Des réservistes publient une lettre ouverte où ils refusent de se battre à Gaza et dénonce les crimes de guerre d'Israël

Le bilan des morts dans la guerre d'anéantissement menée par Israël à Gaza témoigne d'une politique du tirer pour tuer, politique dont les Forces de défense israéliennes (FDI) nient l'existence. Mais plusieurs soldats israéliens ont fait des déclarations au quotidien Haaretz confirmant une telle politique. Leurs témoignages corroborent ceux de témoins oculaires et de médecins palestiniens.

Ces soldats font partie d'un nombre restreint mais croissant de soldats ayant participé à la guerre et qui ont signé la première lettre de refus de servir publiée par des réservistes depuis le 7 octobre. Les 41 réservistes écrivent: «Les six mois pendant lesquels nous avons participé à l'effort de guerre nous a prouvé que l'action militaire à elle seule ne ramènera pas les otages chez eux.»

Parlant de l'invasion de Rafah: «Cette invasion, en plus de mettre en danger nos vies et celles des innocents à Rafah, ne ramènera pas les otages vivants […] C'est soit Rafah, soit les otages, et nous choisissons les otages. Par conséquent, après la décision d’entrer à Rafah plutôt que de conclure un accord d’otages, nous, réservistes, hommes et femmes, déclarons que notre conscience ne nous permet pas de contribuer à faire perdre la vie des otages et de torpiller un autre accord ».

Certains soldats se sont entretenus avec Haaretz après leur récente libération du service actif à Gaza, décrivant les raisons pour lesquelles ils refusaient de poursuivre les combats. Celles-ci incluaient l'autorisation d'ouvrir le feu sur les Palestiniens pratiquement à volonté, y compris sur des civils non armés qui ne semblaient pas constituer une menace imminente, l'obligation d'incendier des bâtiments résidentiels et de tuer des civils lors de bombardements.

La destruction massive des logements et infrastructures palestiniennes est visible ici alors que les soldats israéliens prennent position près de la frontière de l’enclave palestinienne, dans le sud d'Israël, le vendredi 29 décembre 2023. [AP Photo/Ariel Schalit]

Tal Vardi, commandant d’un Corps blindé, a d'abord été envoyé pour faire la guerre menée par Israël contre le Hezbollah dans le nord, en remplacement des bataillons de conscrits envoyés dans le sud, et où il formait principalement les jeunes réservistes aux opérations de chars. Il n'a pas hésité à accepter de servir comme réserviste dans le Nord. Le tournant s’est produit lorsque le gouvernement fascisant du Premier ministre Benjamin Netanyahou a choisi de monter une opération terrestre à Rafah plutôt que de signer un accord pour libérer les otages et mettre fin à la guerre.

Vardi a déclaré: «Au moment où l'opération a commencé à Rafah, j'ai senti que c'était au-delà de ce que je pouvais supporter éthiquement, soutenir et justifier. Nous courons après les têtes pour démontrer une sorte de réussite, sans aucune stratégie ni direction.»

Yuval Green, étudiant de 26 ans et parachutiste de réserve opposé à l'occupation israélienne en Cisjordanie, a expliqué qu'il était indécis quant à la poursuite de son service de réserve et qu'il était sur le point de refuser de s'engager dans la guerre du 7 octobre. Il a été envoyé dans la région de Khan Younes où il a dû incendier un immeuble résidentiel sans aucune confirmation qu'il s'agissait de la maison d'un combattant du Hamas.

À une autre occasion, le commandant de la compagnie a ordonné à son équipe d'incendier l'une des maisons où ils résidaient parce qu'ils y laissaient du matériel militaire qui révélerait les méthodes de combat de l'armée. Green se souvient: «J'ai dit que si nous faisions cela, je m’en allais. Et ils ont vraiment incendié la maison et je suis parti. Je suis parti lors de la permission suivante et je ne suis pas revenu. »

Il a déclaré au +972 Magazine: «Il n’y avait aucune restriction sur les munitions. Les gens tiraient juste pour ne pas s’ennuyer», citant un incident au cours duquel un bataillon entier a ouvert le feu.

Michael Ofer Ziv, un réserviste de 29 ans, avait interrompu ses vacances en Turquie pour se présenter à l’appel lorsque la guerre a éclaté. En tant qu'officier de contrôle de brigade, sa tâche consistait à suivre en temps réel les films de drones et les bombardements de l'armée de l'air israélienne à Gaza. «C'est loin de vous et vous avez l'impression que ce n'est pas réel» a-t-il dit.

Il lui a fallu une semaine ou deux avant de se rendre compte que «chaque fois qu'on le voit, c'est un bâtiment qui s'effondre. Si des gens étaient dedans, ils sont morts. Et même s'il n'y a personne à l'intérieur, tout ce qui s'y trouve – télévisions, souvenirs, photos, vêtements – tout a disparu. Ce sont des immeubles hauts. Dans la salle de guerre, ils savent quel est le niveau d'évacuation ».

« Ils ne cessent de répéter, par exemple, que 50 pour cent ont été évacués de la zone. Je me souviens d'un jour où j'ai entendu: ‘50 pour cent ont été évacués du nord’. Le même jour, j'ai vu un bâtiment s'effondrer dans cette zone et je me suis dit: ‘50 pour cent ont été évacués de la zone, mais 50 pour cent sont toujours là’. Dans le même temps, il y a également des bombardements dans le sud de Gaza, et nous savons que personne n’en a été évacué. Au contraire, tout le monde s’est enfui là-bas.”

Ofer Ziv a déclaré que lorsque sa brigade est entrée dans Gaza, l'autorisation de tirer a été donnée avec une relative facilité. «Il y a des zones où il est interdit de tirer sans l'accord du commandement, pour toutes sortes de raisons. Par exemple, il est interdit de bombarder des bâtiments situés à proximité de zones humanitaires. Au final, parfois on tire bien sûr. Vous obtenez une autorisation exceptionnelle. »

Il a ajouté: «Lorsqu'un commandant m'a demandé à un certain moment si nous obtiendrions l'autorisation de tirer quelque part, je lui ai répondu : 'Nous aurons l'autorisation, la seule question est quand.' Autrement dit, c’est dans le style: ‘Vous pouvez tirer où vous voulez. Vous devez obtenir la permission, mais il y aura une permission. C'est seulement bureaucratique’. Je peux compter sur une main les fois où on nous a dit: 'Vous ne pouvez pas tirer là-bas.' »

Il a expliqué: «Au début, il est très difficile de dire ce qui est justifié et ce qui ne l'est pas. De loin, il est facile de dire: ‘C'est comme ça en temps de guerre; des gens sont tués’. Mais en temps de guerre, il n'y a pas 30 000 morts, la plupart enterrés sous les ruines lorsqu'elles sont bombardées depuis les airs. On a le sentiment de tirs sans discernement.”

Les autorités sanitaires de Gaza estiment le bilan confirmé à 39 000 morts, auquel s'ajoutent des milliers de personnes perdues dans les décombres. Une étude récente du Lancet estime le nombre de morts à 186 000.

Un quatrième réserviste, un homme de 26 ans du renseignement militaire qui a demandé à rester anonyme, décrit son expérience. Chargé de trouver les cibles des assassinats, il a commencé à se rendre compte qu'il participait à des actions qui violaient sa conscience. Il a dit: «Ils les justifient avec une centaine les raisons. »

Il a expliqué: «Vous avez l’impression de faire quelque chose sans aucune justification militaire, avec le risque de causer des dommages très graves à des gens qui sont sans aucun doute innocents, uniquement parce que vous devez montrer une réussite. En fin de compte, le refus est un acte politique». Il a ajouté : « Ce qui se fait là-bas est un crime, notamment parce que c’est inutile, et cela nuit personnellement à mon avenir en tant que citoyen de ce pays. »

Témoignant devant une commission de la Knesset le mois dernier, Guy Zaken, un soldat qui conduisait des bulldozers D-9 à Gaza, a déclaré que lui et son équipe «avaient écrasé des centaines de terroristes, morts et vivants». Un soldat avec lequel il a servi s'est ensuite suicidé, l'un des dix au moins s'étant suicidés depuis le début de la guerre. Environ 1600 soldats souffriraient de troubles de stress post-traumatique.

Tal Mitnick, le premier objecteur de conscience israélien à sa guerre d'anéantissement contre Gaza, a finalement été libéré de la prison militaire après avoir purgé six peines successives totalisant plus de six mois, la plus longue période jamais purgée par un objecteur de conscience israélien, et exempté de servir dans l’armée israélienne. Ce jeune homme de 18 ans a été la première personne, depuis le début de la guerre du 7 octobre contre les Palestiniens, à refuser, pour des raisons de conscience, la conscription obligatoire pour les jeunes.

«Je suis soulagé d'être exempté après si longtemps. Heureusement, j’ai eu l’opportunité de jouer un rôle dans la lutte contre la guerre et l’occupation » a-t-il déclaré, ajoutant: «De plus en plus de voix dans notre société se rendent compte que seule la paix peut garantir la sécurité et que la seule façon de sortir du cycle et de créer un avenir différent pour les deux peuples est un cessez-le-feu et un accord d’otages».

Mitnick est l’un des trois jeunes qui ont refusé en tant qu’objecteurs de conscience de servir dans l’armée israélienne.

En juin, Sofia Orr, 19 ans, a été libérée au bout de 85 jours de prison militaire à Neve Tzedek, après avoir refusé de s'enrôler. Elle a déclaré à l’armée israélienne: «Je refuse de m’enrôler afin de montrer que le changement est nécessaire et que le changement est possible, pour la sécurité et la sûreté de nous tous en Israël-Palestine, et au nom d’une empathie qui n’est pas limitée par l’identité nationale. » Elle a expliqué: «Je refuse de m’enrôler parce que je veux créer une réalité dans laquelle tous les enfants entre le Jourdain et la mer [Méditerranée] peuvent rêver sans cages».

Bien qu’elle ait été condamnée à plusieurs peines de prison militaire, elle a toujours refusé la conscription. «J'ai réalisé que l'armée ne défendait pas les valeurs fondamentales avec lesquelles j'ai grandi, à savoir la résolution des conflits par le dialogue, l'empathie, la solidarité et l'égalité – pas de la manière dont elle traite ses propres soldats ni de la façon dont elle se comporte à l'extérieur dans l'occupation et la guerre. C'est un système qui est par nature très agressif et violent, et je ne peux pas participer à un tel système.»

Un troisième jeune Israélien, Ben Arad, est toujours en prison, après avoir été condamné en avril pour avoir refusé la conscription.

(Article paru en anglais le 23 juillet 2024)

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