Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a entamé mercredi le plus grand remaniement ministériel depuis le début de la guerre. Jusqu'à présent, sept ministres ont démissionné et un conseiller présidentiel a été limogé.
Le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba est jusqu'à présent le plus important des ministres de Zelensky à avoir proposé sa démission dans un exode massif qui devrait se poursuivre dans les prochains jours.
Parmi les autres membres du cabinet ayant quitté le pouvoir figurent le ministre de la Justice Denys Maliuska, celui de l'Écologie Ruslan Strilets, la vice-première ministre à l'Intégration européenne et euro-atlantique Olha Stefanishyna, la vice-première ministre à la Réintégration Iryna Vereshchuk, et le ministre des Industries stratégiques Alexander Kamyshin, chargé de la production d'armes.
Selon le chef du parti de Zelensky, Serviteur du peuple, au Parlement, David Arakhamia, ces changements pourraient concerner plus de la moitié de l'équipe de Zelensky. Il s'agit du plus grand remaniement gouvernemental depuis 2020, où Zelensky avait limogé une grande partie de son premier gouvernement au profit de ministres étroitement liés à l'impérialisme occidental et à l'ancien gouvernement du président Petro Porochenko.
Jeudi, le Parlement ukrainien a voté en faveur de la démission de Kuleba. Il sera remplacé par Andrii Sybiha, qui était auparavant vice-ministre des Affaires étrangères. Kuleba, qui a commencé sa carrière politique sous Porochenko, est ministre des Affaires étrangères depuis mars 2020, suite au limogeage (article en anglais) du Premier ministre de l'époque, Oleksiy Honcharuk, et de l'ensemble de son cabinet. Au cours de son bref mandat de six mois en tant que Premier ministre, Honcharuk fut surtout connu pour avoir assisté à un concert de rock néonazi à Kiev.
Kuleba a participé à l’élaboration d’une nouvelle stratégie de sécurité nationale visant à « récupérer » la Crimée début 2021, ce qui est largement considéré comme un facteur majeur dans la provocation de l’invasion russe un an plus tard. Depuis 2022, il n’a cessé d’inciter les puissances impérialistes occidentales à éliminer toute restriction à l’utilisation par l’Ukraine d’armes à longue portée en Russie. Il a développé des liens particulièrement étroits avec le gouvernement Biden et a joué un rôle de premier plan dans la finalisation en juin de l’accord de sécurité bilatéral de dix ans entre les États-Unis et l’Ukraine.
Mardi, un jour seulement avant sa démission, Kuleba avait accordé une interview à CNN appelant les soutiens de l’Ukraine dans l’OTAN à envoyer davantage d’armes de longue portée et à lever les restrictions sur les frappes visant les aérodromes situés loin en territoire russe. Il fallait aussi autoriser l’utilisation des systèmes de défense aérienne de l’OTAN pour abattre les missiles russes au-dessus du territoire ukrainien. Rejetant toute inquiétude quant à l’escalade de la guerre avec la puissance nucléaire russe, Kuleba a déclaré: «Que faut-il encore pour que tout le monde comprenne que l’argument de l’escalade est erroné? Cela n’a jamais fonctionné au cours des deux dernières années et demie.» Il a ajouté que la peur de l’escalade servait « simplement d’excuse pour ne rien faire.»
Zelensky, qui dirige le pays sans mandat légal après avoir suspendu les élections présidentielles, n'a pas encore fourni de détails quant aux raisons de la démission massive de ses ministres. Il a seulement déclaré mercredi que l'Ukraine avait besoin d'une «nouvelle énergie, et cela inclut la diplomatie». Son propre parti semble divisé sur le remaniement du gouvernement. Selon le site russe Gazeta.ru, Zelensky a dû surmonter une opposition dans son propre parti pour mener à bien ces changements radicaux, notamment pour le limogeage de Kuleba, et cherchait à échanger des voix contre des « primes personnelles, financières ou autres». Dû à l'opposition au sein du parti au pouvoir, Zelensky n'a toujours pas pu limoger autant de ministres et de responsables qu'il le souhaitait.
Ce remaniement est une indication de l’intense crise militaire, politique et économique qui frappe le pays.
Dans l'est de l'Ukraine, l'armée ukrainienne est confrontée à la perspective d'un effondrement. La Russie n'a déployé qu'un nombre limité de troupes pour contrer l'invasion de Koursk et, près d'un mois plus tard, les forces russes avanceraient désormais à un rythme quotidien de 500 mètres à un kilomètre sur plusieurs axes dans la région de Donetsk, près de la ville stratégique de Pokrovsk, qui sert de plaque tournante routière et ferroviaire à l'armée ukrainienne.
Il ne reste plus que 26 000 habitants dans cette ville qui en comptait auparavant plus de 40000, les forces russes se trouvant désormais à seulement 10 km à l'est de la ville. Sa capture est considérée comme imminente par les analystes militaires et par le gouvernement ukrainien, qui a ordonné son évacuation début août. Avec de nouvelles avancées vers Donetsk, la Russie sera probablement en mesure de frapper les forces ukrainiennes dans toute la région voisine de Zaporizhia.
Pendant ce temps, après plus de deux ans de guerre et un demi-million de morts, l'opposition à la guerre grandit au sein de la population et parmi les soldats. Presque chaque jour, de nouvelles vidéos circulent montrant des Ukrainiens affrontant des recruteurs militaires pour les empêcher d'enlever des hommes dans la rue, même dans les régions occidentales du pays où le nationalisme a historiquement eu le plus de soutien.
Sur le front, trois compagnies d’un bataillon de la Garde nationale ukrainienne, y compris leurs commandants, ont refusé d’exécuter les ordres du haut commandement militaire en raison d’un «manque énorme de personnel», selon Strana.ua. Les troupes ukrainiennes sont en infériorité numérique par rapport aux troupes russes dans un rapport d’un contre trois. Les soldats ukrainiens déserteraient également en grand nombre, ce qui est une indication de plus en plus nette de la désintégration en cours des forces armées ukrainiennes.
Outre les revers militaires successifs dans l'est de l'Ukraine, le pays est confronté à une grave crise énergétique provoquée par la guerre. L'un des principaux éléments de la stratégie militaire russe consiste à attaquer les infrastructures énergétiques de manière ciblée, ce qui a provoqué des coupures de courant à travers le pays et a contribué à la fuite massive d'Ukrainiens du pays ou au refus de revenir de l'étranger. La crainte est largement répandue que le pays ne puisse fournir suffisamment d'énergie pour le chauffage et l'électricité cet hiver, et c'est le ministre de l'énergie qui a été le premier à devoir quitter son poste en début de semaine.
Certains éléments indiquent également que la crise gouvernementale et les conflits dans la classe dirigeante sont alimentés par les élections présidentielles américaines. Comme le rapporte le Financial Times, «l’incertitude sur la prochaine élection présidentielle américaine et les pressions internes dans l’UE inquiètent également Kiev, qui craint que les engagements financiers et sécuritaires à long terme sur lesquels il s’appuie ne s’évaporent bientôt». Dans une interview au podcasteur Lex Fridman mardi, Donald Trump a réitéré ainsi sa promesse de finir la guerre: «Si je gagne, comme président élu, j’aurai un accord conclu, garanti. C’est une guerre qu’il n’aurait pas dû y avoir.» Pendant de nombreuses années, la guerre contre la Russie en Ukraine a été au cœur des luttes intestines entre démocrates et républicains. En 2019, les démocrates avaient fait de l’armement de l’Ukraine pour une guerre contre la Russie un pilier de leurs efforts pour destituer Trump.
Compte tenu de l’intensité de la crise politique aux États-Unis, le remaniement frénétique du gouvernement à Kiev pourrait bien être une tentative de Zelensky de créer autant de «faits accomplis» que possible avant un éventuel changement de pouvoir à la Maison Blanche. Zelensky devrait assister à l’Assemblée générale des Nations Unies et rencontrer le président américain sortant Joe Biden plus tard ce mois-ci. Plusieurs reportages des médias occidentaux ont spéculé qu’il espérait avoir un nouveau cabinet à présenter à ses soutiens de l’OTAN, sans aucun doute consultés au préalable. La semaine dernière, Zelensky a également annoncé qu’il prévoyait de présenter à Biden un «plan de victoire» en quatre parties, mais a refusé de donner des détails.
Dans une interview accordée mardi à NBC, le président ukrainien a affirmé que son invasion aventurière de la région de Koursk faisait partie de son «plan de victoire» et que l'Ukraine prévoyait de conserver indéfiniment les 1000 kilomètres carrés de territoire russe qu’elle dit avoir occupé.
(Article paru en anglais le 6 septembre 2024)