Alex Lantier a prononcé ces remarques lors du sixième congrès national du Parti de l’égalité socialiste (Australie), qui s’est tenu du 24 au 27 septembre 2022. Lantier est le secrétaire national du Parti de l’égalité socialiste, section française du Comité international de la Quatrième Internationale.
C’est un honneur d’apporter les salutations révolutionnaires du Parti de l’égalité socialiste de France à votre très important congrès. Les résolutions présentées à ce congrès sur la guerre impérialiste, la pandémie de COVID, la défense de Julian Assange et sur l’Alliance internationale des travailleurs des comités de base (IWA-RFC) témoignent du fait que le CIFI [Comité international de la Quatrième Internationale] fonde son travail dans chaque pays sur une perspective internationale unifiée.
Les travaux de ce congrès confirment l’analyse faite par David North à l’école de 2019 du SEP américain, selon laquelle nous sommes entrés dans une nouvelle, cinquième période de l’histoire du trotskysme. C’est une période, d’une part, de crise globale mortelle du capitalisme, et d’autre part, de l’émergence du CIQI comme direction de la classe ouvrière internationale.
Ce congrès a lieu, bien sûr, dans l’ombre de l’escalade de la guerre de l’OTAN avec la Russie en Ukraine et des préparatifs avancés pour une guerre impérialiste avec la Chine. Les événements qui ont eu lieu dans les jours précédant immédiatement ce congrès ont confirmé de manière frappante l’avertissement lancé dans votre résolution sur un mouvement de la classe ouvrière internationale contre la guerre impérialiste. Les puissances impérialistes, comme l’indique la résolution, «plongent le monde tête baissée dans un conflit mondial entre puissances nucléaires qui menace l’existence même de l’humanité».
Washington et ses alliés impérialistes européens investissent des dizaines de milliards de dollars dans l’armement de l’Ukraine avec des armes de haute technologie pour des frappes à longue portée sur la Russie. Ils ont mis de côté les avertissements de hauts responsables russes, dont Poutine et Medvedev, selon lesquels la Russie pourrait répondre aux attaques de l’OTAN sur son sol en utilisant des armes nucléaires stratégiques. Alors que, Berlin et Paris ont réagi en s’engageant à armer davantage les milices d’extrême droite ukrainiennes contre la Russie, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a écarté le danger d’une guerre nucléaire, déclarant que cela le laissait «froid».
En réalité, la troisième Guerre mondiale a déjà commencé. La tâche à laquelle est confrontée la classe ouvrière internationale est de l’arrêter avant qu’elle ne dégénère en une annihilation nucléaire de l’humanité. Avant tout, la seule façon pour les travailleurs d’arrêter cette guerre est d’initier une lutte basée sur les perspectives du CIQI et sous sa direction.
Aucune puissance impérialiste ni parti de l’establishment, n'a été capable de résister à la course folle vers la guerre nucléaire. Cela inclut des pays qui, tels que l’Australie ou la France, se présentaient auparavant comme ayant une forme de capitalisme plus douce et plus aimable que leur cousin américain.
En 2019, quelques semaines avant que le COVID ne soit identifié à Wuhan, le président français Emmanuel Macron a critiqué la politique américaine vis-à-vis de la Russie. Il ne s’est pas, certes, adressé ouvertement aux travailleurs de France et du monde. Il a caché ses remarques derrière un mur payant dans The Economist, qui est loin d’être la publication qui a le plus grand lectorat de la classe ouvrière en France. Néanmoins, il est intéressant d’examiner le message qu’il a tenté de faire passer dans le dos des travailleurs.
L’OTAN, a déclaré Macron, est «en état de mort cérébrale». Macron a déclaré que sa politique qui consiste à attiser une guerre directe en Syrie entre la Russie et la Turquie, un État membre de l’OTAN, était «un énorme problème pour l’OTAN.» La politique américaine envers la Russie, a-t-il ajouté, est complètement déséquilibrée. «Quand les États-Unis sont très durs avec la Russie, a déclaré le président français, c’est une forme d’hystérie gouvernementale, politique et historique».
Appelant à «reconsidérer notre position vis-à-vis de la Russie», Macron a déclaré à The Economist que la France peut «parler à tout le monde et ainsi construire des relations pour éviter que le monde ne s’embrase».
Les remarques de Macron, prononcées de manière à éviter d’alerter les masses de travailleurs sur le danger de guerre, n’étaient pas une politique de paix. Ils reflétaient des tendances de longue date dans la politique étrangère impérialiste française. Dans les années 1960, au milieu des conflits avec les États-Unis sur le dollar américain et de la guerre française en Algérie, le président français, Charles de Gaulle, avait insisté sur le fait que de bonnes relations avec Moscou étaient essentielles pour équilibrer les relations avec l’Amérique et empêcher une guerre nucléaire en Europe.
Pourtant, les remarques de Macron, aussi faillibles soient-elles, ont clairement montré que les cercles dirigeants sont conscients qu’ils sont sur le point d’anéantir l’humanité. Que reste-t-il aujourd’hui des timides appels à la raison de Macron? Il est désormais l’un des principaux pyromanes du monde, envoyant l’artillerie lourde française en Ukraine pour bombarder la Russie et risquer une guerre nucléaire. De plus, l’ensemble de l’establishment médiatico-politique couvre ses propos antérieurs.
Nous assistons à une confirmation éclatante des perspectives que le CIQI a développées après la scission de 1985 avec le WRP et la dissolution stalinienne de l’URSS en 1991. Le CIQI a souligné que 1991 ne marquait pas la fin de l’histoire et le triomphe final du capitalisme sur le socialisme. Aucune des contradictions fondamentales du capitalisme qui ont conduit aux luttes révolutionnaires du 20ème siècle ― guerre, inégalité sociale, réaction fasciste ― n'ont été résolues. De plus, à l’ère de la mondialisation économique, aucune des anciennes bureaucraties syndicales nationales ne pouvait conserver une base dans la classe ouvrière.
Comment expliquer le basculement de Macron ― et, tel que le WSWS l’a documenté, de la bureaucratie syndicale stalinienne CGT et de tout le milieu pseudo-gauchiste pabliste ― dans le camp de la pyromanie nucléaire?
La crise géopolitique de l’impérialisme mondial et du dollar américain découle des 30 années de guerre qui se sont déroulées depuis 1991 et joue un rôle central. La résolution contre la guerre présentée à ce congrès montre très clairement comment les plans de l’OTAN visent à détruire et à diviser la Russie. Ils font partie d’une stratégie impérialiste plus large d’encerclement et de division de la Chine et de pillage de toute l’Eurasie. Aucune puissance impérialiste ne peut se permettre de rester en retrait de la course au pillage.
La décision de l’impérialisme français d’abandonner ses critiques, même tièdes, des politiques de guerre américaines est motivée avant tout par la résurgence de la lutte de classe internationale.
Quelques semaines après que Macron ait mis en garde dans l’Economist contre une guerre avec la Russie, l’UE a lancé une politique délibérée d’infection massive au COVID-19 qui a fait deux millions de morts en Europe. Les sauvetages bancaires de plusieurs trillions d’euros utilisés pour sauver les super-riches pendant la pandémie ont complété la dévastation économique causée par le virus. Combinés au refus des pays de l’UE de payer les importations de gaz naturel russe, ils provoquent une flambée dévastatrice des prix de la nourriture et de l’énergie. Cela a préparé le terrain pour une confrontation explosive entre l’UE et la classe ouvrière européenne.
La mobilisation massive des travailleurs sri-lankais contre Rajapakse et la vague de grèves en Amérique et en Grande-Bretagne sont les premières secousses d’une éruption mondiale massive de la lutte des classes qui se prépare. En Europe, des masses de travailleurs se demandent comment ils vont manger et chauffer leur maison cet hiver, 8 français sur 10 réduisent désormais leurs dépenses de nourriture et de chauffage. Même les groupes de réflexion bourgeois admettent qu’ils s’attendent à des protestations sociales massives à travers l’Europe cet hiver.
Ces luttes mettront la classe ouvrière en confrontation directe avec les partis de pseudo-gauche et les bureaucraties syndicales qui s’efforcent de contenir et de désamorcer l’opposition de gauche parmi les travailleurs. Lors de l’élection présidentielle française de cette année, le politicien de la pseudo-gauche Jean-Luc Mélenchon a obtenu 8 millions de voix, remportant la plupart des grandes villes de France, alors que, les travailleurs cherchaient à enregistrer une opposition de gauche à Macron et à la candidate néo-fasciste Marine Le Pen. Mélenchon a manqué de peu de battre Le Pen et d’atteindre le second tour contre Macron.
Pourtant, bien qu’il ait remporté 20 pour cent des voix, Mélenchon n’a appelé ni à la grève ni à des protestations et depuis mai, il n’a rien fait pour mobiliser ses partisans contre l’inflation et la guerre. Au lieu de cela, il a aligné son parti sur la propagande médiatique anti-russe. Cela est étroitement lié au fait que les fonds utilisés pour renflouer les riches et financer les guerres impérialistes servent également à financer les bureaucraties syndicales et les programmes de recherche universitaires de la France.
Pour comprendre les intérêts de classe servis par Mélenchon, il convient d’examiner les politiques menées cette année par ses alliés de l’autre côté des Pyrénées, le gouvernement de pseudo-gauche Podemos en Espagne. Alors qu’il a envoyé des armes antichars au bataillon néonazi Azov en Ukraine, il a envoyé des voitures blindées contre les métallurgistes en grève à Cadix et contre une grève nationale des camionneurs. Naturellement, Podemos a coordonné la répression des grèves avec les bureaucrates syndicaux staliniens et sociaux-démocrates qui ont travaillé à les faire cesser.
Votre résolution sur la construction de l’Alliance internationale des travailleurs des comités de base (IWA-RFC) est vitale. La seule voie possible pour les travailleurs est l’insurrection contre les diktats des bureaucraties syndicales nationales sur leurs luttes. Ceux qui montrent la voie, c’est la campagne de Lehman pour la présidence du syndicat de l'automobile (l’UAW), l’intervention du SEP dans la lutte pour une grève des chemins de fer américains et la lutte du SEP sri-lankais pour un Congrès démocratique et socialiste des travailleurs et des masses rurales ou encore la croissance des comités de base en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Dans ce contexte explosif, il est utile de rappeler les mots que Léon Trotsky a écrits en 1934, dans La guerre et la IVe Internationale, sur une politique marxiste si une seconde Guerre mondiale éclatait. La tâche, écrivait-il de façon mémorable, était de «suivre non pas la carte de la guerre, mais la carte de la lutte des classes». Dans ce travail, il a brillamment anticipé à la fois le rôle contre-révolutionnaire que le stalinisme jouerait dans les luttes de la classe ouvrière, ainsi que les insurrections qui se sont effectivement produites en 1944, lorsque les travailleurs se sont soulevés à Varsovie, Belgrade, Paris, Florence, Marseille et au-delà contre le nazisme. Trotsky a écrit:
«Même si, au début d’une nouvelle guerre, les révolutionnaires authentiques devaient se retrouver réduit à une petite minorité, nous ne pouvons douter un seul instant que, cette fois, le passage des masses sur le chemin de la révolution se produirait plus rapidement, de façon plus décisive et plus acharnée, que pendant la Première Guerre impérialiste. Une nouvelle vague d’insurrections peut et doit vaincre dans l'ensemble du monde capitaliste».
La lutte du CIQI pour rallier la classe ouvrière internationale contre la troisième Guerre mondiale et le danger de la guerre nucléaire investit ces lignes d’une signification politique renouvelée.
(Article paru d’abord en anglais le 4 novembre 2022)