Québec Solidaire (QS), le parti de la pseudo-gauche au Québec et le troisième parti à l’Assemblée nationale, est en crise après plusieurs démissions et des tensions internes accrues autour de son orientation politique.
Après seulement 6 mois en poste, Emilise Lessard-Therrien, l'une des deux co-porte-parole du parti, a claqué la porte en reprochant au parti d'être mené par «une clique de professionnels» autour de Gabriel Nadeau-Dubois, l'autre co-porte-parole. «On sentait que les discussions étaient faites ailleurs» et «qu’on avait pris des décisions qu’on nous présentait pour qu’on les adopte», a-t-elle ajouté.
Ces dissensions ne sont pas réellement liées à un conflit de personnalités ou à un style de gestion trop autoritaire. Elles sont alimentées avant tout par l’échec de QS à réaliser son objectif annoncé de devenir la «véritable opposition» au gouvernement de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec) après les élections de 2018.
Alors que la colère sociale gronde, marquée l’an dernier par un vaste débrayage dans le secteur public, QS s'avère incapable de profiter de la chute de la CAQ dans les intentions de vote. Il reçoit maintenant seulement 12 pour cent d'appui selon les sondages. C'est le Parti québécois (PQ), un parti indépendantiste de droite vers lequel QS s'est historiquement orienté, qui monte dans les sondages en récoltant une partie de la grogne populaire envers la CAQ.
Nadeau-Dubois a répliqué aux critiques de son ex-collègue en réitérant de manière encore plus explicite ses appels de longue date pour un vigoureux coup de barre à droite. Il a dit qu'il voulait rendre le parti plus «pragmatique» et que pour en faire un parti «de gouvernement», il faut «faire des choix». Autrement dit, Nadeau-Dubois, appuyé par toute la direction du parti, veut positionner QS en tant que parti capitaliste prêt à imposer le programme d’austérité et de guerre de la classe dirigeante.
Dans un sens plus immédiat, il cherche à mettre la table pour le Conseil national de QS, qui se tiendra cette fin de semaine et où sera présentée la Déclaration de Saguenay – la réponse de la direction à la défaite électorale de Québec Solidaire en 2022 où il a perdu des voix.
QS a toujours été un parti des classes moyennes aisées et sa critique du capitalisme a toujours été timide et ambigüe. Mais avec la déclaration de Saguenay, le parti vise à se débarrasser de ce qui lui reste de son image «anti-establishment».
Par exemple, la nationalisation, partielle ou complète, de l'industrie minière et forestière, qui était inscrite à son programme, mais pour laquelle QS ne s'est jamais battu, serait retirée. La Déclaration de Saguenay comprend ce passage: «Québec solidaire reconnaît le rôle central de l’industrie forestière dans l’épanouissement économique de plusieurs régions du Québec». Elle n'aborde pas directement l'industrie minière, mais Christine Labrie, la nouvelle co-porte-parole par intérim et députée de QS, a dit que le parti est plus «nuancé» sur cette question.
Les reculs de QS sur ses promesses creuses de nationalisations ont provoqué une levée de boucliers parmi diverses factions en son sein, y compris ceux qui se présentent comme éco-socialistes et même marxistes. Ces éléments prennent une posture d’«opposition» à la haute direction sans soulever aucun des enjeux fondamentaux – les attaques sur les conditions sociales des travailleurs, la guerre impérialiste, le chauvinisme anti-immigrants de l’élite dirigeante, et la montée des luttes de classe sur une échelle internationale.
Les représentants politiques de l’élite dirigeante et les grands médias ont favorablement accueilli le tournant à droite de QS. Par exemple, Jean-François Lisée, ex-chef du Parti québécois et ardent promoteur du chauvinisme anti-immigrants, a noté sur un ton approbateur qu’avec la Déclaration de Saguenay, QS «abandonne» son objectif de «sortie du capitalisme».
En réalité, le processus d’intégration de QS à l’establishment dirigeant est en cours depuis longtemps.
* QS a légitimé le tournant de toute la classe dirigeante québécoise vers le chauvinisme, qui a culminé avec l'adoption de la Loi 21 de la CAQ dirigée en particulier contre les femmes de confession musulmane. Il a qualifié ces débats toxiques de «légitimes» et même fait écho à certains des propos les plus virulents de la classe dirigeante envers les immigrants, par exemple en les blâmant pour la crise du logement.
* QS a appuyé toutes les aventures impérialistes menées par Washington avec le soutien d’Ottawa, en reprenant à son compte tout le blabla sur les «Droits de l'Homme» – que ce soit en Irak, en Afghanistan, au Libye ou en Ukraine dans la guerre de l'OTAN contre la Russie.
* QS refuse de dénoncer l'État fédéral canadien comme un État impérialiste. Cela se reflète dans son attitude face au génocide à Gaza, mené par Israël et pleinement appuyé par le gouvernement libéral canadien de Justin Trudeau. Lorsqu'un campement a été érigé à l'Université McGill de Montréal en opposition à la guerre d’Israël contre Gaza, le député QS Alexandre Leduc a dit que les étudiants ont le droit de protester, mais que «c'est aussi un droit pour McGill d'aller vers les tribunaux et de demander de l'aide». Cette position représente une justification pour la répression des opposants au génocide.
Les partis frères de QS au niveau international – comme PODEMOS en Espagne, Die Linke en Allemagne ou SYRIZA en Grèce – ont été impliqués dans le même tournant anti-ouvrier. Hostiles à la lutte des classes, ils s'intègrent encore plus à leur classe dirigeante. Ils ont même formé ou joint le gouvernement et implanté directement les programmes d'austérité et de guerre dictés par la grande entreprise et les banques.
Les divers courants d’«opposition» à la direction de QS – que ce soit Lessard-Therrien, l'ex-députée et ex-membre d'Option nationale Catherine Dorion ou les pseudo-marxistes de Gauche socialiste – opèrent sur une base politique extrêmement limitée qui s’inscrit entièrement dans le cadre provincialiste étroit dont QS a fait sa marque de commerce.
Tous ces courants sont organiquement hostiles à la lutte de classe. Ils ne cherchent aucunement à mobiliser l'opposition populaire contre les politiques d'austérité et de guerre des classes dirigeantes québécoises et canadiennes.
Quarante ex-militants de QS, dont le pabliste André Frappier qui faisait partie de la direction, ont co-signé une lettre où ils affirment que si «nous voulons prendre le pouvoir», ce «n’est pas pour l’occuper tranquillement en y passant les quelques projets de loi que les élites dominantes voudront bien nous laisser passer».
Mais tout gouvernement auquel participerait QS serait tout autant voué à implanter les mesures de droite dictées par la grande entreprise que leurs homologues en Europe, qui ont utilisé leur crédit de «gauche» pour implanter un programme impopulaire.
Ce que les critiques de Nadeau-Dubois aimeraient, c'est que QS garde sa posture «contestataire», tout en se rapprochant de la bureaucratie syndicale au moment même où les travailleurs cherchent à s'opposer à ses trahisons, comme en témoigne le récent rejet massif de l'entente à rabais recommandé par le syndicat FIQ aux infirmières et autres travailleurs de la santé.
Ayant des divergences purement tactiques avec la direction, ces factions de QS s'inquiètent du fait que le parti est devenu à peine discernable de la CAQ et des partis bourgeois traditionnels. Ils craignent que QS n'arrive plus à jouer son rôle fondamental qui est de raviver le projet réactionnaire d'indépendance du Québec et, tout comme SYRIZA et Cie, bloquer le développement d'un véritable mouvement socialiste parmi la classe ouvrière et la jeunesse.
QS écrit dans la Déclaration de Saguenay: «Alors que la polarisation politique déchire nos voisins canadiens et américains, le Québec a une chance unique de la renverser. Ici, nous sommes capables de dialoguer». Cette promotion d’une «unité nationale» fictive sert à étouffer la lutte des classes et à subordonner les travailleurs à l’ordre capitaliste établi.
Les travailleurs et les jeunes conscients doivent rejeter ce poison nationaliste. Comme l’a expliqué le World Socialist Web Site dans un article récent qui démasque les efforts de QS pour donner une couverture «de gauche» au projet indépendantiste québécois dont le caractère rétrograde est encore plus manifeste:
«Il ne peut y avoir de solution 'nationale' aux grands enjeux de la société contemporaine – que ce soit la crise climatique, les pandémies, la pauvreté de masse ou le danger de guerre mondiale nucléaire. Seule l’unification de la classe ouvrière internationale dans une lutte commune contre le capitalisme en faillite et son système dépassé des États-nations peut offrir une issue progressiste à l’humanité.»