Le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba a annoncé la semaine dernière que le Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine avait approuvé une stratégie visant à reprendre la Crimée et à réintégrer au pays cette péninsule stratégiquement importante.
La Crimée, une péninsule de la mer Noire, a été annexée par la Russie en mars 2014 à la suite d'un coup d'État d'extrême droite à Kiev, soutenu par les États-Unis.
Annonçant cette décision sur Twitter, Kuleba a écrit: «Le signal est clair: nous n'appelons pas seulement le monde à nous aider à récupérer la Crimée, l'Ukraine déploie ses propres efforts concrets et systématiques sous la direction du président [Volodymyr] Zelensky.»
Dans le cadre de sa stratégie des «3 piliers» pour reprendre la Crimée, Kuleba a notamment déclaré que le gouvernement de Zelensky visait la «pleine souveraineté ukrainienne» non seulement sur la Crimée, mais aussi sur la ville portuaire de Sébastopol qui sert de port d’attache à la flotte russe de la mer Noire.
Suite aux commentaires de Kuleba, le président ukrainien Zelensky a annoncé via Twitter la création d'une ‘Initiative plate-forme pour la Crimée’, décrite comme «un nouveau format de consultation et de coordination lancé par l'Ukraine pour améliorer l'efficacité de la réponse internationale à l'occupation de la Crimée, répondre aux défis de sécurité croissants, intensifier la pression internationale sur la Russie, prévenir de nouvelles violations des droits de l'homme, protéger les victimes de la puissance occupante et parvenir à mettre fin à l’occupation de la Crimée et à son retour à l’Ukraine.
Le premier sommet du groupe nouvellement créé devrait avoir lieu en août et Zelensky a déclaré avoir déjà discuté avec l'UE, le Canada, le Royaume-Uni et la Turquie de la création de ce groupe.
Suite à la dissolution stalinienne de l'Union soviétique, le port de Sébastopol avait été loué à la Russie par plusieurs gouvernements ukrainiens successifs. Sa perte potentielle suite à l'éviction du président Viktor Ianoukovitch en 2014, soutenue par les États-Unis, a été largement considérée comme l'un des principaux facteurs de motivation en Russie pour annexer cette péninsule militairement stratégique.
Comme Kuleba et Kiev le savent bien, toute tentative d'imposer la «pleine souveraineté» sur l'un des plus importants ports de la marine russe en mer Noire entraînerait une guerre à grande échelle qui risquerait de déclencher une troisième guerre mondiale.
Lundi, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a dénoncé les propos de Kuleba et Zelensky comme une menace à peine voilée de guerre à propos de la Crimée.
«Tous les efforts de Kiev pour reconquérir la Crimée sont illégitimes et ne peuvent être interprétés autrement que comme une menace d'agression contre deux sujets [fédéraux] russes. Nous réitérons que nous considérerons la participation de tout État ou organisation à de telles activités, y compris l'initiative de la Plate-forme pour la Crimée, comme un acte d'hostilité contre la Russie et un empiétement direct sur son intégrité territoriale », a déclaré Zakharova.
L'escalade du conflit entre Kiev et la Russie au sujet de la Crimée survient dans des conditions où l’Ukraine reste embourbée dans une guerre civile dans sa région est, qui dure maintenant depuis près de sept ans. Cette guerre a coûté la vie à plus de 14 000 personnes, en a déplacé 1,4 million et rendu 3,5 millions dépendants d'une aide humanitaire. L'UNICEF a récemment noté que des millions de gens dans la zone de guerre n'ont toujours pas accès à l'eau potable et que certains n'ont pas régulièrement accès à l'eau tout court, alors même que les cas de COVID-19 augmentent à nouveau fortement dans tout le pays.
La décision du gouvernement ukrainien fait suite à une série de répressions politiques anti-russes et de renforcement des dispositifs militaires qui ont exacerbé la menace d'une guerre totale. En février, le gouvernement Zelensky a fermé de manière antidémocratique trois chaînes de télévision populaires dirigées par le leader de l'opposition pro-Moscou et oligarque Viktor Medvedchuk pour des raisons de «sécurité nationale». Medvedchuk a ensuite été sanctionné et Kiev a continué à accuser les politiciens de l'opposition et les journalistes de «trahison» pour avoir soutenu un règlement négocié avec Moscou sur les régions contrôlées par les séparatistes dans l'est de l'Ukraine.
La répression a été, comme il fallait s'y attendre, condamnée par le Kremlin qui a fait valoir que cela démontrait que Kiev tentait de «résoudre le problème [du Donbass dans l'est de l'Ukraine] par la force».
Des observateurs internationaux dans l'est ukrainien ont récemment signalé une augmentation rapide du nombre de violations du cessez-le-feu par des soldats ukrainiens et des séparatistes soutenus par la Russie. Cette année, déjà 10 soldats ukrainiens ont été tués.
Alors que Zelensky a été initialement élu en 2019 sur la base d'un rejet du nationalisme militariste d'extrême droite incarné par son prédécesseur, Petro Porochenko, il adopte désormais une stratégie potentiellement plus irresponsable encore. Beaucoup laisse à penser qu'il est soutenu en cela par les États-Unis.
La semaine dernière, un article d’opinion du Washington Post a suggéré que Zelensky avait désespérément besoin de recevoir un appel téléphonique du président américain Joe Biden mais n'en avait pas encore reçu. L'éditorial a soutenu les récentes répressions politiques de Zelensky et l'a exhorté à agir encore plus agressivement contre la Russie.
«M. Zelensky a maintenant l'opportunité de forger un partenariat avec M. Biden qui pourrait faire avancer de manière décisive la tentative de l'Ukraine de se libérer de la Russie et de rejoindre l'Occident démocratique. Il devrait en saisir l’occasion », a exhorté la rédaction du journal.
S'adressant à Politico, un ancien responsable américain proche de l'administration Biden aurait déclaré: «Il y a du mérite à laisser Zelensky attendre son tour pour recevoir un appel. Il ne lutte pas de toutes ses forces contre la corruption. En fait, les oligarques pro-russes en Ukraine ont acquis un pouvoir immense depuis l'arrivée de Zelensky. Il faut donc être à la fois tendre et dur avec Zelensky lorsque cette conversation en tête-à-tête aura lieu.»
L'Ukraine est fortement dépendante de l'aide militaire et du soutien des États-Unis dans sa confrontation avec la Russie. Lundi dernier, le Pentagone a annoncé un programme d'aide militaire de 125 millions de dollars pour l'Ukraine, la première distribution d'aide à l'Ukraine du gouvernement Biden.
Il reste 150 millions de dollars de financement alloué à l’Ukraine dans le cadre de l'Initiative d'assistance à la sécurité en Ukraine pour 2021, attribuée par le Congrès. Mais cet argent ne sera pas débloqué tant que les départements de la Défense et d’État n’auront pas confirmé conjointement que Kiev a fait des «progrès suffisants» dans les efforts de «réforme militaire».
Bien que Biden n'ait pas encore parlé avec Zelensky, à l'occasion du septième anniversaire de l'annexion de la Crimée par la Russie, la Maison Blanche a publié une déclaration soutenant l'Ukraine dans le différend, déclarant: «Les États-Unis ne reconnaissent pas et ne reconnaîtront jamais la prétendue annexion de la péninsule par la Russie et nous resterons aux côtés de l’Ukraine contre les actes d'agression de la Russie.»
L’escalade militaire irresponsable du gouvernement Zelensky est également motivée par une profonde crise sociale et politique en Ukraine même. Son soutien politique a fortement diminué alors que l'économie et le système de santé du pays ont été dévastés par le COVID-19, sans qu’aucun effort significatif de vaccination ne soit en vue. Il y a un réel danger que la classe dirigeante ukrainienne, poussée par une crise intérieure qui s'aggrave, tente de détourner ces tensions internes vers l'extérieur, entraînant une guerre qui menacerait la vie de millions de personnes.
(Article paru en anglais le 20 mars 2021)