L’ouvrage de David North, La logique du sionisme: du mythe nationaliste au génocide de Gaza, traite des conséquences désastreuses des programmes politiques nationalistes

Mehring Books a récemment publié une deuxième édition augmentée de The Logic of Zionism: From Nationalist Myth to the Gaza Genocide [La logique du sionisme: du mythe nationaliste au génocide de Gaza] de David North. Le livre contient désormais cinq conférences et discours prononcés entre le 24 octobre 2023 et le 12 mars 2024, dans le Michigan, à Londres, à Berlin et à Istanbul, alors que se déroulait le génocide israélien soutenu par l’impérialisme contre le peuple de Gaza.

Les conférences abordent les questions politiques les plus urgentes qui préoccupent les masses de travailleurs et de jeunes du monde entier: quelles sont les causes du génocide à Gaza et comment peut-on l’arrêter?

North, président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site et du Socialist Equality Party aux États-Unis, propose une analyse marxiste du développement historique du sionisme, l'idéologie nationaliste qui a justifié la fondation de l'État d'Israël en 1948 et l'expulsion violente de 750.000 Palestiniens de leurs terres par le massacre de personnes innocentes et la destruction de centaines de villages.

L’ouvrage montre comment le sionisme est né au XIXe siècle, avec le soutien des puissances impérialistes, en opposition directe au soutien généralisé pour le socialisme au sein de la classe ouvrière juive. North explique également la stratégie socialiste et internationaliste nécessaire pour mobiliser la classe ouvrière contre le régime de Netanyahou et le système impérialiste, qui mène aujourd’hui la planète vers une troisième guerre mondiale dévastatrice.

David North s'exprimant à l'Université du Michigan, le 24 octobre 2023

Le massacre par Israël de dizaines, voire de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, la destruction de villes entières, d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées et l’imposition d’une famine catastrophique aux 2,3 millions d’habitants de Gaza : tout cela a provoqué un profond choc et une colère contre le régime de Netanyahou et ses soutiens impérialistes aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne et ailleurs. Cela a alimenté la radicalisation politique de millions de travailleurs et de jeunes, pour qui le sionisme est désormais synonyme de certaines des pires atrocités commises depuis la Seconde Guerre mondiale.

L’un des aspects de cette radicalisation est l’intérêt croissant pour l’histoire de l’oppression des Palestiniens. Des ouvrages historiques critiques sont largement lus, notamment The Hundred Years’ War on Palestine (2017) de Rashid Khalidi et The Ethnic Cleansing of Palestine (2006) [Le nettoyage ethnique de la Palestine] d’Ilan Pappé. Ce dernier a fait l’objet de cinq réimpressions en 2023 dans l’édition en langue anglaise.

Ces ouvrages exposent en détail les crimes commis par la classe dirigeante israélienne et les puissances impérialistes en Palestine, au Liban et dans tout le Moyen-Orient. Les solutions qu'ils proposent ne vont cependant pas au-delà d'appels à la réconciliation et au compromis entre le régime israélien et le peuple palestinien. Ils expriment l'espoir qu'une sympathie populaire croissante persuadera les gouvernements de garantir aux Palestiniens leurs droits fondamentaux.

Les organisations de la classe moyenne qui dominent actuellement les manifestations contre le génocide ont adopté la même stratégie politique consistant à faire pression sur les gouvernements capitalistes pour obtenir un cessez-le-feu. Cette stratégie a manifestement échoué. Malgré l’ampleur sans précédent des manifestations, les puissances impérialistes continuent d’armer et de soutenir politiquement le régime de Netanyahou.

Le gouvernement Biden et ses homologues en Europe, en Australie et au Canada ont largement démontré qu’ils étaient insensibles à l’opinion publique. Ces gouvernements, soutenus par les grands médias, se sont lancés dans une campagne ignoble visant à diffamer les manifestants en les qualifiant d’«antisémites» et ont déclenché une violence policière contre des manifestations pacifiques.

En opposition à la perspective dominante, The Logic of Zionism soutient que la lutte contre la guerre ne peut se fonder que sur une stratégie révolutionnaire internationale. North explique que le génocide à Gaza et la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine «sont deux fronts de bataille dans une troisième guerre mondiale en pleine escalade, dont l’ampleur et la férocité, à moins qu’elle ne soit stoppée par un mouvement anti-guerre de masse de la classe ouvrière internationale, dépasseront celles de la Première Guerre mondiale (1914-1918) et de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945)».

Israël, avant-poste impérialiste lourdement armé, joue un rôle central dans les opérations américaines contre l’Iran, la Syrie et le Yémen. Le soutien du gouvernement Biden au massacre du peuple palestinien est un avertissement aux travailleurs de ces pays, ainsi qu’à la Russie et à la Chine, quant aux méthodes qui seront utilisées contre quiconque résistera à la campagne impérialiste de reconquête du monde.

North rejette la propagande hypocrite et sans bornes qui prétend que, selon les mots du président Joe Biden, l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre était un acte de «mal pur et simple» qui doit être vengé. L’incursion armée hors de Gaza ne peut être comprise que comme le produit de décennies d’oppression brutale par Israël, tout comme de nombreux autres soulèvements anticoloniaux violents à travers l’histoire, notamment «la mutinerie des Cipayes en Inde, le soulèvement des Indiens Dakota contre les colons, la rébellion des Boxers en Chine, des Hereros en Afrique du Sud-Ouest et, plus récemment, le soulèvement des Mau Mau au Kenya».

De nombreuses questions subsistent quant aux raisons pour lesquelles l'attaque du Hamas n'a pas été empêchée par les forces israéliennes. Elle a cependant servi de prétexte à une opération de nettoyage ethnique planifiée de longue date à Gaza et en Cisjordanie.

Tout en refusant de se joindre aux dénonciations morales hypocrites de l’attaque du 7 octobre, North explique que le programme nationaliste bourgeois du Hamas est incapable de vaincre le régime sioniste:

En dernière analyse, la libération du peuple palestinien ne peut être obtenue que par une lutte unifiée de la classe ouvrière, arabe et juive, contre le régime sioniste ainsi que contre les régimes capitalistes arabes et iraniens traîtres, et leur remplacement par une union de républiques socialistes dans tout le Moyen-Orient, et, en fait, dans le monde entier.

C'est une tâche gigantesque. Mais c'est la seule perspective qui se base sur une évaluation correcte de l'étape actuelle de l'histoire mondiale, des contradictions et de la crise du capitalisme mondial et de la dynamique de la lutte des classes internationale. Les guerres de Gaza et d'Ukraine sont des démonstrations tragiques du rôle et des conséquences catastrophiques des programmes nationaux à une époque historique dont les caractéristiques essentielles et déterminantes sont la primauté de l'économie mondiale, le caractère intégré à l'échelle mondiale des forces productives du capitalisme et, par conséquent, la nécessité de fonder la lutte de la classe ouvrière sur une stratégie internationale.

C’est là l’essence de la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky. Avant qu’Israël ne lance son génocide, North avait prévu de donner une série de conférences sur l’histoire du mouvement trotskiste. L’année dernière marquait le centenaire de la fondation de l’Opposition de gauche, dirigée par Léon Trotsky pour s’opposer à l’usurpation du pouvoir de la classe ouvrière par la bureaucratie dirigée par Staline, dont le régime répudiait le programme de la révolution socialiste mondiale. L’année dernière marquait également les 70 ans de la lettre ouverte écrite en 1953 par le dirigeant du Socialist Workers Party américain, James P. Cannon, s’opposant à la tentative d’une faction pro-stalinienne à la tête de la Quatrième Internationale dirigée par Michel Pablo de liquider le mouvement en le transformant en de nombreux partis staliniens, réformistes bourgeois et nationalistes de la classe moyenne à travers le monde. Cette lettre ouverte marquait la fondation du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI).

Comme l’explique North, l’assaut d’Israël contre Gaza nécessitait de réorienter le sujet, mais les conférences démontrent néanmoins le lien profond entre la crise actuelle et «les questions cruciales de la théorie marxiste, de la perspective politique et du programme socialiste qui étaient au cœur de la lutte menée par l’Opposition de gauche contre le stalinisme».

Décrivant cela comme «la lutte politique la plus importante du XXe siècle», North souligne que si les internationalistes avaient prévalu, le cours de l’histoire tout entier aurait été radicalement différent:

Hitler aurait pu être arrêté. Trotsky prônait un front unique des partis social-démocrate et communiste, les deux partis de masse de la classe ouvrière allemande. Il écrivait que rien n’était plus crucial que la défaite d’Hitler et avertissait que la défaite de la classe ouvrière et l’arrivée au pouvoir d’Hitler seraient une catastrophe mondiale d’une ampleur inimaginable. Et Trotsky avertissait également que l’une de ces catastrophes serait l’annihilation des Juifs européens.

Ces avertissements ont été ignorés. Hitler est arrivé au pouvoir, et les conséquences furent effroyables. Cela a déclenché une série d’événements qui restent à l’œuvre dans la situation politique que nous connaissons aujourd’hui. Sans la victoire d’Hitler, sans la victoire du fascisme, il n’y aurait jamais eu de mouvement sioniste de masse, il n’y aurait jamais eu d’exode de Juifs vers la Palestine. Et l’un des facteurs majeurs de l’escalade de la crise à laquelle nous assistons aujourd’hui n’existerait tout simplement pas.

En d’autres termes, «la création de l’État sioniste fut le résultat direct des défaites de la classe ouvrière dans les années 1920 et 1930 à cause des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie».

L’analyse de North réfute avec force le grand mensonge qui assimile toute opposition à l’idéologie sioniste et à l’État d’Israël lui-même à de l’antisémitisme. Cette idée est sans cesse répétée par les politiciens et les médias américains et européens pour délégitimer l’opposition de masse au génocide à Gaza.

D’un côté, explique North, de telles affirmations sont tout simplement absurdes, compte tenu de la participation importante de tant de Juifs aux manifestations contre le génocide – y compris, pourrait-on ajouter, avec un mouvement en développement au sein même d’Israël. Il souligne également l’hypocrisie éhontée des hurlements d’«antisémitisme» étant donné «l’alliance ouverte des puissances impérialistes avec le régime ukrainien, dont le principal héros national, Stepan Bandera, était un fasciste et un antisémite cruel, le chef de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), qui a collaboré avec les nazis dans l’extermination des Juifs d’Ukraine».

Plus fondamentalement, North affirme que «la création de l’État sioniste n’a pas seulement été une tragédie pour les Palestiniens; elle a été et est également une tragédie pour le peuple juif. Le sionisme n’a jamais été, et n’est pas aujourd’hui, une solution à l’oppression et à la persécution historiques du peuple juif». Il cite l’analyse de Léon Trotsky, qui avait averti en 1938 que les Juifs seraient confrontés à la menace d’une «extermination physique» dans la guerre à venir, et qui avait déclaré en juillet 1940, un an après le début de la Seconde Guerre mondiale:

La tentative de résoudre la question juive par la migration des Juifs en Palestine peut désormais être considérée pour ce qu’elle était : une parodie tragique du peuple juif. [...] Jamais il n’a été aussi clair qu’aujourd’hui que le salut du peuple juif est indissociablement lié au renversement du système capitaliste.

L’antisémitisme moderne est apparu, souligne North, comme «une arme de lutte politique et idéologique contre la classe ouvrière et le mouvement socialiste émergents». La haine d’Hitler envers les Juifs était inextricablement liée à sa haine du bolchevisme et du mouvement ouvrier, qui comptait de nombreux Juifs parmi ses dirigeants.

Dans le même temps, le sionisme s’est développé comme une réaction nationaliste de droite contre le soutien généralisé au socialisme parmi les travailleurs et les intellectuels juifs, qui «associaient le progrès social et la réalisation des droits démocratiques à leur assimilation, plutôt qu’à leur ségrégation de la société».

North accorde une attention particulière à Moses Hess, «la première personnalité majeure à avoir avancé la perspective d’un État juif en Palestine» dans son livre de 1862 Rome et Jérusalem : la dernière question nationale. Theodor Herzl, considéré comme le père du mouvement sioniste, «a déclaré plus tard que s’il avait été familier avec le livre de Hess, il n’aurait pas été nécessaire pour lui d’écrire son propre Der Judenstaat, l’État juif».

Moses Hess en 1870 [Photo: Unknown]

Hess était un socialiste et un ami de Karl Marx et de Friedrich Engels, mais il fut démoralisé par les défaites subies par la classe ouvrière lors de la vague révolutionnaire qui balaya l’Europe en 1848. En opposition directe à Marx, Hess insista sur la primauté de la «race» sur la classe, écrivant: «Toute l’histoire a été celle des guerres raciales et de classe. Les guerres raciales sont le facteur principal, les guerres de classe le facteur secondaire.»

Il défendait une position profondément pessimiste – qui est au cœur du sionisme – selon laquelle les Juifs ne pourraient jamais être assimilés parce que la haine antisémite était profondément ancrée dans la population européenne. Sur cette base, Hess s’opposait à la lutte des socialistes contre l’antisémitisme et affirmait qu’une «patrie juive» était nécessaire à la survie et au progrès du peuple juif. Comme Herzl, Hess comprenait qu’un État juif en Palestine nécessiterait le soutien d’une puissance impérialiste majeure, qui serait selon lui la France.

Bien que Hess soit connu comme l’un des fondateurs du «sionisme travailliste», c’est-à-dire d’un courant apparemment de gauche, il défendait les mêmes positions racialistes et nationalistes que celles défendues plus tard par Herzl et tous les dirigeants sionistes. Le fasciste Ze’er Jabotinsky a rendu hommage à Hess comme à celui qui a ouvert la voie à la déclaration Balfour – la déclaration de 1917 dans laquelle le ministre britannique des Affaires étrangères exprimait le soutien de l’Empire britannique à «l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif».

Les positions de Hess se retrouvent de manière frappante dans la politique racialiste actuelle, que le World Socialist Web Site a soumis à des critiques dévastatrices. Dans sa réfutation exhaustive du Projet 1619 du New York Times, le WSWS a dénoncé la falsification de l’histoire américaine par celle-ci en la présentant comme un conflit insoluble entre Blancs et Noirs, la lutte des classes étant effacée des archives. L’interprétation erronée de l’histoire comme une guerre raciale sans fin sert à diviser la classe ouvrière et à empêcher un mouvement efficace contre la source de l’oppression raciale: le système capitaliste.

Les Juifs socialistes l’avaient compris depuis longtemps, et leur attitude à l’égard du mouvement sioniste à partir des années 1880, explique North, «était une hostilité irréconciliable». Dans l’Empire russe, où les sionistes bénéficiaient du soutien du régime tsariste, «l’antisionisme de toutes les factions du mouvement socialiste empêchait les sionistes de faire de sérieuses incursions dans la classe ouvrière».

Selon l’historien Jossi Goldstein, le Bund socialiste juif a lancé «une guerre à mort contre le sionisme», qu’il qualifiait de «cadavre en décomposition» et de «masque derrière lequel on exploitait les travailleurs et trompait la classe ouvrière».

La question la plus politiquement explosive examinée dans The Logic of Zionism est peut-être celle de la collaboration entre le sionisme et le régime nazi. Comme l’explique North, «aucune autre période de l’histoire – avant la fondation d’Israël en 1948 – n’a autant démontré le caractère réactionnaire du sionisme et sa prétention frauduleuse à représenter les intérêts du peuple juif que sa conduite dans les années 1930.» Il cite l’historien juif Saul Friedlander, qui a documenté la coopération des sionistes avec les nazis pour faciliter l’émigration vers la Palestine. Cela incluait l’invitation d’un journaliste du journal de Goebbels à se rendre en Palestine et à rédiger une série d’articles faisant la promotion de l’émigration.

Le 22 juin 1933, l’Organisation sioniste pour l’Allemagne adressa à Hitler un mémorandum tristement célèbre, qui saluait «la renaissance de la vie nationale d’un peuple, qui se produit actuellement en Allemagne grâce à l’accent mis sur son caractère chrétien et national». La lettre stipulait que le peuple juif devait passer par une «renaissance» nationale similaire.

Les apologistes du sionisme ont lancé à plusieurs reprises des campagnes de diffamation acharnées contre quiconque soulevait ces faits historiques accablants, y compris la philosophe Hannah Arendt, qui a été dénoncée comme une «juive qui se déteste elle-même» après la publication d’Eichmann à Jérusalem en 1963. La pièce de théâtre de 1987 de l’écrivain socialiste Jim Allen sur la collaboration entre nazis et sionistes, Perdition, mise en scène par Ken Loach, a été qualifiée d'«antisémite» par tous les grands journaux britanniques, et la pression sioniste a conduit à son annulation par le théâtre Royal Court la veille de son ouverture.

North souligne que «la sympathie exprimée par les organisations sionistes pour le nazisme ne peut pas être simplement expliquée comme une manifestation de lâcheté et d’opportunisme tactique grotesque. Le sionisme, qui est né du colonialisme impérialiste et s’est révélé être un ennemi du socialisme et d’une conception scientifique de l’histoire et de la société, s’est nécessairement basé sur les éléments les plus réactionnaires de la politique et de l’idéologie nationalistes.»

Le régime de Netanyahou perpétue la tradition de collaboration avec les nationalistes d’extrême droite, notamment des politiciens ouvertement antisémites des États-Unis, le Hongrois Viktor Orban, le gouvernement fasciste Meloni en Italie et l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro – pour n’en citer que quelques-uns qui ont visité Israël ces dernières années.

Cette histoire révèle l’équation totalement frauduleuse entre antisionisme et antisémitisme. Comme le dit North, un processus d’«inversion sémantique» est en cours: «Un phénomène historiquement associé à la droite politique se transforme en un attribut central de la gauche politique.»

Dans les campagnes de diffamation contre l’ancien dirigeant du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn et contre le musicien Roger Waters, éminent défenseur de la liberté des Palestiniens, le terme «antisémite» a été complètement séparé «de sa véritable signification historique et politique».

En Allemagne, des mesures policières sont utilisées pour réprimer les manifestations en faveur des Palestiniens sous prétexte d’«antisémitisme». L’Université Humboldt de Berlin, où North a donné sa troisième conférence le 14 décembre, n’a pas permis à l’International Youth and Students for Social Equality de la promouvoir avec un titre faisant référence au génocide à Gaza.

En réponse à la diabolisation des opposants juifs au génocide, qualifiés de «Juifs qui se détestent eux-mêmes», North souligne que l’opposition juive à la théologie politique du sionisme remonte à plus de 350 ans. Baruch Spinoza, l’un des plus importants philosophes des Lumières, fut excommunié par les anciens d’Amsterdam en 1656 pour avoir nié l’autorité de la Bible et «nié l’affirmation – qui était au cœur du judaïsme en tant que religion et du sionisme en tant qu’idéologie politique – selon laquelle les Juifs sont un “peuple élu”».

«Spinoza excommunié», tableau de Samuel Hirszenberg de 1907 [Photo: Samuel Hirszenberg]

North cite Isaac Deutscher, le biographe de Trotsky, qui considérait Spinoza comme l’un des principaux intellectuels juifs précurseurs de Marx, Trotsky et Rosa Luxemburg. Selon Deutscher, ces derniers étaient des «Juifs non juifs», dans le sens où ils avaient «dépassé le judaïsme» et avaient plutôt adopté «le message de l’émancipation humaine universelle».

La doctrine du «peuple élu» sert à justifier la «théologie de la vengeance» fasciste, «qui exige explicitement l’annihilation de tous les ennemis d’Israël», désignés dans les termes bibliques par «Amalek». Lorsque Netanyahou a dit aux Israéliens en novembre de «se souvenir de ce qu’Amalek vous a fait», il invoquait cette idéologie génocidaire.

Meir Kahane, fondateur de la Ligue de défense juive aux États-Unis et du parti Kach en Israël, est un des principaux représentants de la «théologie de la vengeance» qui appelait à l’expulsion de tous les Palestiniens. Selon un essai d’Adam et Gedaliah Afterman (cité par North), la théologie de Kahane «s’appuyait sur l’idée que l’État d’Israël avait été établi par Dieu en guise de vengeance contre les Gentils pour leur persécution des Juifs» et que sa puissance militaire devait être «mise au service d’une vengeance destinée à la rédemption», notamment par l’annexion violente de la Cisjordanie et de Gaza et le nettoyage ethnique complet des Palestiniens.

North décrit les écrits de Kahane comme «une variante en hébreu de la philosophie du Mein Kampf d’Hitler ». Le parti Kach de Kahane a été interdit en 1988 et Kahane a été assassiné en 1990. Pendant de nombreuses années, il a été considéré comme un extrémiste de droite en marge de la politique israélienne; pourtant, aujourd’hui, ses partisans sont au cœur du gouvernement. L’allié fasciste de Netanyahou, Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, est un fervent disciple de Kahane. Il a récemment mené une marche fasciste dans la vieille ville de Jérusalem-Est, ses partisans portant des t-shirts arborant le symbole du poing de Kahane.

Le sionisme du régime israélien, en bref, «représente l’antithèse et le rejet contre-révolutionnaire extrême» de tout ce qui est progressiste, démocratique et socialiste dans la tradition intellectuelle juive.

Pour appuyer ce point, North adopte une approche inhabituelle en parlant publiquement, pour la première fois, de l’histoire remarquable de sa propre famille. Il le fait «parce que certains éléments de mon expérience personnelle peuvent trouver un écho auprès d’une jeune génération et l’encourager à intensifier sa lutte pour la défense des Palestiniens et contre toutes les formes d’oppression».

Le grand-père de North, Ignatz Waghalter, quitta sa maison de Varsovie à l’âge de 17 ans pour se rendre à Berlin, où il suivit une formation de musicien. Malgré de nombreux obstacles liés à l’antisémitisme, il devint un compositeur et un chef d’orchestre très respecté, qui «occupa une place importante dans la vie culturelle de Berlin». Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, la carrière d’Ignatz prit fin et il s’enfuit du pays, d’abord en Tchécoslovaquie et en Autriche, pour finalement arriver à New York en 1937.

«Quelques jours après son arrivée, raconte North, Ignatz a lancé un projet d’importance historique: la création du premier orchestre de musique classique composé de musiciens afro-américains.» Poussé par de fortes convictions démocratiques, il a déclaré: «La musique, la plus forte citadelle de la démocratie universelle, ne connaît ni couleur, ni croyance, ni nationalité.»

Ignatz résume son credo en ces termes: «Où que ce soit, je souhaite servir l’art et l’humanité selon les paroles de Moïse: “Vous avez été libérés de l’esclavage pour servir vos frères.”»

North fait ce commentaire:

Il est clair que la conception de l’éthique juive de mon grand-père était très différente de celle qui prévaut dans le gouvernement Netanyahou et dans l’État sioniste actuel. Il serait consterné et horrifié s’il savait ce qui se fait au nom du peuple juif.

Le frère d’Ignatz, Joseph, est mort dans le ghetto de Varsovie, son frère Wladyslaw est mort en 1940 «après une visite au quartier général de la Gestapo» et deux de ses trois sœurs ont péri en Pologne pendant la guerre. Malgré cela, North affirme que sa mère Beatrice, la fille d’Ignatz, «n’a jamais exprimé la moindre trace de haine ou d’amertume envers les Allemands». Dans la famille de North, «la ligne de démarcation [...] entre le bien et le mal n’était pas entre les Allemands et les Juifs, mais entre la gauche et la droite».

La dernière conférence de The Logic of Zionism, intitulée «Le génocide de Gaza et la mort d’Aaron Bushnell: quelles leçons politiques en tirer?», aborde la crise de direction politique dans le mouvement de protestation, à travers une analyse du suicide tragique de ce membre de l’armée de l’air américaine âgé de 25 ans. Le 25 février, Bushnell s’est immolé par le feu devant l’ambassade d’Israël à Washington DC en criant «Libérons la Palestine!»

North insiste sur le fait que «la tristesse suscitée par la mort d’Aaron Bushnell et le respect pour son idéalisme et sa sincérité ne doivent pas aller jusqu’à justifier et louer son suicide, et encore moins à recommander un acte de “protestation extrême” aussi autodestructeur comme une forme efficace d’opposition politique au génocide à Gaza et, plus généralement, aux crimes de l’impérialisme».

Il polémique contre ceux, dont le candidat de pseudo-gauche à la présidentielle Cornel West, et en particulier le journaliste de gauche libéral Chris Hedges, qui «opposent la protestation futile du martyr individuel à la construction d’un mouvement politiquement conscient de millions de personnes, nécessaire pour mettre fin à la barbarie impérialiste et au système capitaliste sur lequel elle est basée».

En replaçant le suicide de Bushnell dans son contexte social et politique, North écrit que même s’il était rebuté par la «culture d’indifférence et de brutalité» de l’armée, il n’a pas trouvé d’alternative viable dans l’action politique collective et s’est senti poussé à répondre au génocide à Gaza d’une manière très individuelle.

Bushnell a grandi après la dissolution de l’Union soviétique par le stalinisme, lorsque les grèves de masse et les luttes de la classe ouvrière avaient pratiquement disparu, réprimées par la bureaucratie syndicale. Pendant ce temps, dans les universités, la politique de gauche «a été réinterprétée d’une manière qui ne se concentrait pas sur la question décisive de la classe sociale, mais sur diverses formes d’identité personnelle. Cela a eu pour effet, et a toujours pour effet, de renforcer l’influence de la vision réactionnaire et démoralisante de l’individualisme».

North cite le théoricien bolchevique et membre de l’Opposition de gauche Evgueni Preobrazhensky, qui a souligné «le pourcentage élevé de suicides à une époque de contre-révolution et de désordre social [...] lorsque les anciennes associations s’effondrent et que les nouvelles n’ont pas encore émergé, lorsque les forces centrifuges de la société l’emportent sur les forces centripètes» et que l’individu se sent «impuissant», isolé et «perd son équilibre».

North répond vivement aux affirmations de Hedges selon lesquelles «les sacrifices personnels individuels deviennent souvent des points de ralliement pour l’opposition de masse» et que l’action de Bushnell était un «appel de sirène pour combattre le mal radical». North accuse Hedges d’avoir agi «en fait, non seulement comme un complice après coup dans la mort du jeune homme, mais aussi comme un instigateur de futurs suicides de protestation». Rejetant la fausse prémisse de Hedges selon laquelle de telles actions désespérées sont nécessaires pour secouer les masses de leur supposée indifférence, North écrit que le problème auquel est confronté le mouvement anti-génocide n’est pas le manque de soutien, mais que

Les protestations sont restées dans les limites des structures existantes de la politique bourgeoise, et ne visaient pas à la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre le régime capitaliste, mais plutôt à l’exercice d’une pression sur les gouvernements bourgeois pour qu’ils changent leur politique.

North oppose la position de Hedges – qui «témoigne du pessimisme, de la faillite intellectuelle et du caractère essentiellement réactionnaire de la pseudo-gauche de la classe moyenne» – à celle de Trotsky, qui s’opposait aux actes individuels de martyre dans la lutte contre le fascisme. Dans un article mémorable rendant hommage à Herschel Grynszpan, un Juif d’origine polonaise de 17 ans qui assassina un diplomate nazi à Paris en novembre 1938, Trotsky écrivait:

À tous les autres aspirants Grynszpan, à tous ceux qui sont capables de se sacrifier dans la lutte contre le despotisme et la bestialité: cherchez une autre voie! Ce n'est pas un vengeur solitaire, mais seulement un grand mouvement révolutionnaire de masse qui pourra libérer les opprimés, un mouvement qui ne laissera aucun vestige de toute la structure de l'exploitation de classe, de l'oppression nationale et de la persécution raciale.

North conclut que «ces mots résonnent à notre époque et – en changeant ce qui doit être changé en fonction des circonstances – résument avec force les leçons politiques qui devraient être tirées de la mort tragique d’Aaron Bushnell».

Cela nous ramène à l’argument central de The Logic of Zionism: seule l’unification de la classe ouvrière de toutes les nationalités, dans la lutte pour la révolution socialiste mondiale, mettra fin à la guerre et à l’oppression raciale ou nationale. Le programme du nationalisme, qui insistait sur le fait que le peuple juif pouvait être protégé en se séparant et en créant «son propre» État, a conduit à un siècle d’oppression des Palestiniens, à des guerres répétées et à un régime fasciste qui commet un génocide à Gaza.

Les appels lancés aujourd’hui en faveur d’une «solution à deux États» ne sont pas moins vains. Un État palestinien appauvri, construit sur un amas de décombres et une montagne de cadavres, serait, pour reprendre l’expression de Trotsky, une «parodie tragique» à l’égard du peuple palestinien. Il garantirait la poursuite de son oppression par Israël et les puissances impérialistes, aidées par la bourgeoisie palestinienne.

Dans une économie totalement mondialisée, la division du monde en États rivaux est un anachronisme réactionnaire. Elle ne sert que les intérêts des classes dirigeantes criminelles, qui déclenchent une nouvelle guerre impérialiste catastrophique pour se partager à nouveau le monde, ses richesses et ses ressources.

The Logic of Zionism montre qu’il y a toujours eu une alternative progressiste au sionisme, et que cette alternative demeure. Alors que des millions de personnes sont poussées à lutter contre la guerre, la dictature et la dégradation de leur niveau de vie, le livre de North sera une arme importante dans la lutte pour vaincre l’influence du radicalisme de la classe moyenne et de toutes les formes de politique nationaliste et raciale, afin de gagner les travailleurs et les jeunes à la perspective et au programme internationalistes du mouvement trotskiste.

(Article paru en anglais le 17 juin 2024)

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