières espagnole a commis plusieurs massacres en ouvrant le feu sur des groupes de migrants.
En Italie, en Grèce, en Allemagne, en Espagne et ailleurs, les réfugiés sont enfermés dans des camps de détention, dans des conditions catastrophiques et à la merci de la violence arbitraire de gardes cruels. En Angleterre, les réfugiés sont emprisonnés sur des navires-prisons infestés de maladies.
Les divers gouvernements ont adopté des lois et des politiques pour faciliter les déportations de masse et renvoyer les migrants dans leur pays d’origine ravagé par la guerre, la pauvreté et les changements climatiques.
La criminalité des autorités européennes est d’autant plus révoltante que la vaste majorité des immigrants tentent de s’échapper des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient qui ont été détruits par les guerres et les interventions de l’impérialisme européen et de ses alliés à Ottawa et Washington.
Pour normaliser ces violentes mesures de répression, les classes dirigeantes démonisent les immigrants en utilisant un langage associé à l’extrême droite. Des individus et des groupes aux tendances fascistes comme l’admiratrice italienne de Mussolini Giorgia Meloni, le parti franquiste Vox en Espagne et l’AfD néo-nazie en Allemagne sont accueillis dans les parlements et donnent le ton à toute la politique bourgeoise.
En France, le «président des riches» Emmanuel Macron s'est allié l'année dernière avec le Rassemblement national (RN) d’extrême droite de Marine Le Pen pour faire adopter une nouvelle loi sur l'immigration qui incorporait des mesures anti-immigrants exigées depuis longtemps par Le Pen. Et il vient de nommer un Premier ministre de droite, Michel Barnier, qui réclamait en 2021 un moratoire de cinq ans sur l’immigration en France.
Pendant ce temps, le candidat républicain à la présidence américaine Donald Trump a fait de l’agitation anti-immigrants le point central de sa campagne électorale. Dans un langage qui n’est pas sans rappeler le Parti nazi, il a déclaré que les immigrants allaient «empoisonner le sang de la nation», les a qualifiés d’«animaux» et promis les déportations les plus importantes de l’histoire des États-Unis s’il est élu. Lui et son colistier J.D. Vance ont utilisé de viles rumeurs non fondées au sujet d’immigrants haïtiens en Ohio pour inciter à la haine et à la violence.
Les appels de Legault à ce que le gouvernement fédéral emprisonne les demandeurs d’asile avant de les déporter démontrent que la classe dirigeante au Québec, et partout au Canada, s’inspire directement de ces mêmes politiques d’extrême-droite.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, la CAQ a intensifié un tournant de tout l’establishment politique vers la xénophobie et le chauvinisme québécois. Ce qui n’a pas empêché le Parti québécois (PQ), sous la direction de Paul St-Pierre Plamondon, d’attaquer constamment la CAQ par la droite en taxant celle-ci d’être insuffisamment «nationaliste» et en exigeant des mesures encore plus musclées contre l’immigration.
Comme en Europe, où les partis sociaux-démocrates et de la pseudo-gauche participent activement à la campagne anti-immigrants (y compris quand ils sont au pouvoir comme Syriza en Grèce, Podemos en Espagne ou le Parti de gauche en Allemagne), il n’existe au Canada aucune section de la classe dirigeante prête à défendre le droit d’asile et les droits démocratiques en général.
Québec solidaire (QS), un parti de la pseudo-gauche qui parle au nom des couches aisées des classes moyennes et partage le programme réactionnaire du PQ pour l’indépendance du Québec, présente la campagne anti-immigration de la classe dirigeante comme un «débat légitime». QS camoufle le tournant vers l’extrême droite du PQ en niant que ses propos xénophobes sur les immigrants soient «intolérants» et propose lui-même une réduction de l’immigration.
Au niveau fédéral, le gouvernement Trudeau, qui est présenté comme un gouvernement «progressiste» et «ouvert» par ses alliés du NPD et de la bureaucratie syndicale, a déclaré démagogiquement que les demandes de Legault étaient «déraisonnables».
Mais, à la sortie d’une rencontre avec Michel Barnier, le nouveau premier ministre de la France choisi de façon antidémocratique par Macron et le RN, Legault a exhibé un document émanant du gouvernement Trudeau qui démontre que ce dernier a lui aussi évoqué les «modèles européens sur le droit d’asile» dans le cadre de ses discussions avec les provinces.
Au cours des derniers mois, le gouvernement Trudeau a annoncé une série de mesures pour restreindre l’immigration, ainsi que le maintien du programme de travailleurs étrangers temporaires du Canada que le rapporteur spécial des Nations Unies a qualifié de «terrain propice aux formes contemporaines d’esclavage».
Dans un contexte où la classe dirigeante est unie dans ses attaques sur les personnes les plus vulnérables de la société, la défense des immigrants en Amérique du Nord est une responsabilité fondamentale de la classe ouvrière canadienne et américaine, qui doit s’unir au-delà des différences de langue ou d’origine nationale pour s’opposer à la guerre et à l’austérité.
Son propre futur en dépend puisque la guerre sans merci faite aux immigrants est le fer de lance d’un assaut réactionnaire de la classe dirigeante contre tous les travailleurs et contre l’ensemble des droits démocratiques.