En étroite collaboration avec Washington et en violation flagrante du droit international, le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau s’apprête à fermer complètement la frontière aux demandeurs d’asile qui entrent au Canada en provenance des États-Unis. Selon des sources gouvernementales qui ont divulgué des informations au quotidien montréalais La Presse le mois dernier, le Canada et les États-Unis ont négocié un accord visant à combler les «lacunes» de l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS).
L’objectif de cet accord, signé en 2004 par le gouvernement libéral de Paul Martin et l’administration de George W. Bush, était de permettre au gouvernement canadien de refouler tous les demandeurs d’asile entrant au Canada en provenance des États-Unis, sous prétexte que ce dernier est un «pays sûr» pour les réfugiés.
L’accord stipulait que les demandeurs d’asile seraient refoulés s’ils déposaient leur demande à un point d’entrée officiel au Canada. Toutefois, il ne précisait pas comment les demandes d’asile devaient être traitées si elles étaient déposées par des personnes entrées au Canada depuis les États-Unis de manière «irrégulière». Cette faille a encouragé les réfugiés cherchant désespérément à échapper à la persécution brutale des immigrants par l’administration Trump à traverser la frontière canado-américaine, longue de 8900 kilomètres, à des points non surveillés, afin de déposer leur demande d’asile sur le sol canadien. Pour ce faire, des dizaines de milliers de réfugiés appauvris d’Amérique latine, du Moyen-Orient et d’Afrique ont entrepris un voyage dangereux et souvent mortel qui implique souvent de marcher sur de longues distances dans des températures glaciales.
La fuite à La Presse, qui entretient des liens étroits avec le Parti libéral, est survenue peu après la levée, en novembre dernier, de l’interdiction d’entrée des migrants au Canada, mise en place au début de la pandémie de COVID-19. Agissant contre les migrants, la source gouvernementale anonyme à l’origine de la fuite a exhorté le gouvernement à mettre rapidement en œuvre l’accord jusqu’à présent secret, déclarant: «Nous n’avons pas le loisir d’attendre encore longtemps la mise en œuvre du nouvel accord pour pouvoir arrêter ce flux, qui est totalement insoutenable à plus ou moins court terme.»
Modifier l’ETPS pour fermer la porte à tous les demandeurs d’asile est une demande de longue date des conservateurs et des gouvernements provinciaux les plus à droite, comme le gouvernement Ford en Ontario et le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de Legault au Québec. Attisant le chauvinisme anti-immigrant et courtisant ouvertement l’extrême droite, ils qualifient régulièrement la frontière de «passoire» et rendent les réfugiés responsables de l’état de délabrement des services publics.
Dans un récent tweet, appelant à la «fermeture du chemin Roxham», un point de passage frontalier «irrégulier» couramment utilisé par les migrants cherchant refuge au Canada, le ministre du Travail de la CAQ, Jean Boulet, a fait des migrants les boucs émissaires du pic de cas de COVID-19 produit par le variant Omicron. En réalité, si le Québec et le Canada sont maintenant dévastés par la cinquième vague successive de la pandémie, c’est parce que les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada, agissant sur l’ordre des grandes entreprises et de l’oligarchie financière, ont systématiquement donné la priorité à la protection des profits des entreprises sur les vies humaines. La CAQ a joué un rôle clé dans la mise en œuvre de ce programme meurtrier en adoptant une politique explicite d’«immunité collective» et en refusant des EPI de haute qualité aux travailleurs de l’éducation, au personnel de la santé et aux autres travailleurs.
En accédant aux demandes des sections les plus à droite de l’establishment au sujet de l’ETPS, le gouvernement libéral de Trudeau démontre, une fois de plus, que ses prétentions à être «pro-réfugiés» – c’est-à-dire à soutenir ceux qui fuient l’oppression – sont une fraude totale.
La persécution impitoyable subie par les demandeurs d’asile sous Trump s’est poursuivie sous Biden et les démocrates, qui ont soutenu les «refoulements» réactionnaires de Trump à la frontière américano-mexicaine et appuient les brutes fascistes de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE). Le gouvernement Trudeau a été intimement impliqué dans la campagne anti-réfugiés de Trump, la collaboration canado-américaine sur les mesures anti-immigrants ayant atteint des niveaux sans précédent pendant les quatre années du président républicain à la Maison-Blanche. Trudeau et ses ministres ont eux-mêmes découragé à plusieurs reprises les migrants de venir au Canada, tout en intensifiant les expulsions et en veillant à ce que seul un petit pourcentage des demandes d’asile soit accepté.
En 2018, au nom de la «sécurisation des frontières», le gouvernement Trudeau a mis en place un objectif de 10.000 déportations annuelles, soit une augmentation de 35 % par rapport à l’année précédente. Des centaines de personnes dont la demande a été rejetée, y compris des enfants, sont détenues dans des conditions proches de la prison, similaires à celles imposées aux futurs expulsés aux États-Unis, en attendant d’être expulsées du Canada.
En 2019, le gouvernement Trudeau a considérablement réduit la capacité des migrants à demander l’asile au Canada en ajoutant subrepticement des amendements réactionnaires à la Loi d’exécution du budget. Tout en ajoutant 1 milliard de dollars pour la sécurité des frontières, les amendements empêchent les migrants qui ont déjà fait une demande d’asile auprès de pays qui ont un «accord de partage d’information» avec le Canada de faire une demande d’asile. Ces pays sont les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont tous, avec le Canada, membres des «Five Eyes», un réseau de pays qui exercent une surveillance de masse sur la population mondiale.
Nonobstant la pandémie qui fait rage, 12.222 réfugiés ont été expulsés au cours de l’année 2020, soit le total le plus élevé pour les expulsions depuis 2015. Sur les 58.000 migrants qui ont traversé la frontière de manière irrégulière depuis février 2017, seuls 14.500 ont vu leur demande acceptée et 12.000 ont été rejetées, selon la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada. Environ 29.600 demandes sont toujours en attente de traitement.
La tentative du gouvernement canadien de se poser en défenseur des «droits de l’homme» est hautement hypocrite. Ottawa a l’une des politiques d’immigration les plus restrictives au monde: un fait souligné par les éloges explicites que Trump lui a adressés pendant sa présidence. Cette politique n’est pas limitée par une quelconque responsabilité humanitaire envers les demandeurs d’asile, mais plutôt façonnée par les besoins mercenaires du marché du travail des grandes entreprises. Des milliers de travailleurs migrants mal payés et logés de façon épouvantable, originaires de régions appauvries des Caraïbes et d’Amérique latine, travaillent chaque année dans des fermes, des usines de conditionnement de viande et d’autres secteurs à bas salaires sur la base de permis de résidence temporaires. Ces programmes, qui s’apparentent aux contrats de travail des siècles passés, n’autorisent un travailleur à rester au Canada que s’il conserve son emploi auprès d’un employeur déterminé, et bloquent toute voie légale vers la résidence permanente.
Tout en prétendant être accueillant envers les immigrants et les réfugiés, l’impérialisme canadien dispose de «murs» naturels et politiques pour se protéger du grand nombre de personnes déracinées par les guerres, la dévastation environnementale et les programmes de restructuration économique que lui et ses alliés occidentaux infligent aux peuples d’Amérique latine, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’ailleurs. Non seulement le Canada est bordé par des océans sur trois côtés, mais il peut compter sur Washington, sous les administrations des partis républicain et démocrate, pour surveiller impitoyablement la frontière mexicaine et intimider le Mexique pour qu’il «traite» les migrants d’Amérique centrale et d’autres régions du sud en fermant hermétiquement sa propre frontière sud.
La persécution des réfugiés et des immigrants bénéficie du soutien de toutes les institutions de l’État capitaliste canadien. L’année dernière, le gouvernement libéral a gagné son appel d’une décision de la cour fédérale qui a jugé l’Entente sur les tiers pays sûrs inconstitutionnelle, parce que les personnes renvoyées aux États-Unis conformément à ses dispositions ont été soumises à un traitement qui «choque la conscience». Cela inclut l’emprisonnement automatique, souvent dans des conditions de type camp de concentration, où des enfants peuvent être séparés de leurs parents et des détenus privés de nourriture, de soins médicaux et de la «dignité humaine de base».
En annulant la décision de la juridiction inférieure, la Cour d’appel fédérale a délibérément ignoré les conditions barbares dans lesquelles les personnes renvoyées du Canada sont détenues par le gouvernement américain et leur sort ultérieur. C’est-à-dire une déportation presque certaine vers leur pays d’origine – des pays, comme Haïti, qui ont invariablement été ravagés par l’impérialisme américain et canadien.
N’eût été la fuite à La Presse, l’accord américano-canadien visant à rendre l’ETPS encore plus restrictive et draconienne serait resté secret jusqu’à ce qu’Ottawa et Washington décident de l’appliquer. Cela soulève la question: quels autres accords secrets ont été conclus entre le Canada et les États-Unis?
Washington provoque actuellement une confrontation militaire directe en Europe de l’Est avec la Russie, qui menace de plonger le monde dans une conflagration catastrophique impliquant des armes nucléaires. Quels accords secrets Trudeau a-t-il conclus avec Biden sur la façon dont Ottawa réagirait si la guerre éclatait?
Au cours des dernières décennies, l’étroit partenariat militaro-stratégique du Canada avec Washington a vu l’armée canadienne participer à une série ininterrompue de guerres et d’interventions militaires dirigées par Washington, que ce soit en Haïti, en Syrie, en Libye, en Afghanistan ou en Irak, qui, ce n’est pas un hasard, sont les pays d’origine d’un grand pourcentage des réfugiés du monde. Le Canada est étroitement intégré à l’offensive diplomatique, économique et militaro-stratégique en cours contre la Chine et la Russie, les deux puissances que les États-Unis ont identifiées comme leurs principaux rivaux.
La correction de la «faille» dans l’ETPS, qui augmentera la population de demandeurs d’asile aux États-Unis et le nombre d’expulsions de l’ICE, représente une faveur accordée par l’administration Biden au Canada. En retour, Washington attend sans doute d’Ottawa qu’il collabore encore plus étroitement avec lui dans son offensive diplomatique et militaire contre la Russie et la Chine, ainsi que dans la défense de leurs intérêts impérialistes communs en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Depuis son entrée en fonction, le gouvernement Trudeau travaille assidûment pour renforcer le partenariat militaire canado-américain vieux de huit décennies. Cela comprend l’augmentation des dépenses militaires de plus de 70 % d’ici 2026, la conclusion d’un accord peu médiatisé avec Washington pour «moderniser» NORAD, le commandement de la défense aérospatiale et maritime de l’Amérique du Nord, la participation aux opérations de «liberté de navigation» de Washington au large de la Chine, et la poursuite de la collaboration avec les forces d’extrême droite en Ukraine pour préparer une offensive militaire contre la Russie.
Pourtant, les États-Unis, qu’ils soient dirigés par les républicains de Trump ou les démocrates de Biden, et d’importantes sections de la classe dirigeante canadienne lui demandent d’en faire encore plus. Récemment, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il élaborait une «stratégie» indo-pacifique anti-chinoise en étroite consultation avec l’administration Biden. Cette dernière a intensifié l’offensive américaine contre la Chine en concluant le pacte de renseignement militaire entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni (AUKUS), en armant l’Australie de sous-marins nucléaires et en défendant la Quadrilatérale, une alliance quasi-militaire entre les États-Unis, leurs principaux alliés d’Asie-Pacifique, le Japon et l’Australie, et l’Inde.
Les travailleurs canadiens doivent s’opposer à la persécution des migrants et exiger que tous les accords secrets qu’Ottawa a conclus avec Washington dans le but de faciliter l’oppression, l’agression et le banditisme impérialistes soient rendus publics.
(Article paru en anglais le 28 janvier 2022)