Plus tôt ce mois-ci, le lockout au port de Québec est entré dans sa troisième année. Pendant ce temps, les débardeurs du port de Montréal ont annoncé une grève partielle de trois jours à compter de lundi pour protester contre des horaires de travail accablants.
Et une menace de grève plane sur les ports de la Côte est américaine où les débardeurs, dont les conventions collectives sont arrivées à échéance fin septembre, réclament des hausses salariales et la protection des emplois face à l’automatisation.
Le lockout a été imposé aux 81 débardeurs du port de Québec le 15 septembre 2022 par la Société des arrimeurs de Québec (SAQ), une association patronale regroupant les trois employeurs qui opèrent au port de Québec, G3 Canada Limitée, QSL et Logistec.
Ce dernier (le seul des trois à être inscrit en Bourse et forcé de publier ses états financiers) avait enregistré, tout juste avant le lockout, les meilleurs résultats de ses 70 années d’existence avec des revenus de 743 millions de dollars canadiens (en hausse de 23%) et des bénéfices avant impôts de 120 millions de dollars.
En janvier 2024, Logistec a été rachetée pour 1,2 milliard de dollars par les sociétés d’investissement privé américaines Blue Wolf Capital Partners et Stonepeak, qui gèrent ensemble des actifs de près de 60 milliards de dollars américains.
Au moment du lockout, le port de Québec était l’un des cinq ports les plus importants au Canada du point de vue du tonnage de marchandises qui y transitait. Un conflit de travail menaçait d’éclater depuis que la convention collective est venue à échéance le 31 mai 2022. Les horaires et la conciliation famille-travail sont les principaux écueils.
Prétextant un contexte économique difficile et la pénurie de main-d’œuvre, la SAQ veut imposer des quarts de travail de 12 heures.
L’emploi de débardeur est déjà notoirement dangereux et difficile. Au port de Québec, les travailleurs sont affectés la veille pour leur quart de travail du lendemain. Ils peuvent aussi être plusieurs semaines consécutives sans congé la fin de semaine. Ces conditions rendent toute planification de la vie familiale pratiquement impossible, une situation qui serait grandement empirée par des quarts de travail plus longs.
Le 30 août 2022, les débardeurs ont voté dans une proportion de 98,5% en faveur de moyens de pression pouvant aller jusqu’à une grève générale illimitée. Mais leur syndicat, le SCFP (Syndicat canadien de la fonction publique), l’un des plus importants au Canada avec près de 700.000 membres, a plutôt cherché à les démobiliser en optant pour des moyens de pression limités, tels que le refus des heures supplémentaires ou le ralentissement des activités.
Puis face au lockout et au recours de l’employeur à des briseurs de grève, le SCFP a tout fait pour isoler les débardeurs du reste de la classe ouvrière. Lorsque les débardeurs des ports de la Colombie-Britannique ont déclenché une grève en juillet 2023, par exemple, le SCFP n’a rien fait pour lier les deux luttes.
Refusant de mobiliser le soutien actif de ses centaines de milliers de membres, et de la classe ouvrière plus largement, le SCFP s’est limité à des appels futiles pour l’adoption d’une loi anti-briseurs de grève par le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau.
Ce dernier est un gouvernement de la grande entreprise qui a maintes fois adopté, au cours des dernières années, des lois spéciales pour interdire des grèves – que ce soit contre les postiers, les cheminots ou les débardeurs de Montréal il y a trois ans.
En novembre 2023, le gouvernement Trudeau a déposé le projet de loi C-58 au parlement canadien pour interdire aux entreprises sous compétence fédérale d’employer des briseurs de grève. La loi, qui a été adoptée le 20 juin 2024, ne vise qu’à sauver l’image «progressiste» du gouvernement Trudeau, complètement démolie par ses attaques contre le droit de grève et son soutien indéfectible au génocide israélien des Palestiniens.
La loi libérale garde la classe ouvrière enchainée au processus légal des «négociations collectives» tout en garantissant la poursuite du recours aux briseurs de grève et en introduisant de nouvelles restrictions au droit de grève. Par exemple, elle autorise le recours à des travailleurs de remplacement s’il existe des «menaces pour la santé et la sécurité» ou si une grève risque de causer «de graves dommages à l’environnement ou à la propriété». De plus, elle n’entrera en vigueur qu’en juin 2025, un an après son adoption.
Malgré ses lacunes évidentes, la loi libérale a été accueillie avec enthousiasme par les appareils syndicaux qui l’ont qualifiée «d’historique» et par l’allié des libéraux, le NPD social-démocrate. Ce dernier avait fait de l’adoption d’une loi anti-briseurs de grève une condition à l’accord qu’il a conclu en mars 2022 pour maintenir au pouvoir le gouvernement libéral minoritaire.
Ce n’est qu’au début du mois de septembre de cette année que le NPD a mis fin à cette entente, craignant que son association avec un gouvernement libéral aussi réactionnaire et anti-ouvrier le mènerait vers une débâcle aux prochaines élections. Ceci est arrivé une semaine après que les libéraux ont interdit la grève de 9.300 cheminots à la fin août.
Le syndicat des débardeurs du port de Québec a accueilli favorablement la loi libérale comme une «étape essentielle» tout en continuant de prétendre que les briseurs de grève sont la seule raison de la persistance du lockout et que la loi aurait mis fin au conflit de travail si elle était en entrée en vigueur immédiatement.
En réalité, si la SAQ peut maintenir les débardeurs en lockout, c’est grâce à la collaboration du SCFP, dont le rôle est conforme à celui que joue l’ensemble de l’appareil syndical sur la base de son orientation nationaliste et procapitaliste.
En échange de privilèges pour une poignée de bureaucrates, les syndicats agissent depuis des années comme une force de police sur les lieux de travail, imposant les attaques sur les salaires et conditions de travail qu’exige l’oligarchie financière. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le SCFP agit de la sorte, ayant saboté la lutte des 1.200 débardeurs du port de Montréal en 2021.
Alors que les débardeurs du port de Montréal s’apprêtent de nouveau à entrer en lutte, ceux du port de Québec doivent tirer les leçons des deux dernières années et mettre fin à leur isolement et à la stratégie désastreuse que leur impose le syndicat.
Ils doivent élire un comité de grève de la base, organisé indépendamment du SCFP et de toute la bureaucratie syndicale. La première tâche de ce comité sera d’établir le contact avec leurs confrères des ports de Montréal et d’ailleurs au Canada afin de mobiliser la grande force objective des débardeurs – qui occupent une position clé dans les chaines vitales d’approvisionnement – dans une lutte unifiée pour des horaires décents et de fortes hausses salariales.
Cette lutte doit également être menée à l’échelle internationale, car les conditions d’exploitation auxquelles sont confrontés les débardeurs de Québec ne se reproduisent pas seulement sur les lieux de travail du Canada, mais aussi dans les ports d’Amérique du Nord et d’Europe, et dans les industries du transport et de la logistique du monde entier.