L’UE, le FMI et les puissances régionales renflouent l’Égypte en échange des services rendus à Israël et à sa guerre génocidaire

Face à la pire crise économique qu’elle ait connue depuis 50 ou 60 ans et à la montée des tensions sociales, l’Égypte a tiré parti de sa position de principal complice d’Israël dans la guerre génocidaire du régime sioniste contre Gaza pour obtenir une série de renflouements du Fonds monétaire international, de l’Union européenne (UE) et des alliés du Caire dans le Golfe.

Le week-end dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est rendue au Caire, en compagnie de dirigeants autrichiens, belges, chypriotes, grecs et italiens, pour y signer un accord avec le boucher du Caire Abdel Fattah al-Sisi. Présenté comme un « d’aide» de 8,1 milliards de dollars, cet accord vise à soutenir l’économie du pays le plus important du monde arabe, dont l’effondrement déstabiliserait la région et précipiterait des flux massifs de migrants vers l’Europe.

L’Égypte accueille environ 10 millions de migrants du Moyen-Orient, dont 450.000 personnes ayant fui la guerre civile qui dure depuis 11 mois au Soudan voisin.

Le financement de l’UE comprend 5,45 milliards de dollars de prêts concessionnels et 2 milliards de dollars d’investissements dans les énergies renouvelables, le commerce et la «sécurité» – c’est-à-dire le soutien aux forces de sécurité armées égyptiennes – au cours des trois prochaines années.

La présidente indienne Droupadi Murmu a rencontré le président de la République arabe d'Égypte Abdel Fattah El-Sisi au Rashtrapati Bhavan, siège de la présidence (25 janvier 2023) [Photo by MEAphotogallery / Flickr / CC BY-NC-ND 2.0]

L’économie égyptienne, en déclin depuis des décennies, a été durement touchée par la pandémie de COVID-19 qui a fait chuter un tourisme vital représentant 15 pour cent de son économie, et entraîné le retour des travailleurs du Golfe et la perte de leurs envois de fonds, gonflant les rangs des chômeurs. Une situation aggravée par le déclenchement de la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, qui a fait grimper le coût des importations agricoles, en particulier du blé, du maïs et des huiles de cuisson. Ces deux facteurs combinés ont entraîné une sortie de 20 milliards de dollars de capitaux spéculatifs – soit plus de la moitié des capitaux investis dans le pays – à la recherche de taux d’intérêt plus élevés.

La guerre à Gaza a entraîné une nouvelle baisse du tourisme et une chute catastrophique de 50 pour cent des revenus du canal de Suez, les navires évitant la route de la mer Rouge suite aux attaques des rebelles houthis du Yémen contre les navires commerciaux liés à Israël et à ses bailleurs de fonds américains et britanniques. Les industries manufacturières, pharmaceutiques et textiles égyptiennes en ont fortement souffert.

La guerre a également affecté le marché de l’énergie, les réexportations de gaz ayant chuté de plus de 50 pour cent au cours du dernier trimestre 2023 par rapport à la même période en 2022.

Les problèmes économiques de l’Égypte ont été exacerbés par les méga-projets de vanité d’Al-Sisi, notamment l’élargissement du canal de Suez pour 8 milliards de dollars, dont l’augmentation des revenus promise ne s’est pas concrétisée; un investissement de 300 milliards de dollars dans de nouvelles routes, ports et chemins de fer; un programme de réarmement massif; et une nouvelle capitale administrative de 58 milliards de dollars en construction depuis 2015 – dans le désert, à 28 miles [45 kilomètres] d’un éventuel nouveau soulèvement populaire au Caire.

En conséquence, l’Égypte dépense 32,79 milliards de dollars, soit plus de la moitié de son budget, pour le service de la dette. Les bénéficiaires en ont été les entreprises liées à l’armée qui dominent l’économie égyptienne et l’armée qui contrôle désormais un quart du budget.

Le chômage, le sous-emploi et la colère face au manque de services d’éducation et de santé sont largement répandus. Environ 30 pour cent des 108 millions d’habitants de l’Égypte vivent en dessous du seuil de pauvreté, tandis que 30 pour cent d’entre eux sont à la limite de ce seuil. L’Égypte, qui était autrefois la première puissance du Moyen-Orient et qui, même à la fin des années 1960, était plus prospère que la Corée du Sud et Taïwan, a le sixième plus bas PIB par habitant de la région et le quatrième plus bas taux d’alphabétisation.

Al-Sisi maintient son pouvoir d’une main de fer bien pire que celle du dictateur de longue date Hosni Moubarak. Des centaines d’opposants politiques ont été tués au cours de la dernière décennie de son gouvernement et 65.000 détenus politiques sont incarcérés dans les prisons égyptiennes, souvent sans inculpation ni procès, où ils sont soumis à la torture. Huit hauts responsables de l’opposition ont récemment été condamnés à mort.

Les médias indépendants sont censurés et des journalistes internationaux ont fait l’objet d’arrestations ; des journalistes d’Al Jazeera sont détenus depuis des années sans inculpation. Tous les médias occidentaux ont retiré leurs reporters. Toutes les grèves et manifestations sont brutalement réprimées.

Sur fond d’inquiétudes concernant la «sécurité» de l’Égypte, les puissances européennes ont mis de côté leurs critiques hypocrites sur les violations des droits de l’homme. Elles craignent que l’offensive terrestre préparée par Israël sur la ville de Rafah, au sud de Gaza, à la frontière égyptienne, qui pourrait forcer des centaines de milliers de Palestiniens à pénétrer dans la péninsule égyptienne du Sinaï, ne soit la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Le régime d’Al-Sisi est impliqué jusqu’au cou dans le génocide. Il a bouclé la frontière sud de Gaza et coordonne étroitement ses actions avec le régime fasciste de Netanyahou pour le blocage des livraisons d’aide et la construction d’un centre de détention temporaire pour les Palestiniens qui franchiraient le poste-frontière. L’armée égyptienne mène une guerre brutale contre la population de la péninsule du Sinaï sous couvert de lutte contre le «terrorisme islamiste», utilisant des méthodes similaires à celles d’Israël contre les Palestiniens.

L’accord de l’UE fait suite à la décision de la Banque centrale égyptienne d’augmenter les taux d’intérêt de 6 points de pourcentage, ce qui est sans précédent, et de laisser flotter la livre, entraînant une dévaluation de 60 pour cent de la monnaie et une hausse du coût des produits importés. Le gouvernement a accepté de privatiser ses entreprises publiques et de réduire ses dépenses en matière de projets d’infrastructure et de protection sociale. Ces mesures font partie d’un ensemble de «réformes de marché» réalisées en échange d’un prêt du FMI de 5 milliards de dollars, en plus des 3 milliards de dollars accordés en décembre 2022. Ce prêt supplémentaire intervient alors que le FMI a retenu des fonds l’année dernière en raison de préoccupations concernant les abus et la mauvaise gestion du gouvernement.

D’autres fonds sont en cours d’acheminement. Lundi, la Banque mondiale, organisation sœur du FMI, a annoncé qu’elle fournirait à l’Égypte une aide financière de plus de 6 milliards de dollars sur les trois prochaines années «pour l’aider à atteindre ses objectifs de développement».

Ces prêts font suite à la vente par Le Caire, le mois dernier, des droits de développement de la station balnéaire Ras el-Hekma, sur la Méditerranée, aux Émirats arabes unis (EAU) pour 35 milliards de dollars, présentée comme la plus importante transaction jamais réalisée par l’Égypte, avec un versement initial immédiat de 10 milliards de dollars des Émirats arabes unis. En vertu de cet accord, le fonds souverain des Émirats arabes unis ADQ développera la station balnéaire qui comprendra hôtels, lieux de divertissement, quartiers financiers et d’affaires, et un aéroport au sud de la ville.

Le Fonds d’investissement public de l’Arabie saoudite et l’Autorité d’investissement du Qatar sont en pourparlers pour conclure des accords similaires.

Ces accords avec le brutal dictateur égyptien indiquent la véritable nature des discussions entre le gouvernement Biden, l’Égypte et les États du Golfe, tenues sous couvert de négociations sur un cessez-le-feu et la libération des otages israéliens détenus par le Hamas à Gaza. La question est comment empêcher l’effondrement de l’État le plus grand et le plus important du monde arabe sur le plan stratégique, alors que la guerre de Gaza menace la stabilité régionale.

Quelques semaines avant les pourparlers, les élections présidentielles fictives tenues en Égypte en décembre ont reconduit al-Sisi au pouvoir jusqu’en 2030, avec 90 pour cent des voix contre les candidats de partis faisant partie du régime. Les États-Unis et les principales puissances européennes ont exprimé leur soutien à plusieurs reprises avant les élections.

La complicité du régime militaire dans le génocide des Palestiniens est étroitement liée à la répression de la classe ouvrière égyptienne. Le renversement de Mohamed Morsi par al-Sisi en juillet 2013 n’était pas simplement dirigé contre les Frères musulmans, il avait pour objectif la répression sanglante de la classe ouvrière égyptienne, la plus puissante de la région.

Des millions de travailleurs et de jeunes avaient renversé Moubarak en janvier 2011 après des jours de grèves et de manifestations de masse, ébranlant non seulement le capitalisme égyptien, mais encore toute la région. Si la dictature militaire d’Al-Sisi a fait tout ce qui était en son pouvoir pour noyer le mouvement de masse dans le sang, elle est assise sur une poudrière sociale, comme en ont parfaitement conscience toutes les puissances impérialistes ou régionales.

Des milliers et des milliers de gens ont protesté contre le génocide israélien à Gaza. En février, les travailleurs du textile de Mahalla al Kubra, centre historique de la lutte des classes en Égypte, ont entamé une grève d’une semaine pour obtenir une augmentation du salaire minimum, obligeant ainsi Al-Sisi à faire une concession, et signalant l’opposition montante de la classe ouvrière à sa dictature militaire contre-révolutionnaire.

(Article paru en anglais le 25 mars 2024)

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