Hier, après 12 jours de grève générale des 1150 débardeurs du port de Montréal contre les efforts des entreprises portuaires pour éliminer des emplois et imposer des conditions de travail plus oppressantes, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a accepté une trêve de 7 mois durant laquelle la grève sera «suspendue» et toute action militante annulée.
Cette «trève» représente la phase finale des efforts du syndicat depuis le début de la grève pour y mettre fin le plus tôt possible et trahir les revendications des membres de la base.
Les débardeurs de Montréal étaient sans convention collective depuis décembre 2018. Leur grève faisait partie d’une résistance grandissante des travailleurs en Amérique du Nord et à l’international face aux attaques incessantes de la grande entreprise sur les emplois, les droits des travailleurs et les services publics.
Membres de la section locale 375 du SCFP, les débardeurs, grands contremaitres et personnel d’entretien du Port de Montréal réclament un nouveau contrat qui garantisse la sécurité d’emploi et mette fin aux horaires qui forcent les employés à travailler 19 jours sur 21.
Les deux principaux opérateurs de conteneurs – Termont Montréal et Montreal Gateway Terminal (MGT) – exigent une cadence de travail trois fois plus élevée pendant les quarts de fin de semaine. L'Association des employeurs maritimes (AEM), qui supervise les négociations pour la partie patronale, réclame des réductions d'emplois en plus d’un rythme de travail accéléré.
La grève de 12 jours au Port de Montréal a commencé le 10 août après un conflit de travail de 21 mois au cours duquel les syndicats – la section locale 375 du SCFP et la section locale 1657 de l'Association internationale des débardeurs-vérificateurs – ont tout fait pour éviter une confrontation avec l’AEM.
Lors de trois grèves limitées organisées en juillet, les syndicats ont enjoint à une partie de leurs membres de rester au travail pour respecter une réglementation fédérale sur les «travailleurs essentiels», qui les oblige à traiter les expéditions de céréales et les cargaisons à destination de Terre-Neuve. Même après le début de la grève générale, le syndicat a continué de respecter la réglementation sur les travailleurs essentiels.
C’est seulement au début du mois d’août que le SCFP a été contraint de soumettre un préavis de grève générale en réponse à une provocation de l’employeur – une réduction de 50 pour cent des salaires pour les quarts de nuit et de fin de semaine, et un «lockout technique» impliquant le détournement de plusieurs navires vers d’autres ports (notamment ceux de New York et d'Halifax en Nouvelle-Écosse).
Le SCFP a lancé une grève générale pour dissiper la colère des membres de la base pendant qu’il négociait dans les coulisses un contrat de concessions avec l’employeur. Faisant fi du vote massif des travailleurs en faveur de la grève (plus de 99 pour cent), le syndicat avait déjà proposé une trêve de 60 jours qui aurait gardé le port ouvert pendant les négociations. Mais cette première offre avait été rejetée par l’AEM, qui voulait garder une ligne dure.
Mercredi, son PDG Martin Tessier a menacé de recourir à des cadres et à des briseurs de grève pour déplacer 477 conteneurs sous le prétexte qu’ils contenaient des marchandises «importantes pour la santé et la sécurité de l’économie du Québec», invoquant sans autres détails des produits pharmaceutiques et médicaux, du sucre et des denrées périssables.
Le SCFP a répondu, après ses habituelles dénonciations démagogiques, en pliant l’échine. Mercredi soir, il a annulé les piquets de masse qu’il avait menacé de dresser le lendemain devant le port avec l’aide d’autres syndicats. Jeudi après-midi, il a accepté de «déplacer les conteneurs de produits contrôlés, la marchandise liée à la COVID-19 et de décharger un navire de sucre». Et vendredi, il a signé une entente de trahison avec l’AEM.
La grève générale au port de Montréal, la première en 25 ans, avait un impact majeur sur l’ensemble de l’économie. Les activités du port, le seul port de conteneurs au Québec, alimentent 19.000 emplois directs et indirects dans 6.300 entreprises et génèrent des retombées économiques annuelles évaluées à 2,6 milliards de dollars. Selon l'Administration portuaire de Montréal (APM), le conflit de travail empêchait d'expédier l'équivalent de 90.000 conteneurs, qui sont présentement sur les quais ou détournés vers d'autres ports.
Le port de Montréal traite près de 100 milliards de dollars de marchandises par an, y compris plus de 2 millions de tonnes métriques de minerai de fer. L'arrêt de ses activités a déjà entraîné une réduction de la production des aciéries, selon l'Association minière du Canada. Deuxième port en importance au Canada après Vancouver, en Colombie-Britannique, il constitue la principale porte d'entrée maritime du pays pour le commerce avec l'Europe.
C’est pourquoi la classe dirigeante québécoise et canadienne en son ensemble a réagi avec anxiété et colère face à la grève des travailleurs du port.
Le jour même du déclenchement de la grève, cinq associations patronales québécoises ont signé une déclaration commune demandant à Ottawa de nommer un médiateur et de forcer un retour au travail. En plus des enjeux liés aux tarifs douaniers américains, à l’approvisionnement en Chine et à la crise sanitaire, écrivaient les signataires, il y a eu «la grève au Canadien National, les barrages ferroviaires (Wet’suwet’en), et maintenant la grève au Port de Montréal».
En conférence de presse ce jour-là, le président du Conseil du patronat du Québec, Karl Blackburn, a déclaré que la grève générale est «une très mauvaise nouvelle qui a des impacts incommensurables», accusant les grévistes de «prendre les entreprises en otage».
De leur côté, les ministres de l’Économie et du Travail du Québec et de l’Ontario ont envoyé une lettre conjointe au gouvernement fédéral pour lui demander «d’exercer son leadership» face à la grève – un appel tacite à une loi spéciale pour criminaliser la grève. Agissant comme porte-voix des entreprises, le ministre québécois du Travail, Jean Boulet, a durci le ton, écrivant dans un tweet mercredi que «Le fédéral doit immédiatement agir afin de régler le conflit au Port de Montréal».
La ministre fédérale du Travail, Filomena Tassi, a répondu aux pressions patronales par voie de communiqué. «Nous suivrons la situation de près et nous continuerons d’évaluer comment soutenir les efforts de médiation continus», a-t-elle indiqué.
Le gouvernement Trudeau mise sur la bureaucratie syndicale pour imposer aux travailleurs les reculs exigés par les employeurs sans l’intervention du gouvernement, comme ce fut le cas en 2015 lors de la grève des cheminots du Canadien National. Mais si le SCFP se montre incapable d’imposer sa trêve pourrie aux membres de la base, les libéraux sont prêts à utiliser tout l’appareil répressif de l’État pour imposer les diktats de la grande entreprise, y compris par une loi spéciale comme il l’a fait pour mettre fin à la grève de 2018 à Postes Canada.
Déjà, la direction du terminal Termont a eu recours aux tribunaux pour museler les travailleurs. Des cadres ont porté plainte suite à une altercation avec des grévistes le 29 juillet dernier dans un stationnement de Montréal. Un groupe de travailleurs avait confronté des dirigeants de Termont qui avaient franchi les lignes de piquetage pendant la grève de quatre jours à la fin juillet pour effectuer du travail fait habituellement par les ouvriers. Selon le chef syndical Michel Murray, la tension a monté d’un cran lorsqu’un briseur de grève a foncé avec sa voiture sur un gréviste. Neuf travailleurs ont ensuite été arrêtés et accusés d’avoir intimidé physiquement et verbalement les cadres et leurs agents de sécurité.
Pour que leur lutte soit victorieuse, les travailleurs du Port de Montréal doivent la transformer en fer-de-lance d’une vaste contre-offensive de toute la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste. Cette stratégie est diamétralement opposée à celle du SCFP et de tout le mouvement syndical. Avant d’annoncer leur entente de trahison avec l’AEM vendredi, ils avaient tout fait pour isoler la grève et canaliser la colère de la base vers des appels futiles aux médiateurs gouvernementaux et à ces mêmes employeurs qui mènent l’assaut contre les débardeurs de Montréal.
Le silence radio sur la menace d’une loi spéciale soulignait le fait que le SCFP n’avait jamais l’intention de mener une véritable lutte pour défendre les intérêts des travailleurs, ce qui demanderait la mobilisation de masse de la classe ouvrière pour défendre les emplois, les salaires et des conditions de travail décentes. Une fois après l’autre, le SCFP et la bureaucratie syndicale en son ensemble ont docilement obéi aux lois spéciales anti-démocratiques, y compris durant la grève des travailleurs de la construction du Québec en 2017, la grève des chargés de cours de l’Ontario en 2017, et la grève à Postes Canada en 2018.
Face aux efforts des syndicats pro-capitalistes pour trahir leur lutte et imposer un nouveau contrat rempli de concessions, les débardeurs de Montréal doivent former un comité de grève indépendant qui luttera pour leurs revendications, y compris le rejet de la trêve, la fin du recours à des briseurs de grève, l'allègement des horaires de travail exténuants et la garantie d'emplois pour tous les travailleurs.
Ce comité doit lancer un appel large aux travailleurs partout en Amérique du Nord pour une contre-offensive commune face à l'assaut patronal sur les salaires et les conditions de travail, et pour garantir à tous des emplois décents et sûrs. Une telle mobilisation militante de la classe ouvrière doit être associée à une lutte politique, basée sur la perspective socialiste d’une réorganisation complète de l’économie afin de satisfaire les besoins sociaux de tous, et non les profits d’une petite minorité.