Frappé de plein fouet par les sept vagues de COVID-19 qui ont déferlé sur le Québec depuis mars 2020, et devant la menace d’une huitième potentiellement plus meurtrière cet automne et cet hiver, le système public de santé, déjà grandement affaibli par des décennies d’austérité, se trouve dans un état de crise aigüe.
Dans la nuit du 16 octobre dernier, l’urgence de l’hôpital du Suroît de Salaberry-de-Valleyfield à l’Est de Montréal, a dû fermer temporairement et rediriger les ambulances vers un autre hôpital situé à 30 minutes.
À l’urgence du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, hôpital de Montréal en soins infantiles, l’occupation a atteint cette semaine un pic historique de 244%. Les enfants y patientaient en moyenne 9h sur une civière avant d’être soignés.
Mardi, la situation était particulièrement critique à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, dans Lanaudière, où le taux d’occupation des salles d’urgence était de 250% en début de journée.
L’achalandage dépassait également 200% dans de nombreuses urgences du Québec, notamment à l’hôpital Le Royer, sur la Côte-Nord, au CSSS de Memphrémagog, en Estrie, au Centre de services de Rivière-Rouge, dans les Laurentides, et à l’hôpital Royal Victoria à Montréal.
Le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le Dr Gilbert Boucher, a déclaré: «On n’est plus capables de s’occuper de tous les patients».
Cet état de faits, dans un pays «avancé», est le résultat de décennies de sous-financement du système public, tant au niveau provincial que fédéral, qui ont saigné à blanc le réseau de la santé. La pénurie résultante de main-d’œuvre est devenue chronique avec le refus de l’élite dirigeante de prendre les mesures nécessaires pour éliminer la COVID-19.
Le manque criant de ressources touche non seulement les urgences, mais tous les niveaux du réseau de la santé.
Le service d’ambulances Urgence-santé dénonçait récemment une situation «devenue critique». Les incidents de personnes attendant l’ambulance pendant des heures se multiplient alors que certaines régions éloignées du Québec vivent régulièrement des bris de service. Conséquence d’«un manque flagrant d’effectifs», la situation force Urgence-santé à utiliser un «système de priorisation», en vertu duquel certains appels jugés moins urgents ne sont traités qu’après plusieurs heures.
Des centaines d’ambulanciers sans contrat de travail depuis deux ans ont dénoncé leurs mauvaises conditions et réclament de meilleurs salaires, une amélioration des horaires et une meilleure ergonomie dans les ambulances pour réduire les blessures.
Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, 1,2 million de Québécois (plus d’une personne sur 7), dont 165.000 patients vulnérables, n’ont pas accès à un médecin de famille pour assurer un suivi régulier de leur état de santé.
La capacité hospitalière – le nombre de lits disponibles et dotés en personnel par habitant – est l’une des plus basses de tous les pays développés selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En 2017, le Québec comptait 2.7 lits par 1000 habitants, légèrement plus que la moyenne canadienne de 2.5 lits mais bien en deçà du Japon (12.8 lits), de l’Allemagne (7.9 lits) ou de la France (5.8 lits).
Selon une étude historique, le Canada disposait de 7 lits par 1000 habitants en 1970. La capacité hospitalière décline lentement pour atteindre 6 lits en 1990 puis chute dramatiquement (5 lits en 1995, 3.77 en 2000, 3.10 en 2005).
Ceci est le résultat catastrophique des politiques brutales d’austérité imposées par la classe dirigeante à compter du milieu des années 1990.
Sous le prétexte du «déficit zéro», le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard a procédé à des coupes massives dans les programmes sociaux, poussant des milliers d’infirmières à une retraite anticipée en 1997 pour réduire les dépenses de l’État. Les gouvernements libéraux qui ont suivi – d’abord sous Jean Charest puis Philippe Couillard – ont mis la hache dans ce qui restait des services publics, menant le réseau de la santé au bord de l’effondrement. Cette démolition sociale a été poursuivie par la Coalition avenir Québec (CAQ) depuis son arrivée au pouvoir en 2018.
Au niveau fédéral, entre 1995 et 1998, le gouvernement libéral de Jean Chrétien et Paul Martin a réduit les transferts en santé aux provinces de plusieurs dizaines de milliards de dollars, une politique poursuivie par les conservateurs de Stephen Harper. L’actuel gouvernement libéral de Justin Trudeau maintient la hausse de ces transferts en bas de l’inflation et de la croissance démographique, ce qui revient à les réduire en termes réels.
Dans ces circonstances, l’impact de la pandémie de COVID-19 sur le système de santé a été catastrophique.
À court d’équipement de protection individuel (EPI), des milliers d’infirmières et autres soignants sont tombés malades dès le début de la pandémie ou ont dû s’isoler de façon préventive. Le gouvernement de la CAQ mené par le multimillionnaire et ex-PDG François Legault a répondu par des mesures quasi dictatoriales en annulant les vacances et les congés du personnel, en adoptant des horaires encore plus draconiens et en forçant le travail à temps plein.
Le gouvernement Legault a subordonné la lutte contre la COVID aux impératifs de profit de la grande entreprise, des banques et des riches actionnaires. Les mesures limitées implantées au printemps 2020 devant la révolte de sections de travailleurs ont été démantelées hâtivement et les écoles et les entreprises non essentielles ont été réouvertes prématurément de sorte que 7 vagues d’infections de masse et de morts ont frappé le Québec. Selon des données récentes, les trois quarts des Québécois ont contracté la COVID-19 depuis le début de la pandémie. Plus de 16.900 en sont morts.
À chaque vague, les fondations du système de santé durement éprouvé se fissurent un peu plus, les patients COVID et les employés contaminés ajoutant à l’énorme pression qui s’exerce déjà sur le réseau. Au plus fort de la vague Omicron en janvier 2022, près de 12.000 membres du personnel soignant étaient absents en raison de la COVID. Les hospitalisations ont dépassé le nombre incroyable de 3.400.
Contrairement aux affirmations de la classe dirigeante capitaliste que la pandémie est terminée et que la population doit «vivre avec le virus» devenu «endémique», la COVID-19 continue de ravager le Québec. Au 21 octobre, en raison du coronavirus, 2049 personnes étaient hospitalisées et près de 4000 membres du personnel soignant étaient absents, des chiffres bien au-delà de tout ce que le Québec a connu au cours des 5 premières vagues de 2020 et 2021.
Le gouvernement de la CAQ, comme les gouvernements libéraux et péquistes avant lui, est incapable de régler les problèmes du système de santé puisque cela nécessiterait des investissements massifs pour appliquer une politique «zéro COVID» et renverser l’effet des décennies de coupes. La «refonte» du système de santé annoncé par le ministre de la Santé, le comptable et hommes d’affaires Christian Dubé, servira avant tout à faire plus de place au privé en santé, drainant encore plus de ressources humaines et financières du système public.
Les syndicats portent aussi une grande part de responsabilité, ayant étouffé pendant des décennies l’opposition des membres de la base aux compressions budgétaires et à l’assaut sur leurs conditions de travail. En juin 2021, en pleine pandémie, la Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) a conclu une nouvelle convention collective remplie de reculs pour ses 76.000 infirmières, inhalothérapeutes et perfusionnistes, faisant en sorte que les horaires indécents et le travail supplémentaire obligatoire (TSO) continuent de démoraliser et d’épuiser les infirmières. Un grand nombre est contraint de quitter la profession, accentuant la pression sur celles qui restent. Selon un estimé optimiste du gouvernement, il manquerait 4.600 infirmières dans le réseau. Ces conditions de travail déplorables et ce manque chronique de personnel touchent l’ensemble des travailleurs de la santé.
En réponse à la réélection du gouvernement de droite de la CAQ le 3 octobre dernier, toutes les centrales syndicales du Québec ont appelé à un «dialogue constructif» avec ce dernier. La FIQ a accueilli le maintien de Dubé au poste de ministre de la Santé, reconnaissant sa «compétence» et l’implorant d’«exercer toute son influence auprès de sa collègue au Conseil du trésor» en vue du renouvellement des conventions collectives en 2023 – qui sera l’occasion pour la CAQ d’intensifier son assaut sur les quelque 600.000 travailleurs du secteur public québécois.
Pour défendre leurs conditions de travail et assurer des soins de qualité à tous, les travailleurs de la santé doivent former des comités de la base, complètement indépendants des syndicats pro-capitalistes. De tels comités lutteront pour mobiliser toute la force sociale des travailleurs, au Québec et au Canada, autour d’une politique d’élimination de la COVID et d’une nouvelle répartition des ressources de la société. Celles-ci doivent servir à financer pleinement la santé, l’éducation et tous les services publics vitaux, au lieu de gonfler les marchés financiers.