La grève de trois jours au Port de Montréal soulève la nécessité d’une lutte unifiée des débardeurs de toute l’Amérique du Nord

Les débardeurs du port de Montréal, au Québec, ont entamé lundi une grève de trois jours pour réclamer des augmentations de salaire, des améliorations des horaires épuisants et de meilleures conditions de travail. L'arrêt de travail coïncide avec la grève des 45.000 débardeurs de la côte est et du golfe du Mexique aux États-Unis, qui a entraîné la fermeture de 36 ports entre le Maine et Houston, au Texas, dont cinq des dix plus grands ports du continent.

Un navire au port de Montréal [Photo: Port of Montreal ]

Les débardeurs de Montréal mènent une lutte politique, non seulement contre les impitoyables compagnies de fret représentées par l'Association des employeurs maritimes (AEM), mais aussi contre le gouvernement libéral de Trudeau et l'ensemble des entreprises canadiennes. Comme leurs frères et sœurs au sud de la frontière, qui font face à une collision frontale avec l'administration belliciste de Biden, les débardeurs du Canada sont considérés par la classe dirigeante nord-américaine comme un rouage essentiel de son réseau de chaîne d'approvisionnement à l'échelle du continent, qu'elle est déterminée à utiliser pour mener une guerre impérialiste dans le monde entier et stimuler la «compétitivité» des entreprises.

Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui est l'agent négociateur des 1150 débardeurs du port de Montréal, est déterminé par-dessus tout à empêcher les travailleurs de reconnaître cette réalité fondamentale et à maintenir la grève dans le cadre de la «négociation collective» pro-employeur. À cette fin, le SCFP a seulement fait débrayer 350 travailleurs de deux terminaux responsables d'environ 40 pour cent des marchandises qui transitent par le port.

Étant donné que les travailleurs ont fait grève à plusieurs reprises pour les mêmes raisons au cours des dernières années, y compris en 2020 et 2021, et que le processus de négociation actuel a été prolongé pendant des mois par l'AEM et le SCFP, les expéditeurs ont été prévenus à l'avance de réacheminer le fret avant le mouvement de grève. Le SCFP a annoncé à l'avance que la grève serait limitée à trois jours.

Au début de l'année, l'AEM a tenté en vain de faire en sorte que le gouvernement fédéral déclare que les débardeurs constituent un «service essentiel», ce qui les aurait privés de la possibilité de mener des grèves significatives pour faire valoir leurs revendications contractuelles.

Le SCFP a déposé vendredi le préavis de grève de 72 heures requis, les travailleurs exigeant une augmentation de salaire de 20 % répartie sur une nouvelle convention collective de quatre ans. Les débardeurs exigent également que l'AEM mette fin aux pratiques brutales de planification et d'accélération des horaires qui détruisent tout semblant d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et menacent la santé et la sécurité des travailleurs contraints de travailler dans le cadre d'horaires exténuants. En outre, les pancartes placées sur les piquets de grève réclament la fin de la sous-traitance et l'augmentation du nombre d'emplois à temps plein.

Les travailleurs ont rejeté à une écrasante majorité de 99,63 % la dernière offre contractuelle des employeurs. Par la suite, les débardeurs ont donné au syndicat un mandat de 97,88 % pour des «moyens de pression, pouvant aller jusqu'à la grève» afin d'obtenir leurs revendications contractuelles. Les travailleurs sont sans convention collective depuis décembre 2023. Conformément à la réglementation du travail, le mandat de grève actuel doit être exercé dans les 60 jours à venir avant d'être annulé.

Une grève de cinq jours en 2021 a été criminalisée par le gouvernement libéral Trudeau, soutenu par les syndicats, et les travailleurs ont été contraints à un arbitrage contraignant pro-patronat. Une grève acharnée de 12 jours en août 2020 a précédé l'interdiction de grève imposée par le gouvernement.

Reprenant le flambeau du gouvernement conservateur anti-travailleurs de Stephen Harper, le gouvernement libéral s'est efforcé d'utiliser les pouvoirs que lui confère le Code canadien du travail pour priver les travailleurs de la possibilité de mener de véritables grèves.

Une grève militante des travailleurs portuaires de la Colombie-Britannique en 2023 a été sabordée lorsque les libéraux ont utilisé le Code du travail pour forcer la fin du conflit. Des tactiques similaires, allant d'une législation de retour au travail pure et simple à des menaces d'arbitrage obligatoire, ont été employées pour produire des conventions collectives favorables au patronat lors de conflits majeurs chez WestJet, les compagnies ferroviaires CN et CPKC, et la Voie maritime du Saint-Laurent. À chaque fois, les différentes bureaucraties syndicales se sont docilement pliées aux diktats du gouvernement.

Le ministre libéral du Travail, Steven MacKinnon, a fait savoir au syndicat qu'il suivait de près les événements au port de Montréal, soulignant que l'intervention du gouvernement pour criminaliser la grève est pratiquement inévitable si la grève actuelle échappe au contrôle du syndicat ou si un arrêt de travail indéfini est déclenché à une date ultérieure.

Cela dit, les libéraux préfèrent s'appuyer sur les services de la bureaucratie du SCFP pour étouffer la lutte des débardeurs et faire passer à toute vitesse un accord de capitulation qui répondrait à la volonté de l'AEM d'augmenter les profits des compagnies maritimes, alors que le port de Montréal subit la pression d'un ralentissement économique mondial.

Le SCFP est déterminé à isoler les débardeurs en grève. Alors même qu'il émettait l'avis de grève vendredi, le SCFP a proposé d'annuler la grève si l'AEM s'attaquait à deux problèmes : les horaires et la réduction du recours aux grands-contremaîtres pendant les opérations portuaires.

Les débardeurs de Montréal devraient s'inspirer du sort des 81 débardeurs du port de Québec, qui subissent un lock-out de deux ans, alors que le port fait appel à des briseurs de grève pour effectuer leur travail. Le SCFP a fait tout ce qu'il pouvait pour isoler les débardeurs du reste de la classe ouvrière. Lors de la grève des débardeurs de la Colombie-Britannique en juillet 2023, par exemple, le SCFP n'a rien fait pour relier les deux luttes.

Refusant de mobiliser le soutien actif de ses centaines de milliers de membres et de la classe ouvrière en général, le SCFP s'est contenté de lancer de vains appels à l'adoption d'une loi anti-briseurs de grève par le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau. Le projet de loi C-58, ou loi anti-briseurs de grève, a été adopté plus tôt cette année et visait principalement à imposer de nouvelles restrictions aux grèves des travailleurs, tout en incluant de larges échappatoires permettant de continuer à utiliser des «travailleurs de remplacement».

La situation offre aux débardeurs de Montréal une excellente occasion de sortir du carcan de la négociation collective qui leur est imposé par le SCFP.

Pour ce faire, ils doivent lier leur grève à celle des débardeurs américains de la côte est et du golfe du Mexique, et faire de cette lutte transfrontalière le fer de lance d'un mouvement politique de masse rassemblant toutes les sections de la classe ouvrière dans une lutte politique contre l'austérité capitaliste et la guerre. C'est la seule base sur laquelle les débardeurs pourront résister à toutes les tentatives des gouvernements Trudeau et Biden d'intervenir du côté des employeurs pour imposer une nouvelle série de reculs, et lutter pour des emplois sûrs et bien rémunérés pour tous.

Elle nécessitera également une rupture politique et organisationnelle avec les appareils syndicaux, qui sont liés par une alliance corporatiste aux gouvernements pro-guerre d'Ottawa et de Washington, comme le montre la décision scandaleuse de l'International Longshoremen's Association (ILA) d'obliger les débardeurs américains à continuer à manipuler des cargaisons militaires pendant la grève.

En outre, la lutte des débardeurs aux États-Unis et au Canada doit s'unir aux 33.000 machinistes de Boeing actuellement en grève chez l'un des plus grands sous-traitants militaires des États-Unis, qui ont rejeté à 95 % une entente de capitulation.

Afin de mener à bien cette lutte, les débardeurs de Montréal doivent mettre sur pied un comité de base de grève composé de membres de la base afin de prendre le contrôle de leur lutte en opposition à la bureaucratie du SCFP, et prendre des mesures immédiates pour élargir la lutte à d'autres sections de travailleurs à travers le Canada et appeler à l'unité avec leurs frères et sœurs aux États-Unis qui font face aux mêmes attaques des patrons et des gouvernements.

(Article paru en anglais le 2 octobre 2024)

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