Des militants d’extrême droite israéliens et des représentants du gouvernement prennent d’assaut des sites militaires après l’arrestation de soldats pour avoir agressé un prisonnier palestinien

Lundi, des colons, des activistes d’extrême droite et des élus israéliens ont fait irruption dans le centre de détention notoire de Sde Teiman, situé dans le désert israélien du Néguev, pour s’opposer à l’arrestation et à la détention de soldats accusés d’avoir agressé sexuellement un prisonnier palestinien.

Une horde encore plus nombreuse a provoqué des émeutes devant la base de Beit Lid, siège des tribunaux militaires et de la police militaire israélienne, avant d’y faire irruption et de tenter d’interrompre l’enquête judiciaire concernant les neuf soldats. Les émeutiers s’en sont pris aux médias.

Des soldats israéliens se rassemblent à l’entrée de la base militaire de Sde Teiman, pour manifester leur soutien aux soldats interrogés pour abus de détenus, 29 juillet 2024 [AP Photo/Tsafrir Abayov]

Les émeutes ont provoqué une tempête politique, mettant en évidence le rejet par les fascistes de toute restriction, même symbolique, de la criminalité israélienne à l’encontre des Palestiniens.

Le prisonnier avait été violé si brutalement par les réservistes qu’il avait dû être transféré dans un hôpital de Beersheba pour y être soigné. Selon le média Arab48, il est incapable de marcher après avoir souffert d’une «grave blessure dans la région du rectum».

Sde Teiman a été créée par la Knesset en tant que prison pour «combattants illégaux» immédiatement après le déclenchement de la guerre de Gaza, afin de détenir les membres du Hamas, dont ceux ayant participé à l’attaque du 7 octobre. Un rapport de l’Office de secours et de travaux des Nations unies, publié en mars dernier dans le New York Times, cite des témoignages de détenus affirmant qu’ils ont été battus, volés, déshabillés, agressés sexuellement et qu’on les a empêché d’accéder à un médecin ou un avocat.

Selon Haaretz, une trentaine de Palestiniens sont morts à Sde Teiman. Le mois dernier, le procureur général d’Israël, Gali Baharav-Miara, a ordonné sa fermeture, à la suite d’une requête déposée devant la Cour suprême par des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme et de rapports internationaux faisant état d’abus généralisés à l’encontre des détenus. La Cour suprême a depuis accusé le Premier ministre Bejamin Netanyahou d’avoir fait obstruction à la fermeture.

L’arrestation des neuf soldats pour agression sexuelle est intervenue après que le quotidien britannique Daily Telegraph eut rapporté que le Hamas avait averti le ministre israélien de la Sécurité nationale et dirigeant du Pouvoir juif, Itamar Ben-Gvir, qu’on ferait du mal aux otages israéliens détenus à Gaza si les mauvais traitements infligés aux prisonniers palestiniens continuaient, et qu’il avait fourni une vidéo les montrant en train d’être maltraités. Cela montre à quel point les autorités judiciaires et militaires craignaient qu’une telle divulgation ne compromette davantage le soutien des puissances impérialistes à la guerre génocidaire d’Israël contre les Palestiniens.

Les soldats auraient résisté à leur arrestation, en partageant des vidéos sur les réseaux sociaux. Ils se sont barricadés dans le bâtiment et ont utilisé du gaz poivré avant d’être finalement placés en détention. D’autres soldats de leur unité auraient remis leurs armes et refusé de poursuivre leur service.

Les Israéliens d’extrême droite, indignés par ces arrestations, ont appelé à des manifestations dans tout le pays pour soutenir les soldats. Des dizaines de personnes, dont des membres de la Knesset et le ministre du Patrimoine Amichai Eliyahu, se sont rassemblées devant Sde Teiman, en ont franchi les portes et l’ont pris d’assaut, tentant d’empêcher la détention des soldats. Ils n’ont quitté les lieux que lorsqu’ils ont réalisé que les soldats avaient déjà été transférés à Beit Lid.

Un soldat de la base militaire a déclaré: «Une force de police était présente près de la base militaire, mais elle n’y est entrée pour aider à repousser les manifestants qu’environ une heure après qu’ils l’aient prise d’assaut et après qu’ils l’aient quittée. Il n’y avait pas de garde pour les affronter et aucun officier n’était présent pour diriger l’événement».

Lorsque le transfert des soldats à la base de Beit Lid pour y être interrogés fut connu, 1.200 émeutiers se sont rassemblés devant cette base, accusant les soldats en poste d’être des «traîtres». Parmi les manifestants se trouvaient des soldats armés et masqués, certains portant le logo Force 100 de l’unité rétablie au début de la guerre et chargée de garder les détenus gazaouis à Sde Teiman. Des dizaines d’entre eux ont pénétré sur la base avant d’être dispersés par la police, qui n’a arrêté personne.

Le chef d’état-major des Forces de défense israéliennes (FDI), Herzl Halevy, a condamné les effractions, déclarant que ce qui s’était passé «frôlait l’anarchie» et portait atteinte à l’armée, à la sécurité d’Israël et à l’effort de guerre. Trois bataillons devant être envoyés à Gaza auraient été placés en état d’alerte pour renforcer la base de Beit Lid, au cas où les troubles se poursuivraient, une audience du tribunal militaire y étant prévue pour mardi. Lorsque Halevy est arrivé à Beit Lid, il a été accueilli par les cris de «Démission !»

Mardi, des officiers supérieurs israéliens ont critiqué les actes de la police dans la prise d’assaut des bases militaires de Sde Teiman et de Beit Lid. Ils ont souligné que l’inspecteur général de la police par intérim, Avshalom Peled, n’était pas allé à la base de Beit Lid ni n’avait envoyé de gardes-frontières. Un officier supérieur de la police a déclaré: « La direction de la police et la brigade ont fermé les yeux sur les événements de Beit Lid. Il n’y a pas eu manque de forces, mais bien plutôt manque d’instructions et d’ordres clairs».

Un autre policier a déclaré que bien que certains des éléments d’extrême droite ayant pris d’assaut Sde Teiman avaient été identifiés par la police et étaient connus d’elle pour avoir participé à d’autres manifestations, la police n’avait l’intention d’en arrêter aucun.

Les membres fascistes de la coalition gouvernementale de Netanyahou ont pris une part active dans la fomentation des émeutes, certains participant à leur prise d’assaut. Ben-Gvir, dont le ministère contrôle la police et l’administration pénitentiaire, a déclaré: «Le spectacle de policiers militaires venus arrêter nos meilleurs héros à Sde Teiman n’est rien moins que honteux», ajoutant «je recommande au ministre de la Défense, au chef d’état-major des FDI et aux autorités de l’armée de soutenir les combattants et de prendre exemple sur l’administration pénitentiaire. Les camps d’été et la patience à l’égard des terroristes sont terminés. Les combattants doivent être pleinement soutenus ».

Ben-Gvir et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, ont exigé que l’avocat général de l’armée «retire ses mains des réservistes».

Le ministre de la Justice, Yariv Levin, du parti Likoud de Netanyahou, s’est dit «choqué de voir des images dures de soldats arrêtés» et a déclaré qu’il était «impossible de l’accepter». Il a reproché à la Haute Cour de justice, qui avait demandé la fermeture du centre de détention, d’être responsable de l’arrestation des soldats, affirmant que cette décision justifiait la relance des efforts visant à réformer le système judiciaire.

Les partis d’extrême droite Force juive et Sionisme religieux ont mobilisé leurs partisans, appelant à un rassemblement à Sde Teiman. Le ministre du Patrimoine de Force juive, Amichay Eliyahu, le député de Sionisme religieux, Zvi Sukkot, et le député du Likoud, Nissim Vaturi, ont été vus en train de s’introduire dans le centre de détention au milieu de l’émeute. D’autres législateurs ont été vus à Sde Teiman ou à Beit Lid, notamment Tally Gotliv, Zvi Sukkot et Limor Son Har-Melech, qui a déclaré que l’avocat général militaire « est un criminel. Le peuple d’Israël se battra contre les ennemis de l’extérieur et les ennemis de l’intérieur».

Le fils de Netanyahou, Yair, a écrit sur X, après l’arrestation des soldats, que les poursuites engagée par l’État étaient «criminelles et antisionistes».

La chaîne télévisée Channel 14 a rapporté lundi que les mandats d’arrêt des soldats avaient été annulés et que la police militaire se limitait à un interrogatoire.

Netanyahou a appelé au calme à Sde Teiman, déclarant qu’il «condamnait fermement l’effraction», tandis que le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a apporté son soutien aux FDI et à la police militaire, déclarant que «des civils prenant d’assaut une base des FDI constitue un incident grave, qui porte gravement atteinte à la démocratie israélienne et fait le jeu de notre ennemi en temps de guerre».

Le président Isaac Herzog s’est fait l’écho de ces appels. «Renforçons les FDI et ses commandants et condamnons tout mots d’ordre qui ne fait que réjouir nos ennemis» a-t-il déclaré.

L’association israélienne de défense des droits de l’homme Comité public contre la torture a déclaré dans un communiqué que les soldats de la base «agissaient en dehors de toute loi – d’abord dans leur traitement des détenus, et maintenant à l’égard des agents de la force publique militaire», ajoutant que le soutien des dirigeants d'extrême droite aux réservistes est «emblématique des causes profondes qui permettent que de tels abus se produisent en premier lieu».

Ces événements ont mis en évidence la montée de l’extrême droite et de ses bandes de partisans fascistes, ainsi que les profondes divisions de la société israélienne, déjà apparues lors de la réforme judiciaire de Netanyahou l’année dernière. Un commentateur du quotidien de droite Jerusalem Post a fait l’analogie avec l’attaque menée le 6 janvier au Capitole par des partisans de Donald Trump.

Yair Lapid, chef du parti d'opposition Yesh Atid, a déclaré: «Il ne s'agit pas d’une émeute, mais d’une tentative de coup d’État par une milice armée contre un premier ministre faible et incapable de prendre le contrôle de son gouvernement». Les législateurs qui avaient pris d’assaut les bases de l’armée envoyaient le message qu’ils « en ont fini avec la démocratie, fini avec l’État de droit. Un dangereux groupe fasciste menace l'existence de l'État d'Israël».

(Article paru en anglais le 1er août 2024)

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