La déclaration suivante a été publiée par Will Lehman, un travailleur de l’automobile de la base qui se présente à la présidence de l’UAW. Pour plus d’informations sur la campagne de Lehman, visitez WillforUAWPresident.org.
Shawn Fain, candidat à la présidence de la liste «Members United» (les membres unis) de l’UAW, me demande de le soutenir lors du second tour de l’élection pour remplacer le président sortant de l’UAW, Ray Curry, qui se tiendra selon le vérificateur des élections de l’UAW quelque part entre le 12 janvier et le 28 février.
Il y a deux raisons principales pour lesquelles je ne soutiens pas Fain.
Premièrement, le premier tour de l’élection est totalement illégitime, et les résultats ne devraient pas être certifiés. En effet, moins de 10 % des 1,1 million de travailleurs actifs et retraités autorisés à voter ont voté. Les deux candidats qui ont obtenu le plus de voix, Curry et Fain, ont chacun reçu moins de 4 % des votes des membres admissibles.
Ce résultat n’est pas dû à l’apathie des travailleurs, comme le suggère Fain. C’est le résultat d’une politique délibérée de l’appareil bureaucratique de l’UAW pour museler le vote et priver des centaines de milliers de membres de l’UAW du droit de déterminer qui dirige leur syndicat.
Par ailleurs, un grand nombre de travailleurs ne savaient même pas qu’une élection avait lieu. L’UAW n’a en effet envoyé aucun avis pour les informer. Aucune affiche n’a été apposée dans les usines et autres lieux de travail. De nombreux travailleurs n’ont jamais reçu de bulletin de vote malgré les appels passés aux bureaux locaux du syndicat et au vérificateur des élections de l’UAW.
Comment expliquer autrement que seulement 1279 des 30.000 membres, soit 4 % du nombre possible, et notamment des sections 5810 et 2865 de l’UAW à l’université de Californie (UC) aient voté lors de l’élection? Loin d’être apathiques, ces membres font partie des 48.000 travailleurs de l’UC engagés dans la plus grande grève de travailleurs universitaires de l’histoire des États-Unis. Parmi les autres sections locales de la région 6 de l’UAW ayant enregistré des taux de participation extrêmement faibles, mentionnons les 29 voix sur 11.000 employés diplômés de l’Université de l’État de Californie (section locale 4123 de l’UAW) (0,2 %) et les 74 voix sur 9000 assistants d’enseignement de l’Université de Washington (0,8 %) qui sont membres de la section locale 4121.
Dans une vidéo publiée sur Facebook le 7 décembre, Fain a approuvé ce simulacre d’élection et rejeté du coup cette privation du droit de vote de centaines de milliers de travailleurs. «Certaines personnes font tout un plat du fait que seuls 106.000 membres ont voté lors de l’élection, a-t-il déclaré, et à cela je réponds simplement que je préfère de loin avoir cent mille membres qui votent pour décider qui seront les principaux dirigeants de ce syndicat plutôt que mille délégués ou moins à une convention qui ont été mis sous pression ou intimidés par les personnes au pouvoir.»
L’année dernière, les membres de l’UAW ont voté à une écrasante majorité pour abolir le système antidémocratique des délégués et établir un vote direct des membres pour les hauts dirigeants de l’UAW, pour la première fois dans l’histoire du syndicat.
Après l’échec de la bureaucratie de l’UAW à bloquer le système «un membre, une voix», Curry et compagnie ont travaillé avec diligence pour restreindre le nombre de travailleurs pouvant participer à l’élection, ce qui a entraîné une forte baisse du nombre de bulletins de vote au premier tour de l’élection (106.000) par rapport au vote référendaire (143.000).
L’UAW, soutenue par le vérificateur des élections de l’UAW, l’administration Biden et les tribunaux fédéraux, s’est opposée l’action en justice que j’ai intentée le mois dernier pour demander une prolongation de 30 jours de la date limite de vote et pour que le tribunal fédéral oblige l’UAW à informer tous ses membres de l’élection et à s’assurer qu’ils aient des bulletins de vote.
Au lieu de cela, l’appareil de l’UAW a fait tout ce qu’il pouvait pour limiter la participation à l’élection aux dizaines de milliers de responsables nationaux, régionaux et locaux qui lui sont loyaux. De cette façon, ils se sont dit que l’élection ne serait rien de plus qu’un concours de beauté entre les factions rivales au sein même de l’appareil de l’UAW, excluant toute expression réelle des membres.
Ceci m’amène à la deuxième raison pour laquelle je ne soutiens pas Fain. Il prétend que tous les candidats opposés à Curry sont d’accord entre eux pour «réformer le syndicat». Maintenant, dit-il, nous devrions dire à ceux qui ont voté pour nous de soutenir Fain «pour finir le travail». Or, je me suis présenté à l’élection non pas pour réformer l’appareil bureaucratique de l’UAW, mais bien pour l’abolir et transférer le pouvoir aux travailleurs de la base dans les ateliers.
La défense par Fain de la légitimité de l’élection est liée au fait qu’il est un bureaucrate de longue date de l’UAW qui s’est hissé au sommet du tas d’ordures qu’est l’appareil de l’UAW en collaborant à la destruction des emplois, du niveau de vie et des conditions de travail des membres de l’UAW.
En tant que membre des comités de négociation UAW-Chrysler en 2009 et 2011, Fain a accepté une réduction de moitié des salaires des nouveaux embauchés, l’abolition de la journée de huit heures et le développement du travail intérimaire. Au moment des négociations de 2015, il a été nommé directeur adjoint du département UAW-Fiat Chrysler. Les procureurs fédéraux ont par la suite décrit ce département comme au centre même de la «culture de la corruption» lorsqu’ils ont condamné le patron de Fain, Norwood Jewell, pour avoir reçu des millions de dollars en pots-de-vin de la part de l’entreprise pour la signature et l’application de contrats pro-patronaux. Il est difficile de croire que Fain ne savait pas ce qui se passait sous son nez.
S’il est élu, le seul changement qui se produira c’est que Fain fera passer son salaire actuel de 156.364 $ d’«assistant administratif» à Solidarity House à près de 300.000 $, c’est-à-dire le salaire empoché par le président de l’UAW.
De nombreux travailleurs ont voté pour Brian Keller parce qu’ils s’opposaient tant à Curry qu’à Fain. Mais Keller a répondu à l’appel de Fain en demandant maintenant à ses partisans de voter pour lui. Tout en affirmant qu’il «ne peut soutenir publiquement qui que ce soit», Keller déclare: on a Ray Curry, et on a Shawn Fain: ce n’est pas un choix difficile.» Si Fain est élu, déclare Keller, nous verrons ce qu’il fera pour les membres. J’espère qu’il fera bien les choses. J’espère qu’il sera un homme de parole. Mais c’est le temps qui nous le dira. Nous verrons.»
Il n’y a aucun mystère sur ce que Fain fera. Il a loyalement servi la bureaucratie de l’UAW pendant toute sa carrière. Comme Curry, il va collaborer avec les entreprises dans l’assaut continu contre les membres de l’UAW.
Tout au long de ma campagne, j’ai lancé comme mise en garde que le fait de remplacer un bureaucrate syndical par un autre ne fera rien pour faire avancer nos intérêts. C’est pourquoi j’ai centré ma campagne sur la construction d’un réseau de comités de base, contrôlés démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes, comme nouveau centre de pouvoir décisionnel et de lutte contre le patronat.
J’appelle les travailleurs à exiger que tous les candidats à la présidence de l’UAW soient inclus dans le second tour de l’élection, et que tous les travailleurs soient pleinement informés de la tenue de cette élection. Ce n’est qu’ainsi que les travailleurs pourront exprimer un vote significatif, au lieu de choisir entre deux bureaucrates syndicaux qui ont reçu ensemble moins de 10 % des voix de tous les électeurs admissibles.
(Article paru en anglais le 13 décembre 2022)